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28-02-2008

"Le développement durable est un enjeu de sécurité"

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Les nouvelles technologies, les sciences et l’éducation peuvent changer la face du monde. Dans le cas contraire, les pénuries de ressources énergétiques pourraient conduire à des conflits armés. Entretien avec Jérôme Bindé, directeur du bureau de la prospective à l'Unesco.
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La crise économique américaine focalise l’attention des médias. Aura-telle la peau du développement durable  ? Non, répond Jérôme Bindé, directeur du bureau de la prospective à l’Unesco et coauteur d’un livre qui suggère la dématérialisation de l’économie. Entretien avec l’organisateur des « Entretiens du XXIe siècle ».

2007 a été une année riche pour le développement durable. 2008 démarre avec des secousses financières. Ne craignez-vous pas que la santé de la planète repasse au second plan ?

Vous avez raison de vous en inquiéter : beaucoup vont penser « finances d’abord ». Mais nous avons changé d’époque. Les signes annonciateurs d’une catastrophe environnementale se multiplient et même le citoyen le moins informé ne peut ignorer que quelque chose se passe. Qu’une action vigoureuse, à la fois urgente et de long terme, est nécessaire. La conscience planétaire croît chaque année : peut-on désormais revenir en arrière ? Il me semble que la question du développement durable ne peut plus être mise de côté, comme cela est arrivé dans les années 1970-1980, entre la conférence de Stockholm de 1972 et le Sommet de la Terre organisé à Rio en 1992.

Quelles sont, selon vous, les preuves qui témoignent de cette tendance ?

Sur la question du climat, un facteur décisif a été la fonte des banquises aux pôles ainsi que celle des glaciers au Groenland, en Europe ou dans la cordillère des Andes. Elle a rendu caduques toutes les fausses querelles naguère encore attisées par ceux qui continuaient de nier le réchauffement planétaire. Sur le plan économique et politique, la date clé, c’est le rapport de l’économiste Nick Stern, qui a chiffré pour la première fois les conséquences du changement climatique [Stern Review : The Economics of Climate Change ]]. Il a ainsi mis en relief, avec des arguments d’économiste, le coût exorbitant de l’inaction, non seulement sur le plan environnemental, mais aussi aux niveaux économique et financier. En ce qui concerne la biodiversité, la prise de conscience est moins développée, mais la disparition des espèces marque aussi fortement les esprits. Celle-ci est actuellement 100 fois supérieure au rythme « normal ». Ainsi, dans les contreforts de l’Himalaya, ce sont les jeunes femmes qui pollinisent les fleurs à la main, car les abeilles ont disparu.

Comment de tels événements ne remueraient-ils pas les consciences ?

La prise de conscience grandit. Mais le passage aux actes tarde à venir. La France a tenu le Grenelle de l’environnement, mais les avancées sont mondiales, bien qu’encore notoirement insuffisantes. Bon nombre d’Etats adoptent des législations, et pas seulement en Europe. Voyez ce qui se passe au niveau de nombreux Etats américains. Et presque partout, la société civile se mobilise. Il y a une évolution de fond. Mais il est vrai que la grande question, c’est celle de l’horloge. J’espère que nous n’attendrons pas que le niveau des mers grimpe de 59 centimètres – prévision la plus pessimiste du Giec [1] à l’horizon 2100 – ou de 6 à 7 mètres, comme l’annoncent certains scientifiques qui incluent dans leurs scénarios la fonte des grandes banquises, notamment celle de l’Antarctique occidental.

Les deux tiers de la population mondiale vivent sur les côtes et cette proportion pourrait atteindre les trois quarts en 2030-2040. L’impact de la montée des eaux sur nos sociétés peut donc être considérable. Le delta du Nil, par exemple, est l’une des premières sources de richesses agricoles en Egypte. Si la Méditerranée monte, la salinisation gagnera du terrain et les Egyptiens verront s’aggraver leurs problèmes de sécurité alimentaire et de stabilité sociale. J’ai lu dans un journal égyptien qu’en prévision de ce phénomène certains songeaient à exhumer un projet pharaonique de barrage pour fermer la Méditerranée, à l’est du détroit de Gibraltar. Il avait été conçu dans l’entre- deux-guerres par un scientifique allemand.

Cet exemple pose la question des solutions à la crise environnementale. Sont-elles du côté de la technologie ou faut-il « seulement » repenser l’organisation de nos sociétés ?

