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6-09-2007

La franchise nuit-elle à la santé ?

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Au secours, l’assurance maladie prend l’eau ! Pour sauver le système, le gouvernement ne jure que par la franchise, une somme non remboursée à l’assuré. Régression sociale ou solution pour responsabiliser les Français ? Deux spécialistes font monter la tension.
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Le signal d’alarme est tiré. En mai, le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses de santé dénonçait, une nouvelle fois, le dérapage des finances de l’assurance maladie : évalué initialement à 3,2 milliards d’euros, son déficit pourrait finalement dépasser les 5 milliards cette année. Pour y faire face, Nicolas Sarkozy propose d’instaurer des franchises sur les remboursements de soins. Cette solution fait polémique autant sur le plan économique – son impact positif sur les dépenses de santé est contesté – que sur le plan social – l’égalité d’accès aux soins est remise en cause. Pour en débattre, l’économiste Claude Le Pen et le médecin-écrivain Christian Lehmann.

Etes-vous favorables à l’instauration d’une franchise sur les remboursements de soins ?

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L’économiste Claude Le Pen - (Crédit William Beaucardet)

Claude Le Pen : Je suis favorable au principe de vraies franchises d’ordre public, c’est-à-dire un montant de dépenses non remboursables. Ni par la Sécurité sociale, ni par les mutuelles. Les plus pauvres pourraient en être exemptés, mais les plus riches ne pourraient s’y soustraire. Il n’est pas possible d’envisager le remboursement à 100 % de tout le monde. Cela n’existe nulle part. Mais les adversaires des franchises semblent croire que nous vivons dans un système idéal. Je suis aussi favorable au principe d’un paiement direct des soins par les usagers afin de les responsabiliser. Les soins ne sont jamais gratuits. Lorsqu’on ne les paie pas, ils reposent sur la collectivité. Le droit à la santé doit aussi impliquer des devoirs.

Christian Lehmann : Les franchises constituent la pire réponse à un vrai problème, celui du financement de la Sécurité sociale. La franchise, on nous l’a déjà faite une fois. En 2004, Philippe Douste-Blazy [alors ministre de la Santé, ndlr] mettait en place le forfait d’un euro restant à la charge des patients. Il s’agissait, selon lui, de les responsabiliser. C’était la dernière chance d’un système solidaire. Faute de quoi se profilaient un système de franchises et la fin de l’assurance maladie solidaire. Finalement, ce forfait d’un euro ne fut que le premier pas vers la franchise.

Voici un outil, purement économique, de gestion de la situation, sans réflexion sur le contenu médical. Selon Nicolas Sarkozy, si les Français deviennent responsables, forcément le déficit baissera et on pourra alors baisser la franchise. Et si le déficit augmente, c’est parce que les Français auront été irresponsables et on augmentera alors la franchise. Cette dernière devient la variable d’ajustement du système. Passer aujourd’hui à ce système de franchises, estce reconnaître l’échec de la réforme de 2004 ou bien l’accélération prématurée de cette même réforme ?

Claude Le Pen : Cet euro mis en place en 2004 constitue un forfait, pas une franchise. Dans mon esprit, cette dernière doit être capitalisable. Le patient paye une part sur les premiers euros dépensés, puis une fois un plafond de dépenses atteint, il commence à être remboursé. C’est un peu ce que propose Martin Hirsch avec son « bouclier sanitaire ». Sans le forfait d’un euro, le déficit se serait creusé de 500 ou 600 millions d’euros supplémentaires.

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Le médecin-écrivain Christian Lehmann - (Crédit : Editions Lafon)

Christian Lehmann : Pour être cohérent, il aurait fallu que les patients respectant le parcours de soin soient exonérés de ce forfait d’un euro. Or, on a choisi de faire payer tout le monde sans distinction et de pénaliser encore plus les individus qui consultent hors parcours. Les assurés souffrant de maladies chroniques – qui, par définition, consultent souvent –, mais qui n’ont pas choisi de médecin traitant, se voient alors pénalisés lourdement. Cela, parce que l’idéologie consiste à dire que les gens abusent, comme si le fait d’être malade était une faute. Les franchises représentent-elles un pas supplémentaire vers un système de santé privatisé ?

Claude Le Pen : Elles sont un élément du système public d’assurance maladie. On ne demande pas aux gens de prendre des assurances chez Axa ! Mais ce n’est pas parce que la SNCF est une entreprise publique que les gens ne payent pas leur billet de train. On doit payer pour la qualité des services publics. Leur dégradation est une arme en faveur de la privatisation, car elle crée un besoin. Les franchises ouvrent, au contraire, une perspective intéressante. Le système actuel n’est pas redistributif, il n’existe pas de tranches dans les cotisations, comme cela existe pour l’impôt sur le revenu. Les pauvres payent proportionnellement autant que les riches et sont remboursés de même. Une franchise pourrait imposer que les riches soient remboursés à partir de 50 euros de dépenses, et les pauvres dès 10 euros.

