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Le Goncourt pour un Houellebecq néo-rural

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Le Goncourt pour un Houellebecq néo-rural
(Crédit photo : Mariusz Kubik)
 
« La carte et le territoire » de Michel Houellebecq a reçu le Prix Goncourt. Dans son livre, l’auteur délivre une prophétie bucolique, plaçant au cœur de sa vision prospective les... néo-ruraux !
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Les accros de Houellebecq sont déçus, l’accusent de s’être assagi, d’être plus populaire et moins sulfureux. Dans chaque Houellebecq, il y a à la fois une approche sociologique de notre époque, une description d’une souffrance psychologique individuelle, une morale et surtout une prophétie. Ces quatre ingrédients sont bien là dans La carte et le territoire. La prophétie est tout aussi puissante que dans ses derniers livres, mais plus surprenante encore, car aux antipodes de l’univers culturel rattaché à l’auteur : elle concerne l’écologie, un thème étranger aux habitués de Houellebecq et au milieu littéraire, ce qui explique sans doute qu’ils soient passés à côté.

Des références constantes à l’écologie

Les références à la nature, l’écologie et au développement durable sont innombrables dans La carte et le territoire, parmi elles : Ode, larmes à l’appui, aux produits durables qui ne disparaissent pas des rayonnages et qui ne sont pas soumis au « diktat irresponsable et fasciste des responsables de lignes de produits » ; testament de toute la fortune du héros pour la protection des animaux ; insensibilité face à la richesse ; refus de placer de l’argent dans des produits financiers ; achat d’une Lexus 100% électrique ; retour à la vie rurale pour les deux principaux personnages du livre ; préservation d’une nature intacte par les deux mêmes protagonistes (la tondeuse n’a pu être domptée pour le premier, 700 hectares de nature sont retirés aux chasseurs et protégés pour le second) ; découverte immédiate de la joie de « couper du bois » dès l’installation à la campagne ; double homélie en faveur de William Morris prônant fin XIXème « l’abandon du système de production industriel au profit de communautés artisanales et agraires » ; description détaillée de l’impact environnemental des cendres des personnes incinérées ; analyse de la domination très regrettable du fonctionnalisme en architecture ; mise en valeur d’un idéal architectural de « bâtir des maisons pour les hirondelles » comme métaphore d’une nature se libérant de l’homme ; décapitation simultanée d’un homme et de son chien rapprochant leur destin ontologique ; vision du futur comme un « village planétaire » ayant réussi le « think global, act local » ; offrande des derniers mots du livre à la nature, « le triomphe de la végétation est total. »

De la carte vers le territoire

La prophétie de Michel Houellebecq est celle du trajet de la carte vers le territoire. L’amateur de Google Maps s’en retourne à la campagne, vers un territoire rural vidé de ses archaïsmes, réinvesti autrement. L’auteur annonce l’avènement de néo-ruraux pacifistes et d’origine urbaine (« sans animosité particulière » p.416), revenant à l’artisanat avec une dimension locale et humaine tout en gardant le principe de capitalisme de marché et d’entrepreneuriat (« Ce n’était pas la fatalité qui les avait conduits à se lancer dans la vannerie artisanale, la rénovation d’un gîte rural ou la fabrication de fromages, mais un projet d’entreprise, un choix économique pesé, rationnel. » p.416). Si ce retour au local se fait du côté de l’offre de produits, ce n’est pas le cas du côté de la demande qui est, elle, de plus en plus mondialisée (« D’une année sur l’autre la nationalité des clients changeait, et voilà tout » p.416). Une sorte de nouveau marché « France » se réinvente ainsi en réinvestissant la valeur de son territoire. Il s’agit de l’avènement d’une nouvelle génération « relocalisée », qui ne cherche nullement à renverser l’ordre établi mais à prendre place dans cet ordre (« Cette nouvelle génération se montrait davantage conservatrice, davantage respectueuse de l’argent et des hiérarchies sociales établies que toutes celles qui l’avaient précédées » p.417) et qui se soucie bien moins de justice sociale à une échelle macro-économique que de qualité de vie à l’échelle de son village. Au final, la France étend la force d’attraction de ses « bons produits du terroir » et son « bon vivre en région » d’une sphère internationale à une sphère nationale, vers sa propre population.

L’art a besoin d’un bon topographe L’art continue à portraiturer et légitimer les héros d’une l’histoire aujourd’hui avant tout économique. Les plus grands chefs d’entreprises de ce monde veulent leur portrait par l’artiste le plus cher (miroir de leur propre apogée financière) et leur curiosité s’arrête à leur narcissisme. L’art côtoie principalement la géographie, la sociologie, la topographie, l’histoire, et ne peut que regretter son évolution récente. Le remplacement du premier slogan du Bauhaus « Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan » par « L’art et la technique, une nouvelle unité » correspondant au passage de Paul Klee à Mies van der Rohe, est le ricochet regrettable de l’échec du projet de société visionnaire de William Morris et du mouvement Arts & Crafts. Les "bonnes valeurs" là encore sont dans les savoir-faire culturels locaux et dans « la main de l’homme » au cœur du processus de création en opposition à l’uniformisation industrielle. Une voie parfaitement en phase avec les "signaux faibles" actuels : irrégularités dans la côte de Damien Hirst, attaques virulentes sur l’aspect spéculatif de l’art contemporain (cf. la tribune de Jean Clair dans Le Monde « Contre l’art des traders » le 2 octobre 2010), création d’un « Atelier du développement durable » par le Musée d’Orsay visant à porter une réflexion sur le rôle de l’art dans des sociétés « durables » en s’inspirant justement de William Morris, réception de 150 projets d’artistes contemporains sur le thème de l’environnement lors du premier prix COAL Art & Environnement, etc. L’art s’apprête à corriger ses excès et reprendre son rôle dans l’organisation sociale.

