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28-03-2010
Mots clés
Politique
Urbanisme
Brésil
Interview

Jaime Lerner : «  Nos petits budgets nous poussent à la créativité  »

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Jaime Lerner : « Nos petits budgets nous poussent à la créativité »
 
SERIE : ILS IMAGINENT LA VILLE DE DEMAIN 4/4. La ville brésilienne de Curitiba n’a pas un sou. Mais elle a des idées vertes. Elle est devenue un modèle autour du globe grâce à son gigantesque réseau de transports en commun, ses bibliothèques, ses hôpitaux gratuits, son ramassage sélectif des déchets… L’ancien maire, l’architecte Jaime Lerner, nous livre ses recettes.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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(De notre correspondante au Brésil)

Bien en chair, l’œil étincelant, Jaime Lerner vous accueille avec un sourire scotché aux lèvres. Toujours entre deux avions, cet homme charismatique parcourt la planète pour conseiller les politiques locaux et leur prouver que « la ville, loin d’être un problème, est en réalité la solution ». Plein d’humour, il s’exprime dans un français imagé et raconte, avec fierté, comment il a révolutionné la ville de Curitiba aux cours des trois dernières décennies.

Curitiba, officiellement née en 1693, fut indienne, puis portugaise, avant d’émerger avec l’arrivée des chercheurs d’or. En 1971, la junte militaire, au pouvoir dans le pays, demande à Jaime Lerner de devenir le maire de Curitiba. C’est alors une ville moyenne en voie d’endormissement. Le jeune urbaniste met son aversion pour la dictature de côté et accepte le défi. Pour son troisième et dernier mandat, de 1989 à 1993, la démocratie est de retour au Brésil et c’est enfin le scrutin populaire qui l’élit maire.

« On peut transformer une ville en trois ans », se plaît-il à répéter. Sa recette ? « Un savant mélange de mesures sociales, environnementales et économiques, saupoudrées de créativité. Le tout avec peu de moyens. » A Curitiba, tout est calculé, planifié et contrôlé. Et les résultats ont permis à la ville de gagner les galons de « capitale écologique du pays ». Son réseau de transports a été copié par plus de 80 municipalités dans le monde et Jaime Lerner se targue de conseiller plusieurs responsables chinois. Alors pourquoi ne fait-il pas plutôt bénéficier de son expérience au Brésil ? « En 1994, lorsque j’ai été élu gouverneur de l’Etat de Paraná, dont Curitiba est la capitale, j’ai pu étendre mes actions à toute la province. Mais cela s’arrête là, car le Brésil connaît trop de problèmes structurels », soupire-t-il.

En 1950, Curitiba comptait 150 000 habitants contre 1,8 million actuellement. Comment la ville a-t-elle géré ce développement tous azimuts ?

Curitiba n’est pas une ville glamour. Il n’y a pas de plage, de groupes de samba renommés et pour couronner le tout, elle est construite sur une zone inondable. La raison de son attrait est simple : la qualité de vie y est supérieure à la moyenne brésilienne. Dès le début de mon mandat, mon équipe et moi-même avons voulu concilier la protection de l’environnement et le bien-être des habitants. En fait, nous avons simplement appliqué les principes du « développement durable » avant même que cette notion soit définie pour la première fois en 1987 dans le rapport Brundtland (1). Lorsque j’ai été élu gouverneur de l’Etat du Paraná, nous avons mis en place un nouveau concept : la « vila rural ». La municipalité offre un petit terrain à des familles pauvres pour les inciter à retourner à la campagne, freiner l’exode rural et favoriser l’autosuffisance alimentaire. La croissance de la population de la ville est du coup plus faible. Enfin, il est important de planifier et d’anticiper, notamment la construction de nouveaux logements et l’amélioration constante du système de transports en commun.

Comment avez-vous créé une telle différence avec les autres villes brésiliennes ?

