Un an à travers quinze pays d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie, le projet des « Vagabonds de l’énergie » avait un objectif clair : comprendre sur quoi reposent les stratégies énergétiques des pays.
Jeunes, futurs ingénieurs [1], nous sommes partis en juin 2010 à la découverte de toutes les énergies ! Un grand programme...
Quitter les bancs de l’école et aller voir ceux qui font. Confronter les idées reçues avec tous ceux qui ont bien voulu nous recevoir. Nous avons atteint les usines de liquéfaction de gaz du nord de la Norvège, bien au-dessus de la ligne au-delà de laquelle le soleil laisse les hommes dans l’ombre tout l’hiver.
Armés de nos sacs et de nos pouces, nous nous sommes abrités dans les maisons en paille des éco-villages allemands ou bretons. Nous avons ouvert les portes du ministère de l’Energie au Liban et tracé notre sillon jusque dans les mines de charbons en Ukraine. Les tours solaires d’Espagne ont percé l’horizon à l’allure de l’avancée de nos vélos, au milieu du périple de 3 000 km qui nous a ramené dans notre belle Normandie.
Voici la carte du périple :
Un an après la fin du voyage, il est temps de donner du sens à cette masse d’information, digérer la soixantaine de projets énergétiques visités et le passage dans une dizaine d’universités. Après cela, on pourrait être tentés de tirer de grandes conclusions sur les stratégies énergétiques à tenir. On serait surtout tentés de pointer du doigt les meilleures énergies à développer au regard du seul critère de la performance énergétique, ce que, au fond, nous voulions faire en partant. Mais nous aurions finalement appris bien peu de choses si l’on s’en tenait là.
Il faut l’admettre : aucun pays ne se base sur le seul critère de la performance technique pour choisir parmi les systèmes disponibles et construire une stratégie énergétique. La meilleure façon de s’en convaincre est d’observer la pluralité des paysages énergétiques, différents d’un pays à un autre. Le critère de performance est présent, mais au second plan. Avant lui, rentre en ligne de compte : l’indépendance énergétique, la géopolitique, les infrastructures existantes, les savoir-faire mais aussi les modes d’organisation (transports, état et densité du réseau électrique, modèle de développement,etc.) et les habitudes sociales.
L’enjeu n’est pas de savoir quelle source d’énergie pourra remplacer les énergies fossiles. Il est de comprendre qu’une source d’énergie ne peut trouver sa place si les structures sociales ne sont pas capables de la recevoir. L’énergie solaire, par exemple, est le seul apport d’énergie extérieur à notre planète, c’est le formidable moteur du climat et des écosystèmes. Certains laissent entendre que cette manne énergétique ne pourrait pas alimenter nos activités humaines. Pourtant, le potentiel est évidemment suffisant, mais le blocage n’est pas là. Le fait est que l’énergie solaire captée est directement proportionnelle à la surface de captage. Une industrie consommatrice d’énergie solaire préférera l’espace des campagnes, plutôt que la ville et son prix élevé du mètre carré. Et puis, notre organisation sociale n’est pas capable de moduler ses activités en fonction de la ressource disponible, de la saison ou de l’heure de la journée.
On comprend que l’ampleur du changement serait sans doute plus social que technique… Pour les énergies fossiles, nous avons su placer géographiquement nos activités près des fleuves, des mers, des ports et des pipelines, là où l’énergie était accessible. Maintenant qu’elle l’est moins, c’est sur un plan sociétal que notre stratégie a besoin de se déplacer afin de se créer l’accès aux autres sources d’énergies. La situation énergétique actuelle et à venir dépend de la situation sociale actuelle plus que de toute autre avancée technique.
Le changement sera-t-il subi ou choisi ? Il y aura un changement d’organisation sociale parce que les ressources sur lesquelles nous nous reposons sont finies. Nous nous adapterons mais c’est de stratégie dont il est question et de la manière dont nous voulons faire nos choix énergétiques dont il faut discuter.
Des organismes tentent de dessiner des scénarios énergétiques pour évaluer les moyens dont nous disposons pour effectuer la transition. Trois leviers sont mis en évidence : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Les deux derniers font appel respectivement à des compétences techniques d’optimisation et d’innovation. La sobriété énergétique concerne, elle, directement les comportements, les habitudes sociales et nos modes d’organisations. C’est le levier à activer et qui définit la notion de besoin : quelle quantité d’énergie minimum est utile et nécessaire au fonctionnement de nos activités humaines ? L’énergie la plus facile à produire est celle qu’on ne consomme pas. La sobriété énergétique devient donc un vrai axe de développement. N’est-ce pas, en effet, ce que nous recherchons : l’énergie la plus facile à produire ?
En France c’est Négawatt, une association au nom évocateur, à l’influence grandissante depuis 2001, qui a fait une place à la sobriété énergétique. Le scénario Négawatt 2011 (voir graphes ci-dessous) place la sobriété à la première place, c’est un potentiel à exploiter. Comparaison des productions (TWh) en énergies primaires entre le scénario tendanciel, scénario du laisser faire (à gauche) et le scénario Négawatt 2011 (à droite) :
En Allemagne, les choix énergétiques des décennies passées ayant préparé le terrain, c’est le gouvernement lui-même qui intègre, implicitement, la notion de sobriété dans ses scénarios (scénario de production brute d’électricité ci-dessous) :
Comme Négawatt, ce scénario du gouvernement allemand prévoit une réduction de la demande d’électricité. La comparaison entre les deux graphiques fait clairement apparaître une vision unique de la route à suivre. Cette réduction des besoins est la conséquence d’une sobriété énergétique.
Ce recours à la sobriété est nouveau pour les énergéticiens et c’est un travail sur le tissu social qui s’annonce. Sur le terrain, pendant cette année en tant que « vagabonds de l’énergie », la plupart des acteurs de l’énergie rencontrés avaient conscience des limites de la technologie. Ils partagent le sentiment d’un nécessaire changement de comportement des populations, sinon d’une prise en compte de ses comportements. Une mutation sociale peut se révéler bien plus efficace que toute innovation énergétique (ex : pratique du covoiturage). A l’inverse, l’adaptation de la technique sans prise en compte des comportements sociaux ne produit pas toujours le gain espéré (aussi appelé « effet rebond » : diminuer la consommation de carburant des voitures peut encourager les consommateurs à acheter des voitures plus puissantes ou à l’utiliser plus souvent).
La sobriété énergétique est une filière qui s’ouvre, il faut inventer les outils et les moyens de la mettre en œuvre. L’avenir de l’énergie, c’est moins d’énergie.
Retrouvez ici le récit des aventures des Vagabonds de l’énergie.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions