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20-12-2006

"Il est grand temps de se réveiller !"

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Citoyens, entreprises et politiques n'ont plus le choix. Le développement durable doit devenir la priorité, sous peine de courir à la catastrophe.La spécialiste Laurence Tubiana tire le signal d'alarme. Et annonce une révolution économique.
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Terra Economica : Le développement durable n’est-il pas devenu une idée tarte à la crème ?

Laurence Tubiana : C’est un terme aujourd’hui omniprésent, à tel point que l’on peut se demander s’il recouvre une idée précise ou s’il s’agit d’un fourre-tout commode et creux. De quoi s’agit-il ? De la fin d’une conviction collective. Celle-là même qui consistait à croire que le revenu mondial pouvait croître indéfiniment et que les ressources planétaires étaient inépuisables. Or les bases de cette conviction sont ébranlées par le constat des dégradations de ces ressources et les connaissances scientifiques sur leur évolution.

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(Photo Chris Jordan)

Je suis convaincue que le développement durable est bien davantage qu’un thème dans l’air du temps. Il s’agit d’une lame de fond très puissante qui nous implique tous : citoyens, élus, chefs d’entreprise, bien que tous n’aient pas la même sensibilité au sujet. Même les pays censés être le moins attachés à la protection de l’environnement, comme la Chine, s’y impliquent. Et le gouvernement, au plus haut niveau, reconnaît la nécessité de penser autrement le développement.

Vous parlez d’une lame de fond. A quoi faut-il s’attendre ?

Nos modes de vie vont radicalement changer. Toute la difficulté réside dans l’anticipation, l’imagination de ce changement. Il y a déjà une prise de conscience et une volonté d’agir. Ce qui manque, ce sont des axes clairs d’action collective et des politiques cohérentes. Peut-être, comme le suggère Al Gore dans le long métrage Une vérité qui dérange, des citoyens qui s’engagent seront mieux à même de neutraliser les lobbies et d’exiger ces actions cohérentes des gouvernants. Mais je pense que l’action citoyenne ne suffira pas. Les citoyens, en soignant leur consommation, en adaptant leurs modes de transport, en habitant plus près de leur lieu de travail, ne pourront renverser la tendance à eux seuls. Il y a là une hypocrisie à renvoyer la responsabilité de façon indifférenciée sur la société. L’implication des entreprises et des citoyens doit être encadrée, orientée par l’action politique.

Pourquoi les politiques sont-ils à la remorque de la société civile ?

Ils commencent tout juste à comprendre que le développement durable est une question politique. C’est encourageant. Pour l’heure, j’ai envie de dire que le développement durable est un élément « en plus ». Reste à le transformer en « élément fondamental ». Cela sera-t-il le cas pour l’élection présidentielle ? Il est peut-être encore un peu tôt et les signaux qui nous parviennent sont parfois contradictoires. Mais comme le rapport de Nick Stern [1] nous l’indique, le temps est compté. La meilleure fenêtre d’action pour lutter contre le réchauffement climatique, ce sont les dix ans qui viennent...

Vous avez été la conseillère pour l’environnement du Premier ministre Lionel Jospin. Sa ministre de l’Environnement de l’époque, Dominique Voynet, expliquait qu’il l’avait envoyée pour négocier les accords de Kyoto, car il n’en avait pas saisi l’importance. Vous confirmez ?

Oui, c’est vrai. Le réchauffement climatique n’était pas en 1997, au début du mandat, une préoccupation majeure du gouvernement. Mais qui, il y a cinq ans, avait conscience de l’impasse dans laquelle se trouve l’espèce humaine ? A la dernière conférence sur le climat à Nairobi [du 6 au 17 novembre, ndlr], combien de premiers ministres étaient-ils présents ? La perspective, c’est le bouleversement de nos modes de production ; de l’organisation de nos sociétés fondées, depuis la Deuxième Révolution industrielle, sur une énergie fossile abondante et bon marché ! Or, le changement ne se décrète pas de haut en bas. Il ne peut procéder que de la rencontre d’une perception collective des risques et de la volonté politique d’agir. Ne demandez pas aux politiques d’être des précurseurs en la matière.

Surtout si les lobbies freinent leur peu d’entrain...

C’est compliqué. On ne peut pas ignorer les contraintes de compétitivité entre les pays. Je pense à l’acier par exemple. Il est difficile d’exiger des pays européens de faire des efforts, quand ils trouvent en face d’eux les Etats-Unis, l’Inde ou la Chine, qui refusent de s’engager sur des réductions d’émission de gaz à effet de serre. Mais oui, je suis d’accord avec vous. Certains lobbies pétroliers et automobiles freinent des quatre fers. Avec des nuances tout de même. BP ou Shell sont très actifs sur les substituts du pétrole et sur l’évolution des modèles de consommation.

Total ne semble pas inscrire le développement durable dans sa réflexion stratégique et mène plutôt des actions en marge de son métier principal. Or, pour beaucoup de ces industries, l’enjeu est de taille : il va falloir inventer de nouveaux métiers. Mais les actions volontaires d’entreprises, même très actives, ne peuvent remplacer une coordination internationale qui associe les gouvernements. Sans cadre collectif, les initiatives privées seront affaiblies par les mauvais joueurs.

Sommes-nous entrés dans une nouvelle révolution économique ?

Oui. Même si le système actuel a montré une capacité surprenante à intégrer les critiques à son encontre, et repoussé les limites de son fonctionnement, il faut tout repenser. A commencer par le « tout croissance ». Il faut passer d’une appréciation ou d’une logique quantitative, à une appréciation ou une logique qui soit aussi qualitative. Il faut aussi repenser les modes de transport des hommes et des marchandises. L’économie des cinquante dernières années s’est en grande partie construite sur un coût du transport excessivement bas, qui ne reflète aucunement les impacts environnementaux et sociaux qu’il génère. Ce n’est plus possible.

Et puis, il y a notre façon d’utiliser les énergies. Avec les outils dont nous disposons, comme la fiscalité par exemple. Soyons réellement incitatifs ! Ayons une réflexion globale sur les transports, intéressons-nous aux secteurs du bâtiment et du logement, qui se trouvent à mille lieux des problématiques de développement durable. Les économies occidentales ont consenti beaucoup d’efforts au moment des deux chocs pétroliers, et puis plus rien. Il est grand temps de se réveiller sinon nous courons à la catastrophe. Mais, encore une fois, on ne pourra rien faire sans coopération internationale : il faut engager un dialogue plus soutenu avec la Chine, l’Inde puis le Brésil. S’associer à leurs efforts de développement durable. Inventer avec eux le modèle de développement de demain. Leurs grands choix d’investissement sont devant eux. C’est chez eux que la révolution va s’amorcer.

Mais lorsqu’on observe les conclusions de la conférence de Nairobi, on ne peut que douter des capacités de l’humanité à réagir rapidement. Les pays riches y ont demandé aux plus pauvres de faire des sacrifices...

On peut être pessimiste. Mais en l’occurrence, ce pessimisme ne servirait pas à grand chose. La seule attitude rationnelle, c’est de se battre pour que les solutions réalistes - elles existent - soient mises en œuvre. On peut obtenir la moitié de l’effort nécessaire en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre en appliquant les technologies existantes. Ensuite, il ne faut pas lire Nairobi comme une conférence dont le résultat consisterait à demander le sacrifice de la croissance aux plus pauvres. Aujourd’hui, on sait que rien ne se fera dans les pays en développement au nom du seul climat. En revanche, on peut réaliser d’énormes progrès en recherchant des formes de développement moins coûteuses et plus équitables. Les ressources naturelles constituent aussi une richesse pour les pays qui se développent. Ces derniers ont commencé à le comprendre.

[1] Le 30 octobre 2006, Nick Stern, ancien chef économiste de la Banque mondiale, remettait au gouvernement britannique un rapport alarmant sur le coût (et les conséquences) du réchauffement climatique.

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