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29-02-2016
Mots clés
Agriculture
Afrique
Reportage

L’Ethiopie s’assèche dans le silence

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Suiv

Dans la région d’Awash, cette femme transporte des jerrycans jusqu’au point d’eau.

Prec
Suiv

Dans la région d’Awash, le bétail n’a nulle part où paître. Des étendues de poussière à perte de vue ont remplacé les champs.

Prec
Suiv

Abdou a arraché une partie de son maïs pour semer des tomates.

Prec
Suiv

Le maïs a séché sur pied, les grains ne se sont pas développés.

Prec
Suiv

Dans la région d’Awash, un bœuf dans un champ de maïs tout juste récolté.

Prec

Cet enfant va chercher des réserves d’eau, avec l’aide de mulets.

 
Dans tout le pays, la dernière saison des pluies, dont 90% de la population dépend, a été désastreuse. La famine menace quinze millions d’habitants et le gouvernement fait l’autruche.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Awash. Un plateau désertique de la vallée du Grand Rift, au pied d’un volcan éteint. Sous le cagnard, un demi-millier de moutons et de chèvres attendent leur tour pour s’abreuver. La source, la seule sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, est une flaque brunâtre. Wako (1), fermier et éleveur de 26 ans, a perdu la moitié de son troupeau : « Partout autour, les bêtes avaient l’habitude de brouter. Maintenant il n’y a plus rien. » Des reliques d’herbes folles craquent sous les pattes des animaux qui n’essaient même plus de chercher la verdure. Awass Abomsa, la barbe grisonnante, est le chef de la communauté. Son regard abîmé par la cataracte sombre dans le vide : « La saison des pluies est devenue la saison sèche. Nous ne pouvons rien faire d’autre que prier Dieu. »

Au début de l’année 2015, le phénomène El Niño n’a pas épargné la Corne de l’Afrique. Ce courant venu des côtes occidentales sud-américaines s’étend vers le Pacifique sud. « L’enfant terrible » a frappé fort, bouleversant la météo des côtes africaines. Lors de la période de semis, la pluviométrie a été dramatiquement basse. Et le désastre s’est poursuivi à l’été lors de la mousson, qui n’a rien donné à son tour.

La route des volcans continue de sinuer vers le sud du pays. La végétation aussi a déserté. Un troupeau de chameaux grignote les branches d’acacia. Au sol, l’argile craquelle, la terre a laissé place à une poussière blanchâtre. Des hectares de maïs verdoyants s’étendaient là, à la même période, l’an dernier. Mais aujourd’hui, rien. La ville de Ziway est postée sur les rives du lac homonyme, à 160 kilomètres au sud d’Addis-Abeba, la capitale de l’Ethiopie. Entre la seule route bitumée et les berges, les champs de légumes et de céréales se succèdent. Les paysans profitent de la proximité du lac pour irriguer leurs plantations lors de la saison sèche. Mais cette année, l’arsenal de pompes a été vain. Abdou et sa famille possèdent trois hectares de terres. Derrière la fine barrière de bambous tressés, les tiges de maïs ont séché sur pied. « C’est une catastrophe », soupire Abdou, sans trouver d’autres mots. L’agriculteur trentenaire, en jean et baskets, tient une minuscule poupée de maïs dans la main comme un croyant s’accrocherait à une statuette de la Vierge. Mais le miracle n’est pas venu. Les grains ne se sont pas développés, comme s’ils étaient restés à l’état fœtal. « Quand on s’est rendu compte que la pluie ne venait pas, on a amorcé les pompes électriques qui puisent dans le lac plus bas. Mais c’était trop tard. » Très vite, Abdou a changé son fusil d’épaule : « Comme je savais que le maïs n’allait rien donner, j’en ai arraché la moitié pour semer des tomates. » Sa famille a investi 200 000 birrs d’urgence, soit un peu plus de 8 000 euros, dans l’achat de semis et d’un nouveau système d’irrigation. Entre les rangées, l’eau coule à petits flots, la terre est constamment humide. Mais les fruits ont une mine des sales jours. Abdou s’accroupit : « Vous voyez ces petits points grisâtres ? Il y a un ver à l’intérieur. C’est comme ça partout. Je ne comprends pas. » Son regard impassible camoufle mal le ton dépité de sa voix. Le matin même, il a aligné sur le bord de la route une douzaine de cageots de ses plus belles prises. Il fait signe à son petit frère de rentrer la marchandise. « Personne n’en veut. Même au marché local, on ne m’achètera pas mes produits. » Abdou n’a pas lâché sa poupée de maïs. Avec ses économies, il tiendra jusqu’à l’an prochain en se serrant la ceinture. Si, l’an prochain, la pluie tombe.

