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28-02-2013
Mots clés
Alimentation
Nucléaire
Japon

Fukushima ne digère toujours pas la catastrophe

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Fukushima ne digère toujours pas la catastrophe
(Crédit photo : jana press - zuma - réa)
 
Deux ans après l’accident nucléaire qui a ébranlé la province japonaise, les habitants redoutent le contenu de leur assiette. D’autant que les contrôles de contamination des aliments sont encore insuffisants.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Avec son fichu étoilé sur la tête et son sourire à fendre les pierres, Ayako Ooga a l’air heureuse et fière. Derrière son piano de cuisson, elle joue avec maestria de ses poêles et cocottes, en manipulant des légumes inconnus des palais européens. Elle est d’autant plus heureuse qu’elle a bien failli ne jamais ouvrir son restaurant, tout en bois et baies vitrées. Situé à quelques encablures de Koryama, capitale économique de la province japonaise de Fukushima, l’établissement était encore en travaux au moment du triple désastre (séisme, tsunami et catastrophe nucléaire) qui a frappé l’archipel, en mars 2011. « J’ai tout de suite pensé qu’ouvrir un restaurant 100 % bio serait impossible », se souvient-elle.

Après quelques mois de réorganisation, elle ouvre en juillet 2011 et, depuis, son resto lumineux ne désemplit pas. Ayako y sert une nourriture bio, donc, et macrobiotique, cultivée dans la région, par son mari agriculteur. Riz, légumes, haricots… Tout est « propre », assure-t-elle, en filant dans une alcôve où trône une machine blanche, reliée à un ordinateur. « Grâce à ce “ cadeau ”, nous pouvons vérifier que nos aliments contiennent peu de becquerels. » La cheffe assure mesurer des échantillons de tout ce que son mari fait pousser. « Cette machine est à disposition du public, chacun peut y apporter des aliments à contrôler. En 2011, c’était la folie, tout le monde venait mesurer ses légumes. »

La clientèle, très soucieuse de la qualité de son alimentation, vient en toute confiance. « Vous savez, ceux qui ne veulent pas s’inquiéter de leur assiette ne vivent plus dans la province, note Ayako, j’ai perdu pas mal de clients et cinq de mes employés ont déménagé. »Après les scandales de 2011 (plus de 4 tonnes de viande de bœuf contaminée placées dans les rayons des 174 supermarchés d’Aeon Co, des feuilles de thé à la vente mesurées à 1 000 becquerels par kilo (Bq/kg), des poissons empoisonnés sur le marché de gros de Tsukiji…) et l’extrême vigilance de l’après-accident, comment font les Japonais pour se nourrir en toute sécurité ? Il a d’abord fallu fixer des normes de contamination acceptables pour les aliments, inexistantes avant l’accident. Dès avril 2011, légumes, œufs, viandes et poissons ne devaient pas dépasser 500 Bq/kg, produits laitiers et eau, 200 Bq/kg. Il a fallu ensuite déployer une large campagne de contrôles. L’année dernière, près de 105 000 denrées ont été testées. Pousses de bambou, champignons, gibier, thé, herbes sauvages, prunes… 1 360 échantillons – 1,29 % du total – dépassaient les normes fixées par les autorités, et la moitié provenait de la province contaminée. Enhardies par ces résultats, les autorités ont baissé les niveaux acceptables de contamination : 10 Bq/kg pour l’eau et les feuilles de thé, 50 Bq/kg pour l’alimentation pour bébé, 100 Bq/kg pour le reste.

Traçabilité inexistante

« Attention, tous les produits ne sont pas contrôlés ! », signale Hajime Matsukubo, du Centre d’information des citoyens sur le nucléaire (CNIC). Au vu du nombre de restos au Japon et des pratiques alimentaires locales – les Japonais adorent manger hors de chez eux –, impossible de suivre à la trace tout ce qui sort de Fukushima. « Pour restaurer la confiance des consommateurs, le mieux à faire serait des campagnes de mesures au hasard », estime Kunio Shiraishi, ancien chercheur à l’Institut national des sciences radiologiques. Au-delà de la mesure, il y a la prévention. Au CNIC, on préfère le zéro risque. « Pour une famille avec des enfants, mieux vaut ne rien manger en provenance de Fukushima, même si c’est difficile, puisque la traçabilité est inexistante. » Sauf pour l’aliment-phare des cuisines japonaises : le riz. « Tous sont estampillés de leur ville d’origine, il n’y a donc pas de mélange possible pour une éventuelle dilution de la radioactivité. »Car une autre technique pour s’accommoder des becquerels, c’est l’empirique dilution avec des produits sains, déjà testée avec succès après l’accident de Tchernobyl. Au Japon, des feuilles de thé dépassant les 500 Bq/kg sont ainsi mélangées avec des feuilles propres. Idem pour les bambous, les produits de la mer, les légumes à feuilles (épinards, choux…) et les viandes. Autre carte à jouer, la confiance.

