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26-09-2013
Mots clés
Société
Santé
France

Il était une fois dans l’Ain ou le gaz de la discorde

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Il était une fois dans l'Ain ou le gaz de la discorde
(Crédits photos : Félix Ledru pour « Terra eco »)
 
En 2008, Celtique Energie obtient un permis d’exploration dans l’Ain et le Jura. En interne, la compagnie ambitionne d’extraire du gaz de schiste. Depuis, elle courtise les habitants et les divise.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Nuit d’été dans le pays du Bugey (Ain). Un commando de pères et mères de famille se rassemble en catimini, lampe de poche au poing. « Pétrolier, tu n’es pas le bienvenu » : tel est le message qu’ils comptent inscrire à l’entrée de leurs villages en cette fin de mois d’août. Le lendemain, quand le jour se sera levé sur les troupeaux de vaches laitières et les forêts d’épicéas du massif jurassien, les quelque 243 habitants de Corcelles et leurs 265 voisins de Lantenay liront sur l’asphalte : « Oui à l’eau pure, non aux forages ». « La peinture est fraîche, l’agitation n’est pas retombée », constate, amer, François Dezecache, le maire déchu de Lantenay.

Des Anglais en costume

Les rebondissements qui l’ont poussé à la démission débutent en 2008. A l’époque, les familles bugeoises ne se doutent pas que, au fond d’un ministère, la signature du permis des Moussières s’apprête à bousculer leurs vies. « L’Etat nous a livrés en pâture aux pétroliers », s’emporte Alain Balland, le maire de Corcelles. L’offensive des industriels a démarré doucement. « Les premières années, il ne se passait rien, se souvient Christine Monnet, présidente du collectif des opposants aux forages. Seuls les élus avaient connaissance de ce permis. » L’année 2010 marque un tournant. Des Anglais en costume trois-pièces débarquent dans les prairies de Corcelles : Celtique Energie, petite compagnie londonienne, cherche des terrains. Dès lors, un climat de suspicion s’installe dans la région.

« Vous pensez, une voiture de location immatriculée en Suisse, dans le coin, ça ne passe pas inaperçu », glisse Gabriel Savarin, producteur laitier pour le comté AOC. Au printemps 2011, deux Britanniques frappent à la porte de sa ferme. « Ils voulaient louer un hectare de terrain. » L’agriculteur se méfie. Ici, les explorations pétrolières de 1989 ont servi de leçon. A l’époque, Esso Rep, filiale d’Exxon, avait pollué deux sources pour n’extraire que quelques litres de brut. Vingt-cinq ans plus tard, à quelques kilomètres de là, la commune de Vieu-d’Izenave, autrefois autosuffisante en eau, boit aujourd’hui celle du Rhône. « Ce qui se passe dans nos sous-sols karstiques est imprévisible », explique Alain Balland. Alors, quand Celtique lui promet des garanties, l’élu rit tout bas.

Devant ces réticences, la société se tourne vers les Locatelli. « On est polis, on leur a payé le café, se souvient la jeune grand-mère de la famille. Après ça, les gens se sont mis à parler, à me dire : “ Alors, comme ça, tu as vendu aux pétroliers. ” » Comme elle, en 2011, au moins six personnes ont été démarchées. Cet été, le collectif a eu vent de nouvelles approches. « C’est impossible à confirmer, les gens d’ici n’en parlent pas », soupire Michel Savarin – parent éloigné de Gabriel –, qui s’est vu proposer 837 euros par hectare et par an pour un chemin d’accès. Il n’a pas donné suite : recevoir les « gens de Celtique », c’est aller au devant des ennuis.

Dallas jurassien

François Dezecache le sait. Soupçonné à tort d’avoir signé la location d’un terrain avec le pétrolier, à l’automne 2011, l’édile quitte écœuré la mairie de Lantenay. Dans les boîtes aux lettres, il glisse sa version des faits : « Il n’y avait aucune décision prise, ni même aucun avis fondé, ni favorable ni défavorable. » Une absence de refus prise pour un oui. « L’hostilité est tellement viscérale qu’elle interdit toute réflexion », se défend encore l’ancien élu.

Pourtant, vingt ans plus tôt, « le derrick d’Esso Rep était devenu la balade du dimanche », se souvient Hervé Leroy, l’actuel maire de Lantenay. Les élus de l’époque rêvaient d’un Dallas jurassien. Deux sources polluées et une controverse nationale sur le gaz de schiste plus tard, un habitant sur trois affiche l’écriteau « Non aux forages » sur son abri à bois. Car l’opération séduction continue. « Tous les trois mois, je reçois un courrier de Celtique qui promet des forages sans risques pour l’environnement », rapporte Hervé Leroy. Depuis la loi Jacob de 2011 qui interdit la fracturation hydraulique, la société se défend de convoiter du gaz de schiste. Sur son site, destiné à « éclairer le débat », elle détaille des techniques – forages directionnels et à l’eau claire – « utilisées depuis trente ans ». L’élu n’y croit pas.

