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28-02-2010
Mots clés
Biodiversité
Macro-économie
Monde

La nature s’initie aux chiffres d’affaires

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La nature s'initie aux chiffres d'affaires
 
Combien pour ce chien ? Pour cette libellule ? Et pour cette forêt de séquoias ? Calculer ce que « rapporte » la nature est devenu le nouveau dada des économistes. Shocking ?
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Peut-on donner une valeur à la nature ? Depuis au moins un siècle, la biodiversité n’a jamais eu le droit d’apparaître dans les tableaux des économistes : la société produit, achète, vend sans se soucier de ce qu’elle puise dans les écosystèmes. Et peu importe qu’on les dégrade puisqu’ils ne comptent pas dans le calcul du Produit intérieur brut (PIB). Mais économistes et pouvoirs publics ont changé de lunettes et mis des verres correcteurs durables. Leur objectif désormais : établir une valeur pour les écosystèmes et mieux appréhender l’impact des activités économiques. « Il s’agit d’établir une valeur et non un prix », prévient d’emblée l’écologue James Aronson, du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à Montpellier. Nuance indispensable. Car bien malin celui qui pourrait donner un prix à un ours des Pyrénées, une abeille le nez dans la lavande ou une bactérie nichée dans l’humus d’une forêt !

Quand Katrina gonfle le PIB

Le « prix » d’un écosystème, c’est grosso modo ce qu’on peut tirer de son exploitation. Par exemple, ce qu’on obtiendra en commercialisant le bois d’une forêt, le pétrole d’un sous-sol, ou la viande du bétail d’un pâturage. Mais une forêt, par exemple, rend des tas d’autres services : elle capte du CO2, fixe les sols, accueille des bactéries qui dégradent des polluants, fournit des molécules – ou des idées – à l’industrie pharmaceutique, purifie l’eau, héberge des oiseaux qui déplacent les graines et entretiennent la biodiversité, protège des insectes pollinisateurs, etc. Sans compter le bien-être qu’offrira un paysage aux promeneurs, l’importance d’un site « sacré » pour une communauté culturelle, ou la valeur patrimoniale d’une espèce. Donner une valeur à un écosystème revient donc à inventorier l’ensemble des services que ce dernier peut rendre, et tenter d’en tenir compte dans l’évaluation de la richesse collective.

Aujourd’hui, les indicateurs économiques négligent les espaces naturels. A tel point que le passage de l’ouragan Katrina en 2005 a gonflé le PIB américain ! « Restaurer le bassin versant du Mississippi, qui joue un rôle protecteur, aurait coûté dix fois moins cher que de réparer les dégâts, rappelle James Aronson. De la même manière, les mangroves protègent les terres contre les tempêtes et les tsunamis : les raser pour installer des élevages de crevettes détruit de la valeur à long terme. »

La planète sous cloche ?

Alors, comment établir cette valeur ? Où placer le curseur ? Si un écosystème est unique, tel une toile de Picasso, il est inestimable, et la création d’une réserve apparaît comme le seul rempart contre sa destruction. Mais on ne peut pas mettre toute la planète sous cloche. Faute de données suffisantes, les pouvoirs publics gèrent donc souvent les dossiers à l’aveuglette. « Sur quoi faut-il cibler les budgets de conservation des espèces ? Sur l’ours, le loup, ou des espèces moins emblématiques ? s’interroge ainsi l’économiste Jean-Michel Salles, vice-président du comité de travail sur la biodiversité au Conseil d’analyse stratégique (CAS) qui a remis un rapport au Premier ministre au printemps 2009. Jusqu’à présent, ces programmes ont surtout été pilotés par la médiatisation. Les réflexions engagées visent à disposer d’outils plus rationnels. »

De nombreux travaux sont cependant engagés autour du globe, notamment l’« Evaluation des écosystèmes pour le millénaire », un programme de travail international lancé par l’ONU. Le rapport du CAS estime que la perte de biodiversité pourrait détruire jusqu’à 7 % de la richesse mondiale – version PIB – en 2050. Et de la même manière que l’économiste britannique Nicholas Stern avait comparé les coûts d’action et d’inaction en matière de changement climatique, une équipe conduite par l’économiste Pavan Sukhdev (lire aussi Terra eco n°9, juillet-août 2009) se penche sur la biodiversité, à l’initiative de l’Allemagne et de la Commission européenne. En attendant son rapport définitif à l’automne 2010, l’économiste avance un chiffre de 23 500 milliards d’euros pour les services rendus par la biodiversité, soit la moitié du PIB mondial.

