Ils ne sont pas tout à fait enterrés mais ils ne sont guère fringants. Les climatosceptiques français ont beau avoir de nouvelles étiquettes – climato-optimistes ou climato-réalistes –, ce sont peu ou prou les mêmes. Dans les arcanes de leurs organisations, des noms déjà croisés (Voir encadré au bas de cet article) et des profils assez similaires : ex-universitaires ou ingénieurs retraités, ils ont la soixantaine, sont en majorité des hommes et leurs rangs assez clairsemés. C’est en tout cas ce que l’on pouvait déduire de la conférence de presse qui s’est tenue ce jeudi dans le salon tout confort d’un bel hôtel près des Champs-Elysées. C’est le collectif des climato-réalistes qui appelait la presse – chichement représentée par trois journalistes – à venir scruter les résultats d’une étude Ifop commandée par l’Association francophone des climato-optimistes (Afco) (Voir encadré au bas de cet article).
Lors de la conférence de presse organisée ce jeudi. Crédit photo : Karine Le Loët.
Plusieurs conclusions au défilé de diapos projetés sur le mur : 2/3 des Français pensent que le climat change plus qu’avant – « Comment ils le savent ? », osera une voix féminine dans la salle ; « Ça ne veut pas dire qu’ils ont raison », soufflera plus tard un homme. 78% pensent que le changement est lié aux activités humaines. A une grande majorité (84%), ils seraient même « inquiets » ou « très inquiets » face à la menace climatique. Bigre. Mais quelle est donc la raison d’un tel consensus ? C’est simplement que les Français n’y comprennent goutte, conclut en substance le sondage. Ils surestiment le temps de fonctionnement moyen des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, ignorent l’étendue des réserves pétrolières ou délirent en pensant que l’électricité sera, demain, stockable. Eclairés par les soins du sondeur, les voilà qui reviennent dans le droit chemin : affirment qu’ils refuseront de payer une taxe carbone ou de foncer tête baissée vers les énergies nouvelles. Banco, pour la petite trentaine de climatosceptiques réunis dans la salle. On comprend entre les lignes : si les Français sont aujourd’hui favorables à la lutte contre le réchauffement climatique, c’est qu’ils sont victimes de la « thèse du réchauffisme », contaminée aux discours de la propagande ambiante. Le laïus développé dans les deux livres gracieusement offerts aux visiteurs à l’entrée ne dit pas autre chose. « Climat, J’accuse » et « L’idéologie du réchauffement » ont été commis par les deux principaux orateurs de la conférence : Christian Gerondeau et Rémy Prud’homme.
« Nous ne gagnerons pas le combat de la vérité par la rationalité »
« La COP nous a incités à mettre les bouchées doubles pour écrire deux livres qui sortent cette semaine. On a cravaché pour répondre au flot de propagande qui nous submerge, au tsunami de bien-pensance qui nous atteint », explique en aparté Rémy Prud’homme, professeur émérite d’économie à l’université Paris XII.
Mais alors que la grande échéance approche, ont-ils des chances de se faire entendre ? Dans le discours d’abord. On vous épargnera les grossières erreurs et les approximations qui ne font plus guère débat, les mythes entretenus sur le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (auxquels nous avons tenté de répondre ici) et la science de la climatologie en général. Ce n’est plus sur ce levier là que les disciples de Claude Allègre agissent. « Nous ne gagnerons pas le combat de la vérité par la rationalité, ça a été essayé, ça ne sert à rien. Il faut se placer sur le terrain de la vie et de la mort. Nicolas Hulot dit “vous tuez des gens”, moi je dis dans mon livre, on tue 4 millions de personnes chaque année avec les foyers domestiques », a souligné, devant un auditoire tout ouïe, Christian Gerondeau, ex-ingénieur polytechnicien, président de l’Afco et accessoirement président délégué à la mobilité et à l’environnement de l’Automobile club de France. Plus tôt, il avait assuré : « La densité de polluants émis par ces foyers, c’est comme si vous fumiez 400 cigarettes en même temps. Les centrales à charbon émettent peut-être du CO2 mais elles permettent que des millions de vies soient sauves. »
Défenseurs des pays pauvres, les climatosceptiques ? Voilà un habit qu’on ne leur connaissait guère. « Vous avez quand même le G7 (en réalité le G8) qui se réunit et qui dit “Nous avons décidé que les émissions de CO2 de la planète vont diminuer de 50% d’ici 2050” (…) Il y a 1,3 milliard d’Indiens, on ne leur demande pas leur avis. Ils n’ont qu’à s’exécuter. Tant que c’est que des mots, ça peut aller (…) Sauf que maintenant ce ne sont plus des mots. (…) Les pays riches, à commencer par la France, dans leur aide aux pays au développement, interdisent l’achat et la construction de centrales électriques au charbon. (1) (…) [Des investissements] qui sont pourtant indispensables à ce que ces pays continuent leurs efforts pour sortir d’une misère épouvantable. (…) Ça devrait toucher tous les gens qui ont un peu de cœur et un peu d’esprit », assure à son tour Rémy Prud’homme à la tribune (Voir une partie de son intervention sur le site de son éditeur).
« Irrités par la doxa dominante »
Aussi, dit Christian Gerondeau, le sommet de Paris est-il promis à l’échec : « La COP va être une confrontation des pays riches et des pays pauvres. Et les pays pauvres ne vont pas obéir aux pays riches. » Le souci, c’est que les deux compères confondent allègrement pays pauvres et pays émergents, semblant oublier que les pays les moins avancés et notamment les pays africains militent au contraire pour qu’on maintienne la Terre en-dessous des 1,5°C d’augmentation de température (contre 2°C intégré dans le brouillon de Paris aujourd’hui) et se battent pour un accord le plus contraignant possible.
Audibles malgré tout, les sceptiques français ? Si le discours isolé d’un homme médiatique comme Philippe Verdier – le monsieur Météo de France 2 – rassemble des supporteurs (2) et, son histoire, un intérêt, les climatosceptiques pèchent par manque cruel d’organisation. « Nous ne sommes pas une institution parce que par essence nous sommes des individus qui réfléchissent par eux-mêmes. Irrités par la doxa dominante, nous ne voulons pas nous embrigader dans d’autres doctrines », justifie Rémy Prud’homme. Mal identifiés, ils sont aussi peu audibles. « Oui, notre discours est assez isolé en France et en Europe. Mais ce n’est pas le cas partout », assure Christian Gerondeau, dans une salle attenante à la conférence. Un peu plus tôt, il assurait à la tribune : « Le pays où les choses peuvent évoluer, c’est les Etats-Unis ! L’opinion n’est pas du tout unanime comme chez nous. Là, il y a un clivage sur le sujet entre les démocrates et les Républicains. Chez nous, c’est aussi bien à gauche qu’à droite. Même Alain Juppé est un réchauffiste convaincu. » S’ouvrir à l’étranger. C’est peut-être le seul espoir de ces sexagénaires. Pour taper au-delà des sphères françaises, ils ont d’ailleurs traduit les deux ouvrages présentés en anglais, tandis que leur site offre une version anglophone. Lors de la COP21, le collectif souhaite réunir autour de lui des associations allemandes, néerlandaises, anglaises, italiennes, belges dont il est proche pour une « grande journée » que Marie-France Suivre, la présidente du collectif, voudrait « festive » : « Un autre sommet, avec un orchestre, des bouquins à vendre ! Quelque chose de festif. C’est mon côté optimiste. » Permettez-nous d’être sceptiques.
Mais qui sont donc ces climatosceptiques ?
Le 1er septembre est apparu le Collectif des climats-réalistes « qui regroupe individus et associations derrière un même projet : favoriser le retour à la raison dans le regard commun sur le climat », souligne son site Internet. Dans ses arcanes, « environ 300 membres, personnes morales et physiques confondues », selon Marie-France Suivre, représentante du collectif, et des noms déjà connus au sein de son Comité scientifique, comme Benoît Rittaud, mathématicien auteur du Mythe climatique (Seuil, 2010), François Gervais, ex-professeur de physique à l’université de Tours et auteur de L’Innocence du carbone, L’effet de serre remis en question (Albin Michel, 2013), ou encore István Markó, professeur de chimie organique à l’université de Louvain et auteur de Climat : 15 vérités qui dérangent (Texquis, 2014). A leurs côtés, des anonymes et des associations diverses : l’Association française des climato-optimistes, dont Christian Gerondeau est le président, mais aussi l’Amicale des foreurs et des métiers du pétrole, les Contribuables associés… La Fondation Ecologie d’avenir créée, elle, en juin 2011, par Claude Allègre et adoubée par l’Institut de France (voir notre article), continue d’organiser ça et là des colloques. Mais, conformément à ses statuts, elle n’a pas le droit de disserter du climat.
(1) Le 1er mars 2013, François Hollande a interdit à l’Agence française de développement de financer, dans les pays du Sud, la construction de centrales à charbon « dès lors qu’elles sont sans captage ou stockage de CO2 ».
(2) Plus de 1600 signatures de la pétition « Pour que Philippe Verdier soit confirmé dans son emploi à France Télévisions » étaient enregistrées, vendredi en milieu de journée, sur le site de Change.org.
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