Avec une forte volonté politique, beaucoup de créativité et un bon sens de la communication, on peut faire des miracles. Il faut également agir vite. L’une de mes premières mesures en tant que maire a consisté à rendre piétonne une rue commerçante. Les riverains et les commerçants y étaient opposés. Nous sommes passés en force et avons fermé la rue à la circulation pendant un week-end. Le lundi matin, l’écrasante majorité des personnes concernées déposaient une requête à la mairie pour élargir la zone piétonne. Pour réaliser le rêve collectif d’une ville où il fait bon vivre, il est important de créer une volonté partagée de tous. Le sentiment d’appartenance à une même communauté de citoyens rend les gens responsables. Pour gérer les déchets de la ville, nous avons mis en place, en 1989, une campagne participative de tri sélectif : « Lixo que não é lixo » (« Les déchets ne sont pas des déchets ») et « Cambio verde » (« Echange vert »). La municipalité récompense toute personne qui sépare les déchets organiques du reste de ses poubelles. Ceux-ci sont compostés pour les plantations de la ville, le reste est recyclé ou enfoui. En outre, deux fois par semaine, des camions sillonnent la ville pour réceptionner les paquets de papier, de verre ou de plastique préparés par les habitants qui, en échange, reçoivent des légumes, des tickets de bus ou du matériel scolaire. La lutte contre le gaspillage a toujours été une priorité. Enfin, l’éducation est le maître mot de toute réussite collective : nous formons les enfants pendant six mois aux bases de l’écologie et les Curitibains ont désormais pris l’habitude de trier, car ils savent que c’est bon pour l’environnement, pour leur environnement. Au final, 70 % des habitants trient leurs déchets [contre 19 % à Paris].

Comment financez-vous tous ces projets ?

Le manque de revenus dont souffre notre municipalité n’est pas un handicap, bien au contraire, c’est un avantage ! Prenez le budget d’une ville et supprimez un zéro, commence alors l’ingéniosité ; coupez encore un zéro et naît la créativité. Toute politique est le résultat d’une équation. Le tout est de jouer avec les différents (f)acteurs : l’administration de la ville, le secteur privé et la population. Lorsque l’on m’a proposé la construction d’un métro en 1991, nous n’en avions pas les moyens, mais nous nous sommes rendu compte qu’un bon système de bus pouvait être tout aussi efficace et coûtait 200 fois moins cher ! Nous avons repris les avantages du métro : des sites sur les artères principales, un réseau en étoile, un temps d’attente limité à quelques minutes, des bus extra-longs, des facilités pour les moins valides… La municipalité a tracé les parcours, imposé les tarifs et installé les stations en incluant les favelas. Pourtant, ce sont des sociétés privées qui ont acheté les bus et engagé les chauffeurs.Résultat : quand en 1972, 1 habitant sur 30 utilisait les transports en commun, ils sont aujourd’hui 3 sur 4, ce qui représente plus de 2 millions de passagers par jour. Et nous choyons les compagnies privées avec la mise en place des « hangars de l’entrepreneur » et de zones défiscalisées.

Au-delà de l’environnement et de la qualité de vie, qu’y a-t-il d’important dans une ville ?

L’écrasante majorité de la population de la planète vit en ville et ce phénomène d’urbanisation va s’intensifier. La société est une ville, la ville est une rue. Et on n’a rien inventé de mieux que la rue traditionnelle, où les gens habitent, travaillent et vivent ensemble. Beaucoup de villes modernes, comme celles de la banlieue parisienne, ont été les victimes d’une mauvaise interprétation de la charte d’Athènes (2). Elles ont été divisées par quartiers, selon leurs fonctions : logements, emplois, loisirs. Un désastre. Aujourd’hui, 75 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des villes. La lutte contre le réchauffement climatique passe donc par l’incitation à laisser sa voiture au garage et par le rétrécissement des distances entre le domicile et le lieu de travail. La voiture est comme votre belle-mère. Vous devez avoir de bonnes relations avec elle, mais elle ne doit pas commander votre vie.