Payer pour ne pas raser

Et comment fonctionne la calculette à écosystèmes ? « Il n’y a pas de méthode unique, reconnaît Jean-Michel Salles. On est obligé de choisir au cas par cas, en fonction des informations dont on dispose. D’où l’intérêt de multiplier les études et de disposer d’une base de données de référence, ce qui permettra des comparaisons. » Parfois, on prendra la valeur de transport, en calculant ce que dépensent les visiteurs d’un espace naturel pour s’y rendre. « On étudie aussi le consentement à payer », précise l’économiste. On demande alors aux usagers d’un écosystème combien ils seraient disposés à payer chaque année pour sa conservation.

L’autre piste – notamment quand il faut évaluer un aménagement – consiste à établir le coût de remplacement. C’est ainsi qu’avaient raisonné les autorités chargées de l’approvisionnement en eau douce de New York. En constatant que la construction et l’entretien d’une usine de production d’eau potable, coûteraient dix fois plus cher que le service « purification de l’eau » rendu par l’écosystème de la région des Catskill, la ville a pu répondre à sa demande en eau tout en entretenant ces espaces naturels.

En France, depuis 1976, une loi prévoit que tout projet d’aménagement doit étudier, dans l’ordre, trois types d’actions : éviter les dommages à l’environnement, sinon minimiser ces dommages et – si nécessaire – compenser les impacts résiduels. Ce serait le paradis si… ce texte était appliqué. Mais les choses bougent : en 2008, la Caisse des dépôts et consignations a créé à la demande du gouvernement la filiale CDC-Biodiversité qui a acquis 357 hectares de nature dégradés dans le sud de la France, et entamé sa restauration. Engagé sur plusieurs décennies, l’organisme vendra cet « actif naturel », tout en conservant le terrain, à des aménageurs qui pourront ainsi compenser l’impact de leurs projets.

Mais cette idée de compensation fait grincer des dents, notamment lorsqu’elle est évoquée à une échelle globale. Il en est ainsi des mécanismes REED (Réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts) discutés à l’ONU : Etats et populations seraient « financés » par les pays riches en échange d’un engagement à ne pas raser les forêts. Mais rien n’empêcherait d’y décimer la biodiversité… puisque le dispositif ne porte que sur le carbone ! —


LA PROVENCE RETROUVE UNE SECONDE NATURE

La France dispose depuis un an de sa première « réserve d’actifs naturels ». A la demande des pouvoirs publics, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a créé une filiale pour racheter et réhabiliter des terrains qui avaient été redessinés par l’exploitation de vergers sur le site de Cossure, à Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône). Avec l’appui de scientifiques, la CDC-Biodiversité tente de redonner à cet écosystème le rôle qu’il jouait autrefois, notamment pour des espèces comme le lézard ocellé. « La plaine de la Crau est une steppe façonnée par l’homme depuis le néolithique, explique Thierry Dutoit, chercheur à l’université d’Avignon, qui collabore au projet. Les vergers l’ont détruit en seulement vingt ans. Et il faudra plusieurs siècles pour que l’écosystème soit restauré. Mais c’est important, car cette zone tampon viendra protéger la réserve naturelle des Coussouls de Crau, toute proche. »

« En France, les compensations mises en place par les aménageurs ne dépassent pas dix ans, explique le naturaliste Philippe Thiévent, numéro deux de la CDC-Biodiversité. Mais en tant que filiale de la Caisse des dépôts, nous nous inscrivons dans la durée. » A Cossure, l’entreprise s’est ainsi engagée à gérer l’espace naturel pendant trente ans et à le maintenir en l’état au-delà. Après l’arrachage des arbres et le nivellement des terrains réalisés en 2009, des oiseaux de steppe sont revenus nicher, et le site accueillera deux troupeaux de brebis dès cette année.

Retour des oiseaux des steppes

La CDC-Biodiversité devra bien sûr rentabiliser ses 15 millions d’euros d’investissement. « Nous le ferons en vendant des unités de biodiversité », explique Philippe Thiévent. Par exemple à une entreprise qui voudrait s’installer dans la région et compenserait ainsi son impact écologique, avec l’accord de l’Etat. Le prix de l’hectare ? « 35 000 euros. C’est ce qui sera dépensé en trente ans pour la réhabilitation et la gestion de cet espace naturel. » C’est sept fois la valeur actuelle du foncier dans la région. Mais aujourd’hui, l’estimation s’appuie uniquement sur les dépenses de la CDC-Biodiversité, sans tenir compte des services rendus par l’écosystème de la Crau. —

Photo : DR

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