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27-03-2011
Mots clés
Energies
Europe
Reportage

Je vous écris de Tchernobyl

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Je vous écris de Tchernobyl
(Crédit photo : Markus Marcetic - Moment - VU)
 
En 2003, je me suis rendue en zone contaminée, en Ukraine et en Biélorussie. En 2005, j’ai vu la centrale et erré dans Prypiat, la ville fantôme distante de deux kilomètres. Je n’en suis jamais revenue.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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En mars 2003, je suis partie pour la première fois à Tchernobyl pour le quotidien Libération. Aucun anniversaire ne se profilait à l’horizon – la fenêtre de tir médiatique s’ouvre tous les cinq ans – et personne, dans la presse, ne s’y intéressait. J’étais donc peinarde. Pour me rendre compte des conditions de vie en territoire contaminé, je n’avais pas le choix, il fallait y aller. Mais moi, je voulais plus. Je voulais vivre et sentir ce que vivaient les populations locales. J’ose écrire que j’étais excitée par le danger que je m’apprêtais à courir. C’est peut-être cela que sentent les reporters de guerre. Sauf qu’en l’occurrence, la radioactivité est un ennemi invisible, indolore, inodore… et le danger qu’elle représente est complexe à déterminer.

En Ukraine, où se trouve la centrale, peu de monde vit en zone contaminée. J’ai donc décidé de partir en Biélorussie, à quelques kilomètre au nord, là où 70 % des rejets radioactifs de Tchernobyl se sont répandus dans la plus grande invisibilité. Là-bas, deux millions de personnes, sur les dix que compte le pays, vivent dans des territoires contaminés à des degrés divers. Vingt-cinq ans après l’explosion du réacteur 4, le 26 avril 1986, près d’un quart du pays reste souillé, par poches, par du césium 137, un radionucléide dont la demi-vie est de trente ans. Cela signifie que la radioactivité de cet élément aura seulement diminué de moitié en 2016. Et qu’en clair, la Biélorussie est atteinte pour des siècles. La confrontation avec ces échelles de temps m’a toujours laissée songeuse.

Deux vieilles babouchkas

Dans les forêts de bouleaux, le compteur Geiger crépitait pour indiquer 200, 300 voire 600 micro-rœntgens par heure. Par comparaison, à Minsk, la capitale de la Biélorussie, le bruit de fond de la radioactivité naturelle est de 12 microrœntgens par heure, une dose quinze à cinquante fois inférieure. Or, si ces bois sont contaminés, tout ce qui y pousse ou y vit l’est aussi : les champignons dont raffolent les habitants, mais aussi les baies, les arbres et le gibier. Il n’est pas rare, vous savez, de retrouver des sangliers contaminés dans les forêts allemandes où s’est accroché le nuage… De fait, toute la chaîne alimentaire est touchée. En Biélorussie, on peut cueillir, vingt-cinq ans après l’accident de Tchernobyl, des champignons qui affichent une « activité » de 240 000 becquerels par kg (1) ou mesurer du lait de vache à 2 000 becquerels par litre. L’activité d’un humain de 70 kg ? Environ 8 000 becquerels.

Je me souviens du froid et de la pluie, de bourgades abandonnées de part et d’autres d’immenses routes désertes. Vers Bartolomeevska, un des nombreux villages évacués du sud-est de la Biélorussie, je suis tombée nez à nez avec deux vieilles babouchkas, Léna et Liouda, le visage encadré par d’antiques fichus fleuris. De retour d’un lointain marché, elles traînaient deux cabas brinquebalants sur une route balayée par les vents, au cœur d’un no man’s land atomique. C’est auprès d’elles que j’ai reçu une bonne leçon de philosophie à la russe. « La radioactivité, mon petit, on en mange tous les jours, mais on s’en fiche. Nous sommes vieilles, il ne se passera rien de grave. » Interroger ceux qui habitent là-bas est toujours une épreuve. Ils vivent loin de tout mais au plus proche d’une vie étrange, où tout a l’air normal et où rien ne l’est.

Un manège bloqué en 1986

Deux ans plus tard, en 2005, j’ai accompagné un séminaire d’un laboratoire de l’université de Caen, spécialisé dans la sociologie des risques. Philosophie, histoire, sociologie… Durant une semaine, les débats tournaient autour du « monstre », de « l’épicentre », du temps dans lequel cette catastrophe nous convoque. Après avoir discuté d’elle durant des jours, nous pouvions enfin approcher la centrale, lui tourner autour, la photographier. Errer dans Prypiat aussi, la ville de 40 000 habitants évacuée trente heures après l’explosion, se perdre dans les immeubles abandonnés, s’essayer au manège resté bloqué en 1986. Avec les philosophes Jean-Pierre Dupuy et Henri-Pierre Jeudy également présents, nous étions sans voix devant ce monstre d’acier toxique, devant cette fameuse colonne rouge et blanche, devant cette cité désertée où la végétation reprend inexorablement ses droits. Je regardais compulsivement mon dosimètre fourré au fond de ma poche sans vraiment comprendre les indications données (j’ai oublié les doses prises à l’époque). Tchernobyl a fait l’effet d’une flèche qui a mis plusieurs années à sortir de mon corps et de ma tête. Aujourd’hui, dans mon panthéon des accidents nucléaires majeurs, Fukushima prend sa place. —

(1) Une matière radioactive se caractérise par son activité, c’est-à-dire le nombre de désintégrations de noyaux radioactifs par seconde qui se produisent en son sein. 1 becquerel correspond à une désintégration par seconde.

Sources de cet article

- « Déchets : le cauchemar du nucléaire », documentaire de Laure Noualhat et Eric Guéret en DVD (Arte Vidéo, 2009).

- « Déchets : le cauchemar du nucléaire » : écrit par Laure Noualhat et préfacé par Hubert Reeves (Seuil, 2009).

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Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

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  • Je ne comprends pas l’aveuglement de nos dirigeants envers le nucléaire et plus largement envers la façon dont nous traitons notre terre, notre nourriture, nous-mêmes. Je suis au-dela de l’écoeurement, et même si cela ne sert pas à grand chose, pour rester fortes face à mes convistions : je voterai blanc (une fois encore).
    Merci pour ce travail de mémoire et pour l’abnégation de Laure Noualhat.

    28.04 à 10h07 - Répondre - Alerter
  • Merci pour ce témoignage et félicitations pour votre courage ;
    hélas c’est un converti qui vous écrit et comme vous, je me demande encore et pourquoi nos hommes politiques de tous bords confondus, n’osent pas franchir le pas sur un reférendum concernant les énergies futures.
    Aujourd’hui, comme l’a si fort justement dit le réalisateur du film "Tchernobyl for rever" diffusé sur ARTE, nous sommes tous "shoutés" au nucléaire mais ce sont nos enfants qui eux subirront l’épreuve du sevrage !
    Guy

    27.04 à 10h28 - Répondre - Alerter
  • "la radioactivité est un ennemi invisible, indolore, inodore…" rémanent, voire immanent aux objets dont on ne se méfie pas. On finit par "vivre avec" et c’est ce désintérêt qui est fatal. Les compteurs Geiger doivent être diffusés et nous familliariser à leur utilisation, comme les détecteurs de métaux dans les aéroports, je voudrais un compteur Geiger dans les super marchés.
    Q.

    4.04 à 08h33 - Répondre - Alerter
    • Pourquoi ne sortons-nous pas du nucléaire ?

      Parce qu’une élite non scientifique, non éthique, non éclairé nous gouverne.

      Parce que les gens ne sont pas informé pas instruit sur les énergies propre que nous avons à notre disposition, qui sont peu développé à cause de notre économie.

      Parce que il est difficile de faire face à un enemi que nous ne pouvons percevoir avec aucun de nos sens alors que notre société capitaliste nous à éduqué pour être individualiste, égoïste, compétiteur et imperméable à la connaissance, non, même pas à la connaissance mais à la compréhension de notre monde.

      L’argent... Il n’ont que ce mot là à la bouche...

      Mais qu’est-ce qu’un bout de papier contre une vie humaine, contre des milliards de vie humaine passé, présent et à venir ?

      Un monde d’obsoléscence programmé dont la fin est précipité par ces propres investigateurs et qui causera sa propre perte, celle des Hommes et peut-être bien celle de nombreuses autres vies.

      C’est pourquoi nous ne sortirons pas du nucléaire ou du moins pas à temps...

      Ce n’est que lorsque nous serons au pied du mur ( et encore...) que nous sortirons du nucléaire, et ce sera déjà trop tard, il est déjà trop tard, nous ne sommes qu’en surcis pour l’instant

      8.06 à 13h59 - Répondre - Alerter
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