Correspondances littéraires nouvelles

Les correspondances littéraires sont totalement inédites pour un univers Houllebecquien. Si l’auteur annonce se référer à Perec et Borges, les affinités avec l’univers du développement durable sont là encore flagrantes. Tout d‘abord, avec Ivan Illitch (cf. La Convivialité) chef de file de la sociologie critique de la société industrielle sous l’angle de la défense de l’intégrité de l’homme vue comme possibilité de produire un bien de A à Z, puis avec D.H. Lawrence (cf. L’amant de Lady Chatterley) emblématique d’une littérature de tradition anglo-saxonne sur le travail et l’industrie dans son affrontement direct avec la nature et enfin, avec Thoreau, nos deux héros partant vivre dans des espaces naturels ne procèdent-ils pas à une expérience de type Walden, avec exception du supermarché ?

Une conversation à peine entamée

Quant aux deux faiblesses du livre, le personnage d’Olga et l’enquête policière, ne nous y attardons pas. La première relève de l’invraisemblance et la deuxième d’intuitions inabouties. Non, Olga, une russe très arriviste, se sachant sublime, acclamée par F. Beigbeder comme l’une des plus belles filles de Paris, ne tombe pas amoureuse d’un artiste silencieux, petit, chétif, mal habillé, sale et fauché et ne passe pas non plus dans la foulée des week-ends dans des Relais & Châteaux avec lui, c’est non seulement improbable mais impossible. Quant à l’enquête policière, elle est mal ficelée, mais offre quelques digressions sur différents sujets alimentant la conversation. Car le livre de Michel Houellebecq est une conversation. La trame sert de décor et mobilier au salon dans lequel Michel Houellebecq reçoit son lecteur pour évoquer des sujets qui lui tiennent à cœur et partager ses intuitions. Intuitions brillantes et justes sur la société, qui avertissent le lecteur de ce qui l’attend : le paradoxe d’un monde à la fois mieux conservé et plus déraciné, plus écologique et plus inégalitaire, moins uniformisé et plus marchand. La fin de l’égalité comme idéal de société. La revanche de l’esprit conservateur comme allié de ces nouvelles approches patrimoniales et locales. Dans ce cadre, la relation fils-père et non père-fils, où le fils renoue avec son héritage, prend également son sens.

- Retrouvez les chroniques d’Alice Audouin sur le développement durable sur son blog Alice in Warmingland

Sources de cet article

- A lire aussi sur Terra eco : notre dossier « Faut-il acheter français ? »

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Responsable développement durable en entreprise, auteure du roman "Ecolocash" (Anabet) en cours d’adaptation au cinéma, de "La Communication Responsable" (Eyrolles) et présidente de l’association COAL, la Coalition art et développement durable, qui organise le Prix COAL Art & Environnement.

5 commentaires
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RÉPONSES DE LA RÉDACTION
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  • Bonjour,
    et merci pour votre analyse "verte" de cet ouvrage, que j’ai personnellement beaucoup appréciés (et l’ouvrage et l’analyse).

    Vous pourriez ajouter que Houellebecq a cette sensibilité depuis de nombreuses années, car il est ingénieur d’AgroParisTech, avant d’avoir "fait de l’informatique" -ce qui me rapproche doublement de sa compréhension du monde... -

    Quant à l’hyperconsommation, à la remise en cause de notre mode de vie post industrialisé, vous devriez apprécier - Michel aussi, possiblement- les paroles de ma prochaine chanson sur le net : l’Hyperconsommateur :
    http://Lhyperconsommateur.free.fr
    qui fait partie des Chansons Vertes et BIO (c’est à dire humaines et durables...), écolos :
    http://ChansonsVertesetBIO.free.fr
    http://www.myspace.com/chansonsvert...

    Ou-Vertement,
    Jean-Guy

    4.11 à 09h13 - Répondre - Alerter
  • Ivan pas Yan !....

    29.10 à 15h03 - Répondre - Alerter
    • Julien Kostrèche : Erreur rectifiée

      Merci de votre vigilance.

      Cordialement,

      Julien Kostrèche, rédacteur en chef de terraeco.net

      29.10 à 16h42 - Répondre - Alerter
      • l’auteur de l’article : heureusement que les lecteurs sont là

        les lecteurs de terra sont des SR de premier plan, bien sur que je connais Yvan, j’ai oublié le V...je n’ai pas vu à la relecture...j’ai pas de SR pour mon blog...
        Promis, la prochaine fois je relis tout bien, mais le pb c’est que même quand on relit tout bien, on ne voit aps toujours...
        merci pour l’avoir signalé
        je ne sais pas j’ai l’impression que ma tête commence à me jouer des tours de vieillesse, je perds en rigueur, mon regard loupe des trucs, la dernière fois c’était BNP au lieu de SG...
        c’est la cata !
        alice audouin

        31.10 à 23h18 - Répondre - Alerter
  • GERM : HOUELLEBECQ

    Une très bonne idée de faire la critique du livre de Houellebecq du point de vue écologique. Je suis entrain de le lire ; c’est un livre que je ne lâcherai pas et quand j’aurai fini je reviendrai ici... A bientôt !

    29.10 à 14h53 - Répondre - Alerter
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