Etonnamment, cette jupe à imprimé zèbre est passée de mode en moins d’un été. Disparue des magazines et des cintres des boutiques, elle a également lassé Laura, sa propriétaire. A la fin de la saison, adieu le zébré. Direction la benne du coin de la rue. Laura ignore sans doute que, quelques mois plus tard, sa jupe est devenue « troutrou nou » sur un marché en Côte d’Ivoire. Elle aurait d’ailleurs pu se transformer en « mutuki » au Gabon, en « fëgg jaay » au Sénégal, en « salaula » en Zambie ou en « dead whiteman’s clothes » au Zimbabwe. La jupe de Laura est devenue fripe. Sur un étal des marchés de Yaoundé, au Cameroun, ou de Djibouti, elle s’apprête à être revendue pour l’équivalent de quelques centimes d’euro.
Dans le marché mondialisé de l’industrie de l’habillement, la seconde vie des vêtements occupe une place méconnue, mais de choix, dont les enjeux économiques n’ont rien de la charité bien ordonnée. On estime qu’en 2006 un quart des vêtements portés sur le continent africain étaient issus de la fripe. En 2010, à l’échelle de la planète, ces échanges représentaient près de 2,26 milliards d’euros. Il a fallu pour cela un petit cocktail global qui a explosé à la fin des années 1980. D’un côté, l’augmentation de la consommation de vêtements, de moins en moins chers, dans les pays du Nord. De l’autre, la dérégulation et la libéralisation des marchés africains. Les ports de Douala, au Cameroun, de Dakar, au Sénégal, et d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, étaient prêts à accueillir des conteneurs de fringues. Les entrepôts de Dubaï, dans les Emirats arabes unis, et de Cotonou, au Bénin, prêts à se remplir de sapes. Vive l’import-export !
Une sélection impitoyable
Mais attention, si la jupe de Laura se retrouve sur un étal africain, c’est parce qu’elle a brillamment passé tous les tests. Récupérée dans le conteneur de sa rue par une association caritative, elle était trop fatiguée pour être revendue en Europe, dans une boutique de seconde main. « Nos équipes trient les dons : 20 % des vêtements, en parfait état, sont proposés à bas prix dans nos magasins, 20 % sont bons à jeter, et nous revendons 60 % à un prix symbolique au fripier », explique Valérie Dheur, d’Oxfam Belgique, un gros acteur de la fripe en Europe. Le fripier en question réitère l’opération. Il sépare 5 % de « crème », le meilleur du tas de fringues, qu’il revend à son tour ; 10 % de coton usé, des vêtements trop las qui seront transformés en chiffons pour l’industrie de la carrosserie, par exemple ; 30 % de jeans troués et pulls élimés qui partent à l’effilochage et pourront rembourrer les sièges de voitures neuves ; et enfin 40 % sont vendus à des grossistes, qui les embarquent pour l’Afrique, sous forme de ballots. Arrivés à destination, ils sont acquis par de petits détaillants qui s’installent sur les bords des trottoirs, dans des marchés dédiés. A leurs côtés, d’autres lavent, repassent, cirent, réparent les articles. Des centaines de milliers d’emplois ont ainsi été créés, en mettant en vente, à des prix abordables pour des consommateurs pauvres, des tricots, pantalons, chaussures, impers mis au rebut par les consommateurs riches.D’autres emplois, hélas, ont été perdus. Les économistes des deux continents s’interrogent encore sur l’impact de l’afflux massif de ces articles d’occasion européens sur la couture africaine. Au Cameroun, au début des années 1980, la confection et la chaussure représentaient 20 % du chiffre d’affaires de l’activité manufacturière et couvraient près de 60 % des besoins du pays. Vingt-cinq ans plus tard, à peine un dixième de ces emplois subsistaient. Alors que 97 % de la population avait acquis au moins un article de fripe dans l’année. « La concurrence du marché de la friperie a, à coup sûr, réduit à l’inactivité une bonne partie des tailleurs camerounais qui confectionnaient sur mesure pantalons, chemises, robes, jupes, vestes », souligne Kengne Fodouop, auteur du Marché de la friperie vestimentaire au Cameroun (L’Harmattan, 2006). C’est l’excellent rapport qualité-prix de la jupe à imprimé zèbre qui a séduit les consommateurs. Jusqu’à il y a peu.
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