Comment gérez-vous les différences sociales au sein d’une ville ?

Avec cette même volonté de rencontre et de partage. Il n’y a rien de pire que de séparer les gens par âge, couleur ou religion. Nous avons créé des espaces publics un peu partout : des bars, des rues piétonnes et plus de 26 parcs en trente ans. A Curitiba, on compte cinq fois plus d’espaces verts par habitant que le minimum recommandé par l’ONU, et leurs noms sont des hommages aux différentes communautés de la ville : bois italien, parc arabe, jardin zen… Nous avons également mis en œuvre des mesures sociales. Des « phares du savoir », construits avec du matériel recyclé, permettent ainsi aux jeunes des quartiers défavorisés d’avoir accès gratuitement à des installations multimédias et à des bibliothèques. Nous avons créé plusieurs centaines de crèches, d’hôpitaux, dont certains sont totalement gratuits, et la ville propose aux entreprises d’« adopter » un enfant des rues, en lui offrant un repas gratuit et un moyen de sortir de la délinquance par le travail.

Que reste-t-il à faire ?

Nous sommes victimes des maux qui frappent beaucoup de grosses villes du Sud. L’approvisionnement en eau est de plus en plus compliqué, les fleuves sont toujours pollués, le système de transports peine à s’adapter à la croissance de la ville et la violence est loin d’être éradiquée. Le plus grand défi de la ville du futur est de se réconcilier avec la nature et avec ses habitants. Nous devons suivre les évolutions des technologies vertes, car la gestion d’une ville est un processus continu et sans fin (lire aussi p. 26-28). Il est important de penser court et long terme en même temps. Les habitants exigent des résultats qu’ils peuvent constater rapidement et, en même temps, il faut considérer les générations futures. Enfin, il est très important de décentraliser et de simplifier les procédures pour favoriser les initiatives. Un jour où je me promenais à Paris dans les années 1960, j’ai vu un graffiti sur un mur qui posait une vraie question : « Quand le dernier sociologue aura été étranglé avec les tripes du dernier bureaucrate, aurons-nous encore des problèmes ? » —

(1) Du nom de la Première ministre norvégienne chargée alors par l’ONU de présider la Commission mondiale sur l’environnement et le développement.

(2) Charte de 1933 qui a établi, sous l’égide de Le Corbusier, 95 points pour la planification et la construction des villes. Ses concepts ont été largement adoptés par les urbanistes pour reconstruire les villes européennes après la Seconde Guerre mondiale.


BOGOTA : LA MUE D’UNE JUNGLE URBAINE

Bogota n’est plus une jungle infestée de guérilleros et de mercenaires. En quelques années, la capitale de la Colombie est devenue une ville moderne et cosmopolite. Au début des années 1990, la situation est pourtant inquiétante : circulation chaotique, insécurité galopante. Aujourd’hui, Bogota possède l’une des infrastructures les mieux conçues du continent sud-américain, avec un système efficace de transports en commun (le Transmilenio), de grandes avenues, des pistes cyclables et de nombreux parcs. La Candelaria, le centre historique délabré et peu sûr, a été rénovée. A l’instar de Curitiba, la ville a mis en œuvre une politique volontariste qui place le citoyen au cœur de la transformation, mais surtout les classes moyennes et aisées. Pour lutter contre l’insécurité, les autorités ont multiplié les politiques préventives et permis une réduction significative de la criminalité, avec un taux désormais 5 fois inférieur à celui de Caracas, la capitale du Venezuela. Là aussi, la médaille a un revers : les citoyens ont tendance à se faire justice eux-mêmes.

Illustration : Morgane Le Gall

Sources de cet article

- Emission « Faut pas rêver » (2006)

- Documentaire « Le Défi de Curitiba » de Benoît Théau et Alain Darrigrand (26 mn, Orcades, 1999)

- Le site de la municipalité de Curitiba (en anglais)

- Le site de Jaime Lerner (en partie disponible en anglais)

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