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26-09-2013
Mots clés
Société
France

Le faux repos du guerrier des pétroliers

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Le faux repos du guerrier des pétroliers
(Crédit photo : gilles favier - vu)
 
Exploiter du gaz de schiste ? C’est, de fait, impossible en France. Pourtant, les industriels n’en finissent plus de creuser. « Terra eco » vous explique pourquoi.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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« Tout ce qui touche de près ou de loin au gaz de schiste est interdit » (Christian Bataille, député PS, juin 2013). « Il faut assouplir la loi pour permettre la recherche, évaluer les ressources, connaître les gisements » (Laurence Parisot, alors présidente du Medef, juin 2013). « Le principe de précaution ne veut pas dire qu’il faut arrêter la recherche et saboter le progrès » (Christian Pierret, ancien ministre PS de l’Industrie, janvier 2013). La France est butée, pas moyen d’explorer la voie du schiste, dit la petite musique de ses partisans.

Jusqu’à une fausse note, venue de Seine-et-Marne : un forage en grande profondeur entamé au début du mois d’août, à Jouarre. Oui, des pétroliers travaillent encore sur les ressources non conventionnelles (1). Comment est-ce possible ? Revenons en octobre 2011, après le vote de la loi Jacob interdisant la fracturation hydraulique (2). Peu avant un déplacement dans le Gard du président Nicolas Sarkozy, le gouvernement décide d’abroger trois permis dans la région. Le député PS Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable de l’Assemblée, se souvient : « On avait identifié (dans le rapport Havard-Chanteguet (2), ndlr), une liste de seize permis de recherche litigieux (visant des hydrocarbures non conventionnels, ndlr), mais le ministère a décidé de n’en abroger que trois. Pour moi, ç’a été une surprise. »

Sur les 64 permis valables à l’époque pour trouver du pétrole ou du gaz, sont donc cassés les permis de Schuepbach à Nant (Aveyron) et Villeneuve-de-Berg (Ardèche). La décision semble logique, puisque la société texane a refusé de renoncer à la fracturation hydraulique (elle a, d’ailleurs, déposé un recours contre l’Etat). Mais le permis gardois de Total ? « Nous considérons nous être conformés à la loi en nous engageant sans aucune ambiguïté à ne pas utiliser la technique de la fracturation hydraulique. Nous ne comprenons donc pas comment la loi a pu être invoquée pour abroger notre permis », confie, par e-mail, le pétrolier. Seule explication, avance Jean-Paul Chanteguet : la proximité géographique de ces trois permis et l’imminence de la présidentielle. « Je pense qu’il n’était pas possible politiquement, compte tenu de la contestation qui a eu lieu sur ce territoire, de ne supprimer que deux permis. Il fallait supprimer les trois ou rien du tout. »

Chercher n’est pas tricher

Ce compromis laisse donc treize permis litigieux, mais valides (Voir carte). C’est le cas de quatre des neuf permis rachetés depuis trois ans par l’opérateur Hess Oil, qui recouvrent une bonne partie de la Seine-et-Marne. Là, depuis 2011, l’opérateur a construit six plateformes. Trois ont déjà abrité des forages, dont celui de Jouarre. Mais des forages pour chercher quoi, au juste ? En étudiant les documents envoyés à l’administration avant la loi Jacob et que Terra eco s’est procurés, on constate qu’ils visaient initialement l’exploitation de pétrole de schiste.

« L’objectif consiste à rechercher dans les formations du lias des zones contenant des hydrocarbures pouvant satisfaire à la réalisation de forage d’exploitation », dit la déclaration d’ouverture de travaux de Toreador (dont le permis appartient aujourd’hui à Hess Oil) datant d’avril 2010 et toujours valable. Le lias étant la couche géologique où se situe le pétrole de schiste, aucun doute ne subsiste. On trouve les mêmes mentions dans d’autres demandes d’ouverture de travaux, notamment à Doue.

L’objectif a depuis été interdit, mais les forages prévus se poursuivent. Ce qui n’est pas interdit : chercher n’est pas tricher. Hess Oil joue avec les failles législatives. Et ne s’en cache pas. Bertrand Demont, président de la branche française du groupe, a même expliqué en août à l’AFP que le forage de Jouarre allait permettre de localiser du pétrole « pour lequel les techniques de production […] sont interdites ». Contacté par Terra eco, Guillaume Defaux, directeur des relations publiques, se défend toutefois de vouloir exploiter les ressources potentiellement localisées. Et assure même que Hess Oil espère trouver du pétrole conventionnel sur place, et que les recherches dans la roche-mère (1) vont les y aider. « On cherche à recueillir le maximum d’informations sur toutes les couches géologiques. C’est notre métier. On le fait dans une perspective scientifique. Connaître la roche-mère permet d’évaluer ce qui a été produit, de savoir si le pétrole a migré et, si oui, comment. »

Pourtant, Jacques Thibieroz, géologue à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, doute de ce discours : « Il n’est pas impossible qu’ils trouvent du pétrole conventionnel, mais, si on regarde leurs démarches, on constate qu’elles remplissent toutes les conditions d’une exploration d’hydrocarbures de schiste. » Et le spécialiste de citer notamment la taille des carottages (1) effectués sur un forage précédent, à Huiron (Marne). « Longs de plus de 380 mètres » dans la roche-mère, ils sont dix fois plus profonds que les carottages classiques, visant du pétrole conventionnel.

