Alors que les banques, frileuses de prendre davantage de risque dans cette période d’incertitudes économiques, sont en train de couper depuis quelques mois déjà les robinets du crédit, voici une nouvelle forme de financement qui ne devrait pas connaître la crise : le crédit entre particuliers.
Ce n’est pas parce que les banques ne veulent (ou ne peuvent) plus prêter qu’il n’y a pas, dans l’économie, des épargnants prêts à prendre des risques pour faire fructifier leur argent. De l’autre côté de la chaîne, ce n’est pas parce que les banques freinent le prêt aux particuliers que la demande de crédit, elle, n’existe plus. C’est même plutôt le contraire.
A l’instar des autres secteurs de l’économie collaborative, le prêt d’argent entre particuliers est aujourd’hui permis grâce à Internet et à l’émergence des plateformes Peer-to-Peer. Ce nouveau secteur profite évidemment de la crise économique et financière.
C’est entre cette offre d’épargne et cette demande de financement que se positionne Prêt d’Union : une startup lancée par Thomas Beylot, Geoffroy Guigou et Charles Egly, qui propose de jouer le rôle d’intermédiaire, mais de manière beaucoup plus directe et transparente que les banques.
D’un coté, les épargnants peuvent investir sur la plateforme avec un rendement attractif et dont le risque est maîtrisé ; de l’autre, les personnes en besoin de financement peuvent espérer y obtenir un crédit à un taux plus favorable que la concurrence. Quant à Prêt d’Union, l’entreprise se rémunère sur des frais de dossier payables à la signature du contrat.
L’agrément de la Banque de France
Depuis plusieurs années déjà, le prêt entre particuliers a émergé en Angleterre ou aux Etats-Unis, avec des acteurs désormais majeurs tels que Zopa.com, Prosper ou Lending Club.
Mais en France, le protectionnisme de la Banque de France, très réticente à octroyer les cruciales licences permettant d’exercer l’activité d’établissement de crédit en France, semble freiner depuis des années son émergence dans l’Hexagone. Ainsi, Friendsclear, autre acteur majeur du financement en peer-to-peer en France qui s’attache elle au financement des entrepreneurs, a dû nouer un partenariat avec le Crédit Agricole faute d’obtenir l’autorisation d’opérer en tant qu’institution financière pour son propre compte. Et ce n’est pas un cas isolé : une vingtaine d’autres dossiers similaires seraient en attente.
Les quatre fondateurs de Prêt d’Union ont dû batailler pendant plus de deux ans afin d’obtenir le fameux sésame : l’agrément bancaire de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le bras armé de la Banque de France et de l’AMF (Autorité des marchés financiers). Pour cela, ils ont dû réunir en tout plus de 5 millions d’euros de capital, mais également respecter un certain nombre de contraintes dictées par les deux autorités financières.
« Ce fut loin d’être facile », euphémise Thomas Beylot, « d’autant que nos actionnaires potentiels attendaient l’agrément de l’ACP avant d’investir, tandis que dans le même temps cette dernière voulait s’assurer que nous avions les fonds nécessaires avant de nous délivrer l’agrément » . Mais les co-fondateurs se veulent compréhensifs : « Ils veulent s’assurer dans un premier temps que le système fonctionne bien, et que les investisseurs sont conscients des risques qu’ils prennent en plaçant leur argent sur Prêt d’Union » , explique Geoffroy Guigou.
Investir dans l’économie réelle
A la différence de Friendsclear où tout un chacun peut dès aujourd’hui investir, il faut être considéré comme investisseur qualifié pour pouvoir aujourd’hui investir sur Prêt-d’Union. Des conditions assez drastiques qui limitent du même coup le nombre d’investisseurs éligibles… Mais les fondateurs de l’entreprise espèrent que l’AMF lèvera cette barrière dans six mois, leur permettant ainsi de satisfaire les nombreuses demandes en suspens. « Beaucoup d’investisseurs attendent, nous allons crouler sous les demandes lorsque notre plateforme sera ouverte à tous ! » , feint de se plaindre Geoffroy Guigou.
Après bientôt six mois d’activité, Prêt d’Union a reçu environ 800 demandes d’investissements dans la plateforme, dont certains s’élèvent jusqu’à 100 000 euros. Il faut dire que pour les investisseurs, l’offre est plutôt intéressante. En ces temps de crise où les investissements sans risque se font rares, Prêt d’Union peut se vanter d’offrir des rendements situés aux alentours de 4%. De plus, l’idée de placer son argent « dans l’économie réelle » et dans des investissements plus transparents qu’une banque traditionnelle a de quoi séduire les épargnants.
Acheter une voiture ou réaliser des travaux
Autre contrainte pour Prêt d’Union, sa licence octroyée par la Banque de France limite les activités au crédit à la consommation.« Par crédit à la consommation, il faut comprendre projets personnels », nous précise Thomas Beylot. Une question s’impose : Quelle est la portée sociale d’un service qui propose à des particuliers de s’endetter, certes de façon plus transparente et à des taux plus humains que ceux pratiqués actuellement, mais pour consommer des biens dont ils n’ont pas toujours besoin ? « 40% des personnes à qui nous prêtons souhaitent s’acheter une voiture, 40% le font pour réaliser des travaux dans leur maison. On ne fait pas de crédit à Madame Michu pour qu’elle s’achète un écran plat », répond l’entrepreneur.
Autre précision importante : Prêt d’Union ne fait pas de crédit revolving, ces crédits renouvelables à l’infini et aux taux très élevés. A l’inverse de ces pratiques risquées et douteuses sur le plan éthique, Prêt d’Union mise sur la sécurité des placements et sélectionne rigoureusement les emprunteurs. « Nous refusons 80% des demandes de prêts », indique Geoffroy.« En effet, beaucoup de demandes que nous recevons concernent des personnes en situation de surendettement », détaille l’entrepreneur. « Mais nous n’avons pas vocation à nous adresser ce genre de public. »
Pertes partagées
En fait, là où se différencie le modèle de Prêt d’Union, c’est bien dans l’analyse de la solvabilité des emprunteurs visant à apporter le maximum de sécurité aux investisseurs : chaque investisseur de Prêt d’Union est solidaire des autres puisque les pertes sont partagées. « Le principal écueil de Zopa (plateforme anglaise de finance collaborative, ndr) a été de vouloir prêter aux exclus du système dès le départ. A l’inverse de Zopa, nous jouons un vrai rôle de tiers de confiance, la confiance repose principalement sur nous, c’est une grande responsabilité. Les contraintes imposées par la Banque de France sont donc plutôt une bonne chose. »
Le revers de la médaille ? Les fondateurs confessent avoir certaines difficultés à trouver des clients solvables. « Pour le moment, notre principale difficulté, c’est que notre clientèle cible a déjà accès au crédit bancaire classique, mais elle ne nous connaît pas », expliquent les deux associés.
Néanmoins, la startup a certainement réussi le plus difficile : obtenir l’autorisation d’exercer en France. A l’instar d’acteurs comme Friendsclear ou Wiseed (que nous vous présenterons bientôt), espérons donc que cette première initiative fasse ses preuves et ouvre la voie de la finance de demain : une finance plus humaine, transparente, et ouverte pour tous.
Cet article de Stanislas Jourdan a été initialement publié le 19 janvier 2012 sur le blog de la consommation collaborative, initié et animé par Antonin Léonard. Un média collaboratif sera créé dans le prolongement de ce blog dans le courant 2012 par la communauté OuiShare.
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