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En Mayenne, le poison est dans le pré

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En Mayenne, le poison est dans le pré
(Crédits photos : Aude Rouaux)
 
Une usine de retraitement de déchets dangereux est soupçonnée d’avoir contaminé tout un village aux PCB, des dérivés chimiques. Depuis un an, 400 bovins ont dû être abattus. Et la population s’inquiète désormais pour sa santé.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Mise à jour du lundi 22 avril : La préfecture de la Mayenne a annoncé, le 18 avril, qu’elle différait la suspension de l’activité d’Aprochim. L’entreprise de traitement des PCB, (des dérivés chimiques), basée à Grez-en-Bouère (Mayenne), dispose d’un nouveau délai de trois mois pour « détailler les moyens techniques et organisationnels qu’[elle] met en œuvre pour garantir le respect des niveaux de rejets fixés par l’arrêté préfectoral du 12 avril 2012 », a précisé la préfète Corinne Orzechowski, citée par le site Actu-environnement.

De lui, on ne voit qu’elles. Des mains lourdes, des mains calleuses. De celles avec lesquelles on ne plaisante pas. Elles tournent, s’ouvrent, se ferment. Elles tremblent aussi. Surtout quand Hubert désigne l’étable, là-bas, en face. Il tend le bras au-delà des carreaux de la salle à manger. C’est un bâtiment de vieilles pierres, un sol de paille qui a perdu son odeur âcre de purin, un vide qui sent le trop-plein. Toutes les vaches d’Hubert sont parties à l’abattoir. « Ils nous ont dit qu’il n’y avait pas d’autre solution », confie Annick, sa femme. Les services sanitaires ont retrouvé dans le sang des bêtes des taux de PCB cinq fois supérieurs à la normale. Alors on les a emmenées, un dimanche de novembre dernier. Quatre-vingt-cinq vaches entassées dans un camion. « Du point de vue physique, on ne voyait rien, mes vaches étaient en pleine forme, rappelle Annick. Ce n’est que quand on a fait des analyses qu’on a