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25-09-2014
Mots clés
Santé
Emploi
France
Monde

Le sommeil, la dernière frontière

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Le sommeil, la dernière frontière
(Crédit photo : thomas salva - lumento, 2013 - photo courtesy anthony d’offay, londres)
 
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Chaque nuit, un Américain adulte dort six heures et demie, un Français, sept heures. Leurs parents passaient huit heures dans les bras de Morphée. Et leurs aïeux, dix, au début du XXe siècle. Cela ne doit rien au hasard, analyse dans 24/7, essai lumineux et cauchemardesque, l’historien des arts Jonathan Crary : avec l’irruption dans les foyers de la télévision, des ordinateurs, d’Internet et des smartphones, nous consommons cinq heures de contenus vidéo par jour. Beaucoup gardent même le portable sous l’oreiller pour consulter mails et SMS ! Dans les années 1990, le patron de TF1 reconnaissait vendre du « temps de cerveau disponible » à Coca-Cola. Et Eric Schmidt, futur pédégé de Google, prophétisait que dans l’« économie de l’attention » du XXIe siècle, « les firmes dominantes ser[aient] celles qui parviendr[aient] à capter et à contrôler en permanence un maximum de “ globes oculaires ”. »

Si vous passez à minuit une commande sur Amazon, tout en envoyant des mails professionnels devant BFMTV, vous serez vus d’un bon œil… « L’économie de l’attention, explique Jonathan Crary, dissout la séparation entre le personnel et le professionnel, entre le loisir et l’information – toutes ces distinctions étant court-circuitées par une fonctionnalité obligatoire de communication qui doit nécessairement, par nature et sans échappatoire, fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. » « 24/7 » : ce slogan « attribue une valeur absolue à la disponibilité, mais ce faisant aussi au retour incessant de besoins et d’incitations vouées à une perpétuelle insatisfaction. »

Economie prédatrice

« La nouvelle rareté ne serait plus à situer du côté des biens matériels à produire, mais de l’attention nécessaire à les consommer », approuve Yves Citton, qui cite Jonathan Crary à plusieurs reprises dans Pour une écologie de l’attention. Le philosophe décrypte, dans des termes hélas souvent abscons, les mécanismes de l’attention humaine et de son environnement, mettant l’accent sur le care, l’attention mutuelle, comme antidote à cette économie prédatrice.

Sur une planète devenue « un lieu de travail continu ou un centre commercial ouvert en permanence (…), les activités de produire, de consommer et de jeter s’enchaînent sans la moindre pause, précipitant l’épuisement de la vie et des ressources », insiste Jonathan Crary. Dans ces conditions, dormir, « interruption sans concession du vol du temps que le capitalisme commet à nos dépens », est la dernière frontière à abattre. Pas simple : « La plupart des nécessités apparemment irréductibles de la vie humaine – la faim, la soif, le désir sexuel et, récemment, le besoin d’amitié – ont été converties en formes marchandes ou financiarisées (…) », mais le sommeil résiste aux « stratégies visant à l’exploiter ». Toutefois « les empiètements qu’on lui fait subir créent les conditions d’un état d’insomnie généralisé, où il ne nous reste plus à la limite qu’à acheter du sommeil ». En 2010, des somnifères ont été prescrits à 50 millions d’Américains.

Coup de poing sur la table (de chevet), l’historien convoque la french theory (Sartre, Deleuze, Foucault…) comme des films ou des tableaux. Derrière les écrans qui meublent nos existences, Jonathan Crary voit des « stratégies de pouvoir » contre-révolutionnaires : « Le but est moins de tromper les masses que de les neutraliser ou les désactiver en les dépossédant de leur temps. » Et il ne croit guère au cyberactivisme : « Toute turbulence sociale dont les premières sources résideraient dans l’usage des réseaux sociaux serait inévitablement vouée à l’éphémère et à l’inconséquence historique. » Pour Yves Citton, la question est de savoir « comment constituer en “ classe politique ” la classe numérique que forment les millions de hackers dont les pratiques libertaires et collaboratives revivifient quotidiennement nos communs ».

Les vertus des écrans

Et non, le multi-tasking, les jeux vidéo ou les séries télé ne sont pas un nouvel opium infligeant au peuple des troubles de l’attention. Selon de nombreux travaux, la génération Y serait même plus heureuse, plus sociale et citoyenne que la précédente. A défaut de sommeil, le rêve serait-il au moins permis ? —




24/7 : Le capitalisme à l’assaut du sommeil, de Jonathan Crary. Zones, 140 p., 15 euros.








Pour une écologie de l’attention, Yves Citton. Seuil, 314 p., 20 euros.

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