Il est loin le temps où les routes étaient parcourues par des cantonniers avec des brouettes de sel et des pelles. Aujourd’hui, place aux « camions saleuses ». Le week-end dernier, dans le sud de la capitale, à 4h30, les employés des services municipaux de la ville de Sceaux (Hauts-de-Seine) avaient tous le bonnet vissé sur les oreilles. En deux jours, ils ont écoulé une quinzaine de tonnes de sel de déneigement, un mélange composé entre 90% et 99% de chlorure de sodium (NaCl). Le but ? Abaisser le point de congélation de l’eau grâce à l’action des composés chimiques du sel pour éviter le verglas. On estime qu’entre 200 000 et 2 millions de tonnes de sel sont ainsi épandues sur nos routes chaque année. Cette quantité a crû au cours des quarante dernières années, avec l’élargissement du réseau routier : la France compte aujourd’hui un million de kilomètres de route.
Une norme pour limiter la pollution
Economique et efficace, le sel est le fondant routier par excellence en France. On peut le trouver de seconde main, c’est-à-dire issu des industries. Et donc bien plus polluant car il contient des métaux lourds et des hydrocarbures. Mais cet ersatz a tendance à disparaître depuis 2011 avec l’adoption de la norme AFNOR XP P 98181 pour limiter les fondants polluants. « Elle permet aujourd’hui aux acheteurs du marché public une certaine exigence vis-à-vis des vendeurs de sel, pour être sûr de la qualité et de la provenance du produit », explique Didier Giloppé, expert en viabilité hivernale au ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. Pourtant, même « propre », le sel naturel pollue encore. Mince alors.Le sel naturel pollue-t-il vraiment ?
Les études scientifiques sont rares en France, mais abondent en Amérique et en Europe du nord. Toutes confirment que le salage pollue. On les retrouve, en substance, compilées dans une note d’information du Sétra (Service d’étude sur les transports, les routes et leur aménagement du ministère de l’Ecologie). En résumé, les rapports scientifiques montrent aussi que le chlorure de sodium agit en tant que capteur et libérateur, par réaction chimique, des ions des métaux diffus sur les routes polluées (plomb, zinc, aluminium issus des équipements de la route). Mais son principal défaut est ailleurs. Le salage des routes nuit à la biodiversité, parce que le sel se disperse avec le vent, le ruissellement, les infiltrations, les projections... en dehors de la chaussée. Et parce que ces émanations déshydratent les arbres, les plantes, et même les poissons et les grenouilles.Du coup, en France, certaines municipalités – peu nombreuses – ont décidé d’appliquer le principe de précaution en écartant ou en pondérant l’usage du sel, comme à Corrençon-en-Vercors (Isère). « Ici, depuis les années 1990, on ne pratique plus que le déneigement et on utilise des pneus neige. On a préféré abandonner le salage pour préserver les nappes phréatiques. Cela nous avait été fortement conseillé par la direction du Parc naturel régional du Vercors », se souvient Valérie Lossouarn, secrétaire de la mairie. La ville de Sceaux préfère quant à elle mélanger le sel de route avec du sable, avec un ratio de deux tiers/un tiers.
L’art de saler
En Allemagne, Finlande ou encore en Suède, la réglementation des fondants routiers est inscrite dans le code de l’environnement. Cela se traduit par une optimisation des quantités à épandre, une suppression des traitements dans les secteurs vulnérables ou même la plantation d’arbres résistants au sel.En France, on est encore loin de ça : aucune réglementation ne traite spécifiquement du cas des fondants routiers ! Et certaines règles de salage ont longtemps été ignorées. « Le sel n’est efficace que lorsque la couche de neige est inférieure à un centimètre », rappelait l’association écologiste France nature environnement dans un communiqué. Au-delà, il faut faire appel aux déneigeuses pour évacuer la neige en raclant la chaussée avec une lame portée par un engin. Mais l’art de saler aurait tout de même progressé. « Ces dernières années, avec la recrudescence des hivers froids, il a fallu sensibiliser nos opérateurs, leur dispenser un savoir-faire, précise Didier Giloppé. Nous travaillons au maximum sur la prévention pour éviter la formation du verglas. Du coup, on utilise de moins en moins de sel en France : 5 ou 10g de sel par m2 en moyenne contre 40 il y a quelques années. » Ces progrès sont aussi dus à des véhicules d’intervention désormais équipés de système GPS pour faciliter l’organisation des circuits de déneigement, ou de stations météo routières locales pour anticiper les actions. Mais la dispersion des fondants routiers dans le milieu naturel lors des différentes étapes de la chaîne d’utilisation du sel est estimée jusqu’à 70 000 tonnes par an, selon la note d’information du Sétra.
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