De l’autre côté de la route, un chemin de terre s’enfonce vers les villages reculés. L’asphalte semble diviser deux mondes, celui du lac et celui de la plaine. Après trente kilomètres de sable, la piste mène à une mosquée entourée d’une dizaine de cahutes. Une poignée d’enfants et un chien mal en point traînaillent. Mustapha surgit d’une maison. Il est fermier, comme tous au village. Son champ est à une centaine de mètres. Du moins ce qu’il en reste. « J’avais planté du maïs et du blé. » Il donne un coup de pied dans une motte de terre qui s’effrite sans bruit. « On n’a rien sauvé. Rien. » En bord de piste, une étendue de maïs, verte et longiligne, avale l’eau qu’un arroseur automatique crache en plein cagnard. Mustapha observe. « C’est un investisseur étranger qui possède ce champ. Je ne connais pas sa nationalité. Un Blanc. » Le regard de ce père de famille ne laisse rien deviner de ses sentiments. « La plupart des villageois ici n’ont rien récolté. Maintenant, ils travaillent pour lui. Ils sont journaliers. » Une reconversion à la va-vite qui sauve les fins de mois. Mais tous n’ont pas de plan B.

Stoïques et impuissants

La piste continue de s’enfoncer vers le village isolé de Djido Kombolcha. La silhouette de Gana, en polo rouge vif, tranche dans le paysage jaunâtre. La poussière a recouvert le pelage des chameaux comme les murs en torchis des maisons. Son voisin à la barbe bien taillée et ses deux femmes l’accompagnent dans le champ nu autour de la maison. Père de 8 enfants, il a dû envoyer les trois plus jeunes chez des proches en ville. « Cette année est dramatique pour le village. Nous avons une pompe électrique pour obtenir de l’eau. Mais quand il n’y a pas d’électricité… » Gana ne finira pas sa phrase. L’accès à l’eau a été rompu pendant un mois. Les femmes allaient remplir des jerrycans une trentaine de kilomètres plus loin. Mais, face à la pénurie, il a fallu faire des sacrifices. « J’ai perdu toutes mes chèvres. J’avais quelques vaches ; j’en ai vendu la moitié, pour pouvoir acheter de la nourriture au marché. Mais qu’est-ce que je vais faire l’an prochain ? Je n’ai pas pu sauver de graines pour ressemer. Je n’ai plus mes bœufs pour labourer… » Gana a reçu une aide d’urgence du gouvernement : 50 kilos de blé et un litre d’huile pour deux semaines. Sa famille espère un nouvel arrivage. « Près d’ici, deux enfants sont morts, le père a quitté le domicile. Est-ce que c’est lié à la sécheresse, ou d’autres problèmes, je ne sais pas… » Face à ce drame, Gana et sa famille restent stoïques et impuissants. Ils savent que d’une mauvaise récolte à la famine, il n’y a qu’un pas.

Un million de victimes en 1984

Au centre de soins de la petite ville voisine de Meki, les locaux sont désertés. Un troupeau de chèvres somnole le long des murets. Le silence se rompt quand une femme vient chercher des médicaments pour son fils en guenilles. L’infirmière en chef est prudente. Derrière ses lunettes à épaisses montures noires, son regard s’adoucit. Elle admet : « Il y a un mois, nous avons reçu deux bébés en situation de malnutrition sévère. Nous les avons gardés trois semaines en observation. Les villages sont très éloignés. Souvent les habitants ne peuvent pas venir jusqu’à la clinique. » Et le registre des patients admis ? Le regard sévère revient en boomerang. « Oui… mais… Je n’ai pas les clés. » Point final de la discussion. La clinique est publique. L’infirmière, fonctionnaire. Et au gouvernement, on ne parle pas de famine. Le mot est tabou. Getachew Reda, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, le martèle : « Nous n’avons pas eu vent de personnes qui auraient perdu la vie à cause de la sécheresse. Des gens meurent ici et là. Mais il n’y a pas de cas de décès dû à la sécheresse. »

