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31-08-2006
Mots clés
Finance
Europe

Jersey, l’île aux trésors

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A une heure de ferry de Saint-Malo, Jersey est un écrin pour touristes. Mais l'île anglo-normande cache d'autres "vertus". Elle est le deuxième territoire le plus riche d'Europe après le Luxembourg. Terra Economica vous emmène à la découverte de ce paradis fiscal.
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Saint-Hélier, capitale de Jersey, la plus grande des îles anglo-normandes. Un bâtiment anodin. Aucun signe extérieur ne laisse deviner l’importance du lieu. Nul policier, militaire ou garde royal en faction. Pas non plus la moindre plaque sur la façade. Et pourtant, ce bâtiment austère abrite le siège du conseil des ministres. Il héberge aussi et surtout le bureau du chief minister, l’équivalent d’un Premier ministre, ainsi que l’administration centrale du pays.

"Les Jersiais aiment la discrétion", sourit John Harris, directeur du département de finance internationale. Ce fringant quinquagénaire, anglais de naissance, jersiais d’adoption et francophile distingué, occupe un modeste bureau au cinquième étage de Cyril Le Marquand House, le 10 Downing Street local. John a tombé la veste. Son job ? Vendre la meilleure image possible de Jersey auprès des multinationales, riches particuliers et accessoirement des journalistes.

Une réputation sérieusement écornée depuis qu’en juin 2000 l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a classé l’île sur la liste des 35 "paradis fiscaux non coopératifs". Selon elle, un paradis fiscal est une "juridiction" imposant peu ou pas les revenus de capitaux et présentant en plus l’une des trois caractéristiques suivantes : manque de transparence, refus de fournir des informations aux autorités étrangères, possibilité d’implanter des entreprises fictives. Bonne nouvelle pour les îles anglo-normandes, l’organisation internationale lève sa mise à l’index moins de deux ans plus tard. Explication : Saint Hélier et sa cousine Guernesey ont, selon elle, "pris des engagements pour améliorer la transparence de leurs systèmes fiscaux et réglementaires et établir un échange effectif de renseignements à des fins fiscales avec les pays de l’OCDE".

Bienvenue dans une Jersey plus propre ? Experts indépendants, économistes, universitaires, militants altermondialistes et certains décideurs politiques en doutent. "Dans l’esprit des Français en particulier, Jersey continue de représenter le pire en matière de fraude fiscale et de malversations financières", soupire John Harris. Pas faux. Le rapport parlementaire Montebourg/Peillon [1] accuse le Royaume-Uni d’avoir sciemment laissé prospérer ses poussières d’empire défiscalisées.

Paradis fiscal un jour, paradis fiscal toujours ? John Harris répond qu’au cours des dernières années, Jersey a voté les réformes qu’il fallait pour enterrer sa mauvaise réputation. En 1999, le Parlement adopte une loi sanctionnant pour la première fois le délit de fraude fiscale et renforce la législation encadrant les trusts, grande spécialité de l’île. Le tout, quelques mois après la création de la Commission des services financiers de Jersey, un organisme de contrôle "totalement indépendant", selon Harris. A ceci près que son président, un certain Colin Powell, occupa les fonctions de conseiller gouvernemental en "développement stratégique" de 1969 à 1999. Le même préside aussi, depuis 1981, l’OGBS (Offshore group of banking supervisors), une association de lutte contre le blanchiment d’argent regroupant dix-neuf centres offshore, et basée à Saint-Hélier.

Curieusement, cet organisme ne présente pas la moindre information (rapports, évaluations ou statistiques) sur son site Internet [2]. Surtout, de gros obstacles à la volonté de transparence affichée par les autorités jersiaises subsistent. Ainsi, les entreprises domiciliées sur l’île peuvent toujours se passer de publier des comptes audités.

Autre "lacune importante" dans le système anti-blanchiment de l’île relevée par l’OGBS : lorsqu’un propriétaire de fonds est représenté par un intermédiaire financier (avocat, comptable, conseil), "la banque n’est pas tenue d’engager les procédures d’identification de l’ayant droit économique réel". En clair, le véritable propriétaire des fonds peut se dissimuler derrière un prête-nom. Mais ce dernier doit connaître l’identité de son client "sous peine de poursuites pénales", insiste John Harris. "En pratique, les banques ne sont pas si regardantes", affirme pour sa part Prem Sikkha, professeur de gestion à l’Université d’Essex (Angleterre).

"Paradis fiscal, oui, mais paradis éthique !"

Autant de failles qui n’empêchent pas la dernière évaluation du Fonds monétaire international (FMI) de conclure que "le système financier et réglementaire de Jersey respecte totalement les normes internationales". "La preuve, ajoute John Harris, Jersey s’est engagée vis-à-vis de l’OCDE à échanger des informations fiscales dans les affaires judiciaires civiles." Mais pas au point de se montrer meilleure élève que le Luxembourg et la Suisse, qui traînent des pieds au nom du secret bancaire. "Nous n’accepterons pas la logique du deux poids deux mesures", prévient-il. Un argumentaire au cœur du discours officiel. Autre slogan bien rôdé, l’île anglo-normande appartiendrait à la catégorie des centres offshore "éthiques". Tout le contraire de ces pirates des Caraïbes des temps modernes : Bahamas, Caïman, Antilles néerlandaises...