Chacune de ces thèses est inexacte. L’histoire montre que c’est l’interaction entre les bouleversements de société et l’évolution des technologies qui modèle les civilisations. Il ne faudrait pas succomber à une naïveté antiscientifique, qui se situe au ras des pâquerettes. Nous serons sans doute plus de 9 milliards d’individus sur Terre en 2050 et ce n’est pas avec de belles paroles sociétales ou les slogans de l’impuissance que nous résoudrons les problèmes de la pression démographique. J’espère que les sciences et les technologies contribueront à nous sortir du problème, si elles s’allient avec le changement sociétal. Nous devons aller vers des sociétés du savoir et, pour ce faire, investir davantage dans la recherche, l’éducation et l’innovation.

Le livre Signons la paix avec la Terre, que vous avez coécrit et dirigé, propose des pistes originales. Quelles sont-elles ?

Il faut s’attaquer aux causes de la maladie et non à ses symptômes. Le changement climatique, la pollution, l’élévation du niveau des océans, la désertification ou l’érosion de la biodiversité sont les symptômes. Mais le véritable problème a été mis en lumière, dès 1972, par le rapport au Club de Rome, Limits to growth [2] : c’est la croissance matérielle indéfinie, dans un monde dont les ressources physiques sont finies et limitées. En 1972, l’humanité consommait chaque année 85 % des ressources renouvelables de la planète. Il fallait alors ralentir. Aujourd’hui, nous consommons 125 % de ces ressources. Nous devons désormais diminuer. Attention, nous ne disons pas « halte à la croissance  ». Cela me paraît peu réaliste économiquement et socialement, alors que tant de pays du Sud aspirent légitimement au développement. Pour autant, nous devons revoir notre façon de faire de l’économie, ainsi que nos indicateurs – comme le produit intérieur brut – qui sont devenus obsolètes.

Comment concrétiser cette idée ?

Une proposition, avancée dans notre livre par Mostafa Tolba [3], consiste à dématérialiser massivement la croissance et l’économie. Cela permettrait de diminuer la consommation de métaux, de minerais, d’énergies fossiles. Et ce n’est pas une utopie  : l’essor des réseaux électroniques et le passage à une économie moins matérielle sont là, sous nos yeux. Il faut en accélérer le mouvement. Dès 1794, Condorcet avait déjà eu l’extraordinaire intuition que le danger de la surpopulation – il y voyait le risque d’une « diminution du bonheur » – pouvait être maîtrisé grâce à une hausse de la productivité, à une meilleure gestion et prévention des déchets et à un essor général de l’éducation, notamment des filles. Face aux menaces que la population fait peser sur l’environnement, Condorcet, dans son génie prospectif, avait déjà pensé avec rigueur la « dématérialisation  » de l’économie : « Le même produit de l’industrie répondra à une moindre destruction de productions premières, ou deviendra d’un usage plus durable. »

Belle idée. Mais pour se développer, l’économie immatérielle a besoin d’ordinateurs et de câbles, produits dans des usines qui consomment des matières premières et brûlent de l’énergie...

Nous sommes effectivement loin du but mais nous allons devoir y aller car c’est cela, ou les scénarios du pire. Songez que la pollution fait déjà 1,5 million de morts dans les villes d’Asie chaque année, selon une étude de la Banque mondiale. Dans les années à venir, nous courrons le risque de nouveaux conflits dans un contexte de compétition entre Etats : pour des raisons de sécurité énergétique ou pour le contrôle de ressources dont on redoute la pénurie. Dans l’histoire, ce genre de tensions fut un facteur classique de déclenchement de guerres locales, mais aussi mondiales.

C’est donc la crainte du pire qui va sauver la planète ?

Pendant longtemps, les pays du Sud ont minoré la question du développement durable, car ils y voyaient une préoccupation de pays riches et un obstacle qu’on opposait au développement. Mettant en relief les responsabilités du Nord, ils estimaient que ce dernier devait faire l’essentiel des efforts. La situation a changé : tant d’Etats insulaires sont menacés de disparition sous les eaux en raison du changement climatique, tant d’autres Etats sont confrontés à des risques sanitaires majeurs ou à des crises de l’eau ! D’une façon générale, le développement durable devient un enjeu de sécurité. Les élus sont très sensibles à cet argument et je sens des évolutions fortes à l’échelon local et au niveau mondial. Il y a une « heuristique de la peur », comme disait le philosophe Hans Jonas. En fait, nous sommes à un tournant, à un « point de basculement », comme l’a écrit récemment le secrétaire général des Nations unies, Ban-Ki Moon [4]. Espérons que nous basculerons du bon côté ! Sinon le XXIe siècle risque de voir se réaliser bon nombre de films catastrophes, en trois dimensions. Mais je veux rester optimiste, car comme l’a dit un grand esprit, le poète Hölderlin : « Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve. »—

[1] Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec)

[2] Les limites à la croissance (1972)

[3] Universitaire et homme politique égyptien, ancien directeur exécutif duProgramme des Nations unies pour l’environnement.

[4] International Herald Tribune du 16 novembre 2007

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