On a fait quelques progrès pour stocker les données numériques depuis la bonne vieille disquette des années 1990. Mais vu la quantité astronomique d’infos digitales crachées chaque jour, il va falloir faire mieux. D’après le dernier rapport de l’entreprise américaine de logiciels et systèmes de stockage EMC, l’univers digital va être multiplié par 10 entre 2013 et 2020, passant à 44 milliards de gigaoctets. Si on stockait ces données dans des tablettes numériques qu’on empilait, on aurait atteint, en 2013, deux tiers de la distance entre la Terre et la lune. En 2020, cette pile représenterait 6,6 fois ce trajet.
Et nos disques durs, clés USB, CD, serveurs, en plus d’être encombrants, ont une durée de vie dérisoire. Difficile de donner des chiffres précis, car nous manquons de recul, mais ils ne résisteraient probablement que quelques décennies. Impossible de passer à la postérité avec ça. Une idée a donc émergé dans une poignée de labos : stocker le tout dans de l’ADN.
Après tout, l’acide désoxyribonucléique (ADN), présent dans chacune de nos cellules, conserve des données et les transmet de génération en génération depuis la nuit des temps. Il utilise un code binaire, point commun essentiel avec nos données numériques, à ceci près que, dans l’ADN, on ne trouve pas des 0 et des 1, mais des nucléotides baptisés adénine, thymine, guanine et cytosine. Dans la double hélice d’une structure ADN se succèdent des paires d’adénine-thymine (AT) et de guanine-cytosine (GC). Une information binaire qui, à elle seule, renferme tous les secrets des êtres vivants. Pour stocker nos données digitales, on peut utiliser des AT et des GC à la place des 0 et des 1. D’autant que, depuis la fin des années 2000, les scientifiques savent fabriquer de l’ADN. Le prix de la technologie consistant à créer ex nihilo des chaînes de nucléotides et à les assembler comme des Legos dégringole d’année en année. Et l’idée de convertir cet ADN synthétique en disque dur se fait de plus en plus plausible. Elle fait même des pas de géant. En 2012, avec les travaux de deux équipes.
Les mammouths à la rescousse
A l’Ecole médicale de Harvard, à Boston (Etats-Unis), le professeur George Church a converti en ADN son propre livre sur la biologie de synthèse, contenant 54 000 mots et 11 images. Cet ADN a été dupliqué pour former jusqu’à 5,27 mégabits d’informations, puis retranscrit sous forme numérique pour que l’œuvre soit à nouveau lisible. Au cours du processus, seules 10 erreurs ont été engendrées. La même année, à l’Institut européen de bioinformatique, en Angleterre, une équipe transformait en ADN, puis de nouveau en documents numériques, le fameux discours de Martin Luther King, une photo, un document PDF et tous les sonnets de Shakespeare, soit 739 kilooctets. Aucune erreur détectée au final. Et l’équipe affirmait que son ADN-disque dur, conservé dans un endroit frais, sec et sombre, pourrait tenir dix mille ans.
En ce début d’année, des Suisses ont avancé l’idée d’un cran encore. A l’Institut de technologie de Zurich, des chercheurs se sont inspirés de l’ADN fossilisé de mammouths et autres bêtes préhistoriques. Dès les années 1980, on a réussi à faire parler des séquences génétiques d’animaux fossilisés. L’équipe a encapsulé ces données numériques converties en ADN dans de la silice (du verre), une sorte de coquille fossile de synthèse.
Un million d’années de données
Pour éviter les erreurs, elle a créé un algorithme correcteur qui agit lors de la conversion des données. Elle a aussi simulé la dégradation sur le long terme en maintenant la capsule entre 60 °C et 70 °C pendant un mois. Résultat : les scientifiques affirment que la durée potentielle de conservation de leurs infos converties en ADN est d’un million d’années.
Cette perspective nourrit même les fantasmes de certains. « 90% de notre ADN est maintenant considéré comme déchet génétique, soit de l’ADN sans fonction apparente, souligne Mauricio Castillo dans l’American Journal of Neuroradiology, dont il est rédacteur en chef. Peut-être le jour viendra où nous pourrons utiliser cet espace pour encoder à l’intérieur de chaque cellule humaine notre histoire et accumuler des connaissances. » Si on parvient à conserver les données numériques pour des millénaires, éventuellement à l’intérieur de nos cellules, il va falloir songer à publier moins d’âneries sur Internet ! —
Pour aller plus loin
L’American Journal of Neuroradiology
L’Institut de technologie de Zurich
L’Institut européen de bioinformatique
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