Christian Lehmann : Les franchises sont, selon moi, un premier pas vers la désolidarisation et la privatisation du système. Et surtout, ce système est basé sur une idéologie totalement déconnectée du réel qui voudrait que s’il y a un déficit financier du système de santé en France, c’est parce que les Français sont irresponsables. Tous les défenseurs de la franchise utiliseront cet artifice et traiteront les Français d’irresponsables. L’objectif est de responsabiliser les patients. Cela suffira-t-il à réduire les coûts ?

Claude Le Pen : On n’a jamais prétendu que les franchises allaient faire baisser la consommation de médicaments. La population vieillit, les soins modernes coûtent plus cher et les dépenses augmentent. Ceci est bon pour la croissance. Mais il faut trouver de nouvelles ressources et le rapport des masses est implacable. D’un côté, on a un déficit de l’assurance maladie d’environ 8 milliards d’euros, et de l’autre, le prélèvement – par exemple – d’un euro sur chaque boîte de médicament vendue ne rapportera que 3 milliards d’euros. Parmi les mesures prises jusqu’à présent, la baisse des honoraires des radiologues ne rapporte que 90 millions, soit un peu plus de 1 % du déficit, et crée des tensions avec toute une profession. On ne peut pas non plus se contenter de dire aux médecins de prescrire des génériques, même s’il faut le faire.

Christian Lehmann : L’idée de responsabiliser les patients suppose que ces derniers sont irresponsables. C’est étrange, car ces patients sont les électeurs de ceux qui viennent d’arriver au pouvoir. Alors il existe peut-être effectivement chez eux une certaine irresponsabilité… Puisqu’il semble qu’ils plébiscitent le gouvernement Fillon à 70 %, mais que, dans le même temps, ils sont opposés à 61 % à l’idée de franchise. Les franchises représentent-elles une nouvelle barrière pour l’accès aux soins des plus démunis ? Claude Le Pen : Qu’avons-nous à disposition en France ? Une couverture maladie universelle (CMU), un tiers-payant (75 % des médicaments délivrés sans paiement grâce à la Carte Vitale) et 9 Français sur 10 qui bénéficient d’une couverture complémentaire.

Malgré ce dispositif, le différentiel d’espérance de vie entre les ouvriers et les intellectuels, ou entre la région Nord et celle de Provence- Alpes-Côte d’Azur, s’élève à sept ans. Il faut cesser de ramener toutes les inégalités aux seules inégalités économiques. Cependant, je ne suis pas hostile à des visites de dépistage gratuites, une fois par an, qui pourraient être financées par les franchises. Cela éviterait ces effets retard qui, en repoussant le moment de se soigner chez les plus démunis, aggravent la maladie.

Christian Lehmann : La part des individus qui, chaque année, renoncent aux soins ou les retardent pour des raisons financières n’est pas négligeable. La franchise ne peut qu’aggraver les choses et désorganiser encore plus le système. Son idéologie consiste à dire que les gens doivent régler une partie de leurs dépenses de santé. L’objectif était le même lorsqu’on a supprimé l’option médecin-référent [1] qui permettait aux patients de bénéficier du tierspayant. Depuis, on constate une diminution de l’accès aux soins. Alors que la population augmente et vieillit, le nombre de consultations en médecine générale a diminué. On est passé insensiblement de 256 millions à 244 millions, puis à 240 millions de consultations. Il y a donc effectivement des gens qui renoncent à des soins. La franchise mise à part, y a-t-il d’autres pistes de financement possibles ?

Claude Le Pen : La TVA sociale, qui consiste à financer tout ou partie de la protection sociale par une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle permettrait de taxer plutôt la consommation et les importations que la production française et éviterait d’augmenter la CSG [contribution sociale généralisée, payée par les salariés et les employeurs, ndlr].

Christian Lehmann : Il faut mettre en place une filière de soins à partir de la médecine générale et donner à la médecine de ville les moyens d’une gestion cohérente du système en faisant en sorte qu’infirmiers, aides administratifs et médecins puissent travailler comme en Angleterre, au Danemark ou en Finlande. Mais personne ne veut le faire, car certains des lobbies les plus puissants – la médecine spécialisée, les cliniques, l’industrie pharmaceutique – voient d’un très mauvais œil la rationalisation réelle des dépenses. —


Christian Lehmann est né le 15 août 1958 à Paris. Médecin généraliste, il est auteur de romans et d’essais, dont « Patients, si vous saviez » (2003) et « Les Fossoyeurs » (2006). Il est à l’origine de « l’appel contre la franchise Sarkozy » (www. appelcontre lafranchise.org), pétition en ligne qui a recueilli plus de 53 000 signatures.

Claude Le Pen est professeur d’économie à l’université Paris- Dauphine, auteur de « Soigner le système de santé », in « Le Courage de réformer », édité par Claude Bébéar (Odile Jacob, 2002) et coauteur de « Sauver la Sécurité sociale », avec Didier Sicard (Desclée de Brouwer, 2004).

[1] L’option médecin référent est « l’ancêtre » du médecin traitant. Les patients pouvaient alors choisir, ou pas, leur médecin « préféré » chez qui ils bénéficiaient du tiers payant. Celui-ci recevait en contrepartie une somme annuelle de la Sécurité sociale en fonction du nombre de patients « abonnés ». Ce système a disparu à la fin 2006.

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