Et pour cause. Dans un rapport confidentiel non daté que Terra eco a pu se procurer, la compagnie tient un autre discours. « Celtique pense que le schiste est bien développé dans le Jura », indique ce pavé de 273 pages. Un PowerPoint paraphé des initiales « C.E. » et intitulé « Potentiel de ressources non conventionnelles » confirme cette conviction. La compagnie avance des chiffres : sur ses quatre permis – deux en France, deux en Suisse –, « Celtique estime le potentiel de gaz non conventionnel récupérable à 45 Tcf (45 000 milliards de pieds cubes, soit 1 274 milliards de mètres cubes, ndlr) ». A titre de comparaison, sur la même zone, le gaz conventionnel représenterait 2 Tcf seulement. Le rapport mentionne aussi des taux de récupération proches de ceux du nord des Etats-Unis. Sollicitée par Terra eco, la société n’a pas souhaité s’exprimer.

Petits fours suisses

Ce discours versatile nourrit les rangs des opposants. Trois ans après sa création, le collectif du Haut-Bugey compte 800 adhérents. Le 6 septembre, lors de sa réunion de rentrée, Christine Monnet déroule un ordre du jour aux airs de conseil de guerre : question prioritaire de constitutionnalité qui pourrait remettre en cause la loi Jacob (Lire ici), organisation du « No fracking day », le 19 octobre, et de la riposte en cas de renouvellement du permis des Moussières. La demande, déposée en avril, prouve que Celtique n’a pas déposé les armes, et l’Etat doit se prononcer avant mars prochain.

Christine Monnet, du collectif du Haut-Bugey.

Pour l’heure, la société déploie son arsenal communicationnel en Suisse. « Le 30 août, j’étais convié à une journée Celtique », indique Sergio Santiago, élu Vert du Val-de-Travers (canton de Neuchâtel). Au programme : conférence de presse, petits fours avec les élus, puis expo pour le grand public. Dans le farouche Jura français, le démarchage est plus discret. « La compagnie ne propose plus à la commune 2 000 euros par hectare et par an, mais son représentant appelle en janvier pour me souhaiter la bonne année », s’amuse Hervé Leroy. Dans la vallée voisine, sur le bureau de son homologue corcellan, deux épais classeurs renferment cinq ans d’échanges avec la compagnie. « Ils demandent un nouvel entretien. Mais, sans gages contre les risques de pollution – ce qu’ils vont avoir du mal à trouver –, je refuse », tranche Alain Balland.

C’est à la sous-préfecture qu’un responsable de Celtique France a été aperçu pour la dernière fois, le 3 juin. « Marc Feugère (le directeur général, ndlr) venait pour rassurer, indique Jean-Pierre Carminati, le maire de Nantua. Le nombre d’écharpes tricolores dans le cortège du 16 mars (la dernière mobilisation en date, ndlr) l’avait inquiété. »

Actionnaires aux îles Caïman

Dans cette commune de 3 900 âmes, les manifestations antiforages rassemblent presque autant de protestataires qu’il y a d’habitants. Ces jours-là, ceux des villages alentour regardent, circonspects, des dizaines de militants prendre la route pour Nantua. « Ici, ce n’est pas un pays pour les écolos, souffle un homme, à Lantenay. Quand ils vont à leurs manifestations, ils prennent la voiture, non ? Et ce qu’ils mettent dans leur réservoir, c’est pas du pétrole, peut-être ? » Dans les bourgs, certains avouent à demi-mot leur sentiment de louper une belle opportunité. Reste que la compagnie inquiète. Avec un capital de 300 000 euros, trois employés en France et des actionnaires-dirigeants dont les sociétés sont basées aux îles Caïman, « Celtique, ce n’est pas Total. Ils peuvent disparaître au premier pépin », craint Alain Balland. Derrière lui, les photos des deux sources – « qui fournissent le village en eau aussi pure que celle d’Evian » – trônent sur le mur de la salle du conseil municipal. A la mairie de Lantenay, la flasque qui contenait quelques gouttes du pétrole de 1989 a été brisée. —
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  • Bien trop souvent on constate malheureusement que les politiques français de tout bord nous mentent et il faudrait que nous ayons confiance en une société de 300 000€ basée aux iles Caïmans ?
    Mais même TOTAL n’a pas le droit de menacer notre sol et nos enfants. Ces sociétés veulent s’appuyer sur le droit constitutionnel ? C’est une perversion : la constitution est la garante de la liberté du peuple français, elle ne peut pas permettre des actes contre la pérennité de notre sol et de notre peuple.
    La nation française est et restera souveraine, que ces gens continuent à polluer leur terre !

    8.04 à 09h48 - Répondre - Alerter
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