Attablés à un café de Royal square, tout près de Cyril Le Marquand House, deux hommes discutent. Geoff Southern est député de Saint-Hélier. "Je me classerais plutôt au centre gauche de l’échiquier politique, ce qui me vaut d’être considéré ici comme un dangereux subversif", s’esclaffe-t-il. Chris Steel, trésorier d’Attac Jersey, cultive pour sa part un style moins enjoué. "Si l’on taxait l’argent évaporé dans les 70 paradis fiscaux, dont Jersey, on récupérerait chaque année 250 milliards de dollars. De quoi régler les problèmes de pauvreté de la planète", assure-t-il.

Ma cabane à Jersey... contre un palace à Londres

En termes de revenu par habitant, la possession britannique se classe au deuxième rang des territoires les plus riches d’Europe, après le Luxembourg. Il faut dire que cet îlot peuplé de 87 000 âmes, gère plus de 560 milliards de livres d’avoirs sous forme de dépôts bancaires, fonds d’investissements et autres trusts. Un jackpot que se partagent banquiers, multinationales et grandes fortunes. Sans oublier les 12 000 salariés travaillant dans le secteur financier, lequel représente 60 % du produit national brut insulaire.

Mais cette manne, liée à un privilège fiscal vieux de neuf siècles, a son revers. Le coût de la vie n’en finit pas de grimper depuis que Jersey est devenue l’un des principaux centres offshore européens. Impossible d’y acheter un deux pièces à moins de 230 000 livres (320 000 euros environ). Les prix de l’immobilier sont 85 % plus élevés qu’au Royaume Uni et 28 % qu’à Londres, pourtant l’agglomération la plus chère d’Europe. "J’ai vendu ma maison à Jersey pour en acheter une plus grande à Londres", témoigne John Christensen, ancien conseiller économique du gouvernement jersiais, passé dans l’opposition après onze ans de services. L’égalité est toutefois de mise en matière d’impôt sur le revenu. Pour l’ensemble des contribuables, le taux d’impôt est fixé à 20%. "Sauf pour les grandes fortunes, qui peuvent négocier leur taux de gré à gré avec le fisc", nuance John Christensen.

Dans la même veine, le gouvernement doit instituer à partir de 2008 une TVA de 3%, la "GFT", payable par tous les consommateurs au même niveau, histoire d’alimenter les caisses de l’île. Car il faut bien compenser l’abaissement à 0 % de l’impôt sur les sociétés, qui générera un "trou" de 85 millions de livres. L’équivalent de 25% des recettes fiscales.

Passeport au rabais

Mais les insulaires grondent pour d’autres motifs. Les Jersiais de souche se plaignent notamment du "passeport au rabais" qui leur est attribué. En échange de la sauvegarde de son exemption fiscale négociée lors de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne en 1973, Jersey a en effet renoncé à intégrer l’UE. Conséquence : comme le mentionne leur passeport, les quelque 5 000 Jersiais "de souche" ne peuvent ni s’installer, ni travailler dans aucun des pays membres, à l’exception du Royaume-Uni. Pas question de s’exiler à Saint-Malo, à 20 kilomètres seulement des côtes de Saint-Hélier ! Tout juste peuvent-ils aller s’y faire soigner. A leurs frais bien sûr. "Rubbish passport !", enrage Patricia Cox, secrétaire d’Attac Jersey "Passeport de m... "

Chauvins, les camarades alters ? Pour une fois que des étrangers, fussent-ils millionnaires, sont mieux traités que les autochtones...

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Sous le règne des trusts

Trust : le mot, nimbé de mystère, rime avec haute finance et grand capital. C’est en tout cas la grande spécialité de Jersey, qui compte 200 sociétés de trusts déclarées et des milliers d’autres plus "informelles". Le trust ou fiducie en français est un acte juridique par lequel le "settlor" transfère des biens à un « trustee » afin que ce dernier les administre ou les affecte en faveur d’une ou plusieurs personnes qui en seront les bénéficiaires réels. "D’utilisation extrêmement souple - une simple lettre - et largement vanté pour permettre une gestion patrimoniale en toute discrétion,[il] a depuis longtemps été détourné à d’autres fins par tous les blanchisseurs et délinquants financiers soucieux de préserver leur anonymat", soulignent Arnaud Montebourg et Vincent Peillon dans leur rapport. Il n’existe aucune obligation d’enregistrement pour les trusts. Un proverbe suisse résume parfaitement la situation : "L’Angleterre et ses dépendances d’outre-mer n’ont pas besoin du secret bancaire pour bénéficier de ses avantages... "

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  • A part la défiscalisation qui n’est qu’un acte virtuel et qui ne profite qu’au "banquiers de l’ombre" quel est l’intéret physique pour les Jersiais de rester sous le régime de la couronne puisqu’il semblerait qu’il sont pris dans un entonnoir et que cela ne va pas s’arranger dans les années à venir au vu de l’augmentation du cout de leur vie.
    Ne devraient-ils pas s’ouvrir plus sur l’europe et sa zone €uro ?

    23.03 à 09h54 - Répondre - Alerter
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