Certaines chaînes de supermarché, comme Aeon Co (la chaîne éclaboussée par le scandale de 2011), Ito-Yokado ou Coop, ont annoncé ne vendre que de la nourriture « sans radiations ». Dans la plupart des magasins, les produits issus des régions du nord du Japon (Fukushima, Tohoku, Niigata) sont bien moins chers que les autres, même s’ils sont propres. « Si la traçabilité n’est assurée que par les compagnies agroalimentaires, cela pose problème, concède Hajime Matsukubo. Car comment leur faire entièrement confiance ? »Toute la question est là. Peut-être par lassitude ou impuissance, au fil des mois, la trouille du becquerel a laissé place à une certaine indifférence dans le pays. Les inquiétudes persistent dans la région sinistrée, mais guère ailleurs.

Le poisson et la viande boudés

A Fukushima-shi (la ville), les « bentos » (« plateaux-repas ») cuisinés par les parents ont l’air frugaux. « Il n’y a souvent que du riz et des légumes, raconte Hiroyuki Yoshino, qui dirige l’ONG Enfants de Fukushima. Ici, les parents craignent de cuisiner le poisson ou la viande. » Toutefois, les phobies du début se sont estompées. Au CRMS – une sorte de petite Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) nippone –, on mesure les aliments et son propre corps, mais on ne se bouscule plus, surtout à 15 euros le contrôle ! Pis, avec le temps, Fukushima est devenu un argument commercial ! A Tokyo, un petit malin a ouvert un restaurant pour soutenir les producteurs de Fukushima, victimes d’une « injuste discrimination ». Le patron, Kenji Suzuki, prend l’air amusé de ceux qui savent qu’ils ont eu du flair. Dans cet établissement, les viandes (poulet, bœuf, porc), les légumes, le riz et même le saké sont garantis de Fukushima. En revanche, les poissons sont pêchés au large d’Hokkaido, au nord du pays. Et même si le menu attire les journalistes étrangers, peu de clients prêtent attention à l’origine des produits : « Nous, on vient parce que c’est bon, c’est tout », rigolent deux copines. Boycott pour les uns, soutien patriotique pour les autres, l’assiette nippone a des saveurs d’acte politique. —


- «  L’alimentation est un risque parmi d’autres  »

Philippe Renaud dirige le Laboratoire d’études radio-écologiques en milieu continental et marin, implanté dans les Bouches-du-Rhône et le Var.

Peut-on se nourrir en toute sécurité au Japon ?

Les gens peuvent se nourrir sans problème pour leur santé, car la nourriture n’est qu’un risque parmi d’autres.

Les habitants peuvent-ils acheter des aliments en connaissance de cause ?

Personne ne peut se nourrir sans aucun becquerel dans son assiette. En dehors d’initiatives de supermarchés et d’entreprises agroalimentaires, il n’y a pas de procédures de traçabilité mises en œuvre par des organismes publics permettant de certifier qu’il n’y a pas de contamination estampillée Fukushima.

Absorber des aliments contaminés est-il un risque comme un autre ?

C’est un risque à considérer parmi d’autres. Vivre dans certaines zones contaminées expose à une dose annuelle de 10 millisieverts (mSv). Si des habitants se nourrissent avec 100 % de denrées locales aux seuils de contamination les plus élevés, la dose reçue via l’alimentation n’est que de 1 mSv, 10 % du total. La vraie question, c’est : qu’est-ce qui paraît inacceptable aux populations ? Etre déracinées et vivre dans des préfabriqués pendant deux ou trois ans, ou ingérer des produits légèrement contaminés ? —

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Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

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