A Addis-Abeba, parler aux ONG ou aux associations humanitaires est quasi mission impossible. Le gouvernement ne délivre pas d’autorisation de reportage dans les régions affectées. Depuis le centre-ville, la sécheresse semble tout simplement ne pas exister. Une Ethiopienne, membre d’une organisation internationale, confie être inquiétée elle-même lorsqu’elle travaille sur le terrain. « Quand je prends des photos, il y a toujours un policier ou un membre des renseignements qui vient me poser des questions. Quand je dis que je suis humanitaire, ils me fichent la paix. Mais je suis Ethiopienne et je comprends. Les étrangers détériorent l’image du pays en parlant de la sécheresse. » En Ethiopie, où la croissance économique avoisine les 10% depuis la dernière décennie, le mot d’ordre est « développement ». Avec bientôt le plus grand barrage du continent, l’un des premiers tramways africains inauguré à l’automne et un chemin de fer flambant neuf prévu pour l’an prochain. Le gouvernement veut enterrer l’image de pays non développé. Le souvenir des terribles famines des années 1970 et 1980 traumatise encore. En 1984, la sécheresse, en temps de guerre civile, avait fait un million de victimes. Alors que les télévisions occidentales déversaient des images d’enfants faméliques, l’aide humanitaire s’organisait en grande pompe.

Plan d’urgence de l’ONU

Pourtant, les chiffres de l’ONU sont déconcertants. En janvier, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui a présenté un plan d’urgence de 50 millions de dollars (44 millions d’euros), affirmait que 10,2 millions de personnes seraient affectées en 2016, soit un dixième de la population éthiopienne. Ce chiffre pourrait s’étendre à 15 millions si l’aide humanitaire d’urgence n’est pas suffisante. Selon les Nations unies, l’Ethiopie aurait besoin d’une aide étrangère estimée à 1,4 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros). Ayman Omer, directeur d’Oxfam Ethiopie, dépouille nerveusement son paquet de cigarettes : « L’éternel problème est la concurrence. Il allume une blonde. Même si ce mot est dur, c’est la réalité. Les donateurs aujourd’hui se focalisent sur d’autres crises : la Syrie, le Yémen, le Soudan du Sud, l’afflux de réfugiés en Europe… » L’ONG assiste actuellement près de 150 000 personnes dans les zones les plus affectées, situées dans l’est du pays – dans les régions Afar, Somali et l’ancienne Arsi occidental (aujourd’hui Oromia). Elle prévoit de passer à 800 000 d’ici à juin. Mais en début d’année, l’organisation avait engrangé 5 millions de dollars (4,4 millions d’euros) de donations. Le filtre est écrasé dans le cendrier. « Nous espérons récolter 25 millions de dollars (22 millions d’euros) d’ici à l’été », souffle Ayman Omer.

Une humanitaire américaine confie : « En Ethiopie, vous savez que cet argent est investi. Et comment il est investi. Ce n’est pas un Etat en guerre. Et le gouvernement, même s’il ne communique pas, fait énormément d’efforts. » Les exportations de produits agricoles sont la principale source de revenus du pays : 45% du PIB et 60% des exportations, selon la Banque mondiale. Elles ont cette année quasiment cessé. Le gouvernement a acquis un million de tonnes de blé. Au port de Djibouti, le commerce s’est inversé : les bateaux déversent des centaines de containers vers l’ancienne Abyssinie. Depuis 2005, le programme baptisé « Filet de sécurité productif » fournit chaque année à près de 5 millions de personnes une aide alimentaire et financière qui permet d’éviter des situations de crise. Ce plan de secours vise à venir en aide aux populations en situation d’insécurité alimentaire chronique. « Ce programme est un matelas de sécurité vital, admet John Graham, directeur de Save the Children Ethiopie. Mais, en termes de pluviométrie, nous faisons face à la pire sécheresse depuis les années 1980. » Selon l’Organisation météorologique mondiale, cette année a connu le troisième plus dévastateur El Niño depuis le milieu du XXe siècle. « En Ethiopie, 90% de la population dépend de la mousson de juillet-août. Dans les régions de plaines, les éleveurs ont perdu leur bétail. Ils commencent à s’installer en ville, à chercher un nouvel emploi. Ils ne retrouveront plus leur vie d’avant. » Save the Children a placé cette année l’Ethiopie en priorité numéro un, au même titre que la Syrie. Comme le reste de la Corne de l’Afrique, le pays est habitué aux bouleversements climatiques. Le dernier en date remonte à 2011, quand la pluviométrie avait été anormalement faible. Près de 5 millions de personnes ont eu besoin d’assistance humanitaire. On l’appelait alors la « sécheresse verte ». Lorsque le paysage est luxuriant, mais que rien ne pousse. Une sécheresse invisible. —

(1) Nous ne publions pas tous les noms de famille pour préserver l’anonymat des personnes interviewées.

Pour aller plus loin


- Le programme « Filet de sécurité productif »
- Le plan d’urgence de la FAO
- Save the Children Ethiopie

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Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

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