Recherches sismiques

Hess Oil n’est pas la seule à continuer à chercher, malgré la loi. Dans le Jura, Celtique Energie travaille sur le permis des Moussières. Des documents internes de l’entreprise anglaise montrent son attrait pour les gaz de schiste, et l’entreprise démarche encore les habitants pour trouver des terrains (Lire p. 52). A Alès, dans le Gard, le débat porte sur des recherches sismiques (1) que la société suisse MouvOil entend mener. Des manifestants se sont érigés contre les conclusions d’un rapport indépendant commandé par les autorités et rendu le 30 août. Celui-ci juge qu’une campagne d’exploration est nécessaire pour « une meilleure connaissance géologique du secteur » qui recèle « des hydrocarbures de type huile lourde riche en soufre pouvant être exploités sans recours à la fracturation hydraulique ». C’est pile la position défendue par le pétrolier.

Mais là encore, Séverin Pistre, professeur d’hydrogéologie à l’université de Montpellier, estime que les chances de trouver du pétrole conventionnel sont minces. « Il y a déjà eu une quarantaine de forages profonds dans les années 1970 et on n’y a pas trouvé d’indice conséquent d’hydrocarbures conventionnels. Il reste peut-être quelques traces ici ou là, mais on a fait le tour. En revanche, des couches de schiste ont été rencontrées et on suppose également la présence d’une autre couche de schiste encore plus profonde. » Point de surprise, des documents édités par MouvOil avant la loi Jacob et révélés par Mediapart en septembre indiquent que la société visait initialement du non conventionnel. Mais le pétrolier jure aussi se tourner vers le conventionnel. « MouvOil est suspecté de chercher dans les schistes cartons (une forme de schiste présent dans la région, ndlr) mais, là, on n’a pas le début d’une preuve », tempère Jacques Thibieroz, qui assure que le sous-sol y est beaucoup moins connu que dans le Bassin parisien, tout en dénonçant toutefois le manque d’informations livrées par la société.

10 à 12 millions d’euros le forage

Ces pétroliers seraient-ils venus en France si la seule perspective était l’exploitation d’hydrocarbures conventionnels ? « Disons qu’aucune compagnie pétrolière ou gazière étrangère n’est venue en France ou ne s’est installée pour opérer depuis que la loi est tombée », glisse Andrew Ross, consultant pour Elixir, entreprise titulaire du permis de Moselle. Mais pourquoi cherchent-ils des ressources qu’ils n’auront, in fine, pas le droit d’exploiter ? « Ils veulent montrer à leurs actionnaires qu’ils sont dans la valorisation d’actifs. Ils font le pari qu’un jour la France changera d’opinion. Ils essaient de préempter les sites pour éviter la concurrence », estime Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement. « Un seul forage coûte entre 10 et 12 millions d’euros. On ne fait pas ça en espérant un changement de loi », répond le directeur des relations publiques de Hess Oil. « Si la loi Jacob tombe, le Parlement va reformuler la loi différemment. Pas un seul opérateur pétrolier ne s’attend à ce que l’exploration redémarre de sitôt », abonde Philippe Labat, qui, via ses sociétés Thermopyles et Galli Coz, opère sur les permis d’Attila et des Ardennes. Il n’empêche, la situation évolue, après des mois où toutes les demandes de mutation, de renouvellement ou d’octroi de permis étaient gelées, comme oubliées sous les coudes des ministres successifs. Le 7 septembre, le Journal officiel a notifié l’acceptation de deux nouveaux permis à Forcelles-Saint-Gorgon (Meurthe-et-Moselle) et Seebach (Bas-Rhin). Une semaine plus tôt, lors de l’université d’été du Medef, son président, Pierre Gattaz, plaidait ainsi la cause des pétroliers : « Donnons-nous au moins la possibilité d’étudier, sur le plan de la recherche, les gaz de schiste et leur exploitation. » La petite musique a repris. —

(1) Voir le glossaire.

(2) Voir la chronologie.



Glossaire

Carottage : Prélèvement d’un échantillon de sous-sol permettant d’obtenir des informations géologiques.

Fracturation hydraulique : Injection sous haute pression d’eau dans un puits afin de fracturer une roche peu poreuse.

Hydrocarbures non conventionnels : Ressources fossiles difficiles et coûteuses à exploiter, longtemps délaissées par les pétroliers.

Recherches sismiques : Méthode de prospection permettant de visualiser les structures géologiques grâce à des camions munis de plaques vibratoires qui propagent des ondes dans le sol.

Roche-mère : Roche contenant des sédiments riches en matière organique pouvant se décomposer, après plusieurs millions d’années, en hydrocarbures non conventionnels.

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Rédactrice en chef à « Terra eco ».

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