Claude-Jean Desvignes est patron de PME. Il est rongé par le blues. En perdant son principal client, il a vu son chiffre d’affaires amputé de plus de 10 %. La guigne. A deux doigts de se débarrasser de sa boîte et de se laver les mains de l’avenir de son personnel, Claude-Jean prend une décision étrange. Il s’asseoit à son bureau et commence à pondre un journal intime dans lequel vont se bousculer ses doutes, ses contradictions, et ses idées reçues sur son rôle de chef d’entreprise.
"Je suis le patron, le chef, le dirigeant, le boss, le capitaine, le suzerain, le top niveau, le chieur, l’empêcheur de tourner en rond... c’est ainsi que mes salariés me voient" couche-t-il d’entrée. Ainsi commence un lent et étonnant processus de rédemption patronale. Ce jeune dirigeant va se mettre à l’écoute de ses employés, de leurs besoins et aspirations. Jusqu’au constat suprême, qui vaut excommunication directe par le pape CAC 40 : le profit n’est pas tout dans la vie.
On croit rêver et c’est un peu vrai. Car Claude-Jean Desvignes n’existe pas. Ce personnage est un condensé de témoignages de membres du Centre des jeunes dirigeants, le CJD. Le tout a été regroupé dans un recueil baptisé Portrait idéal d’un entreprenariat à visage humain [1]. "Les journalistes et le Médef nous prennent souvent pour de doux rêveurs", s’amuse Françoise Cocuelle, l’actuelle présidente. Quand le CJD est fondé en 1938 (à l’époque, le Centre des jeunes patrons), le chef d’entreprise est perçu comme un affameur de la classe ouvrière. Alors ses adhérents essaient de penser l’entreprise autrement. Ni Seillière, ni Bové sauce patronat, ces "alterpatrons" croient dur comme fer en un libéralisme plus responsable.
Exit les patrons paternalistes
"Mettre l’économie au service de l’Homme, c’est possible", et pour atteindre l’objectif, le CJD a accouché d’une charte en 21 points : abolir les stratégies à court terme, développer le dialogue social, favoriser la créativité des salariés, proposer de bonnes conditions de travail, plus de formation, ouvrir l’entreprise au monde associatif... "Si c’était pour faire joli, nous n’aurions pas 700 de nos membres engagés fermement dans cette voie. Changer de vue est une nécessité", affirme Françoise Cocuelle. Le programme plaît : 10 % d’adhérents supplémentaires chaque année.L’idée, incongrue pour beaucoup, du patron social a fortement évolué au cours de l’histoire. Auparavant, le chef d’entreprise "à l’écoute et proche de ses collaborateurs" était un patron paternaliste, un peu étouffant. "Prenez François Michelin par exemple, explique Hubert Landier, directeur de La Lettre du management social. C’était un modèle très englobant. On mangeait, on allait à l’école, on partait en vacances chez Michelin. Un modèle rejeté aujourd’hui."
Exit les Michelin ou Riboud (Danone) dont l’image sociale a, depuis, été largement écornée par des plans sociaux à répétition. Aujourd’hui, ces patrons responsables ont compris qu’il est nécessaire d’impliquer le salarié dans un projet commun avec l’entreprise.
L’argent-roi au placard
Les Dodane, Paul et Bernadette, sont de ceux-là. Lui, technicien-concepteur, elle comptable. En 1987, ils relancent ensemble une usine de casseroles en berne, Cristel. Le succès arrive mais pas la grosse tête. Les Dodane n’oublient pas d’où ils viennent. Les premiers récompensés sont les employés, pas les actionnaires. Ils ont même longtemps refusé de verser des dividendes. "L’argent seul ne peut satisfaire notre désir d’entreprendre. C’est un outil parmi d’autres pour développer la société, pas une fin en soi", affichent-ils. Un rejet de l’argent-roi qui semble être une constante chez ses patrons hors du moule. Ces chefs d’entreprise humanistes veulent trouver un sens nouveau au mot "entreprendre".Ils se retrouvent plutôt dans les PME, souvent créateurs de leur société et porteurs d’un projet qu’ils ne veulent pas qu’économique. Même les grandes écoles de gestion prennent le pli. L’Essec a créé une chaire de l’entreprenariat social il y a quelques années. HEC a répondu en proposant pour la rentrée prochaine un nouvel enseignement en dernière année qu’elle a baptisé "Management Alter". Le but - ambitieux - consiste à devenir un laboratoire d’idées innovantes pour préparer le management et les dirigeants de demain.
Vent d’optimisme
Et avec la poussée récente de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise (la RSE), on voudrait presque croire qu’une nouvelle voie est possible, que l’entreprise du XXIè siècle serait plus respectueuse de l’homme que son aînée des années 1900-2000. "Ne rêvons pas, tempère Nicole Notat, passée de la CFDT à la tête de Vigeo, une agence de notation sociale des entreprises. La pression des marchés financiers s’exerce en faveur de la maximisation de valeur pour l’actionnaire. Mais nous pouvons au moins espérer un rééquilibrage vers la prise en compte des intérêts des autres parties prenantes de l’entreprise."Soyons tout de même optimistes. Voici des exemples qui font espérer. Patrons d’une micro-PME ou d’un grand groupe, un seul regret finalement : qu’ils ne soient pas plus nombreux !
L’ECONOMIE SOCIALE EST EN VOGUE
Elle grossit à vue d’œil. L’économie sociale et solidaire, composée en majorité d’entreprises organisées en coopératives, de mutuelles ou d’associations, poursuit un objectif prioritaire : servir la collectivité au-delà du simple profit financier.
Organisé en délégations régionales, le Centre des jeunes dirigeants et des acteurs de l’économie sociale (CJDES), créé en 2002, tente de fédérer l’économie sociale et solidaire. Ce secteur regroupe au total 19 000 coopératives (hors coopératives de crédits), 17 mutuelles d’assurances, 3 000 mutuelles de santé, et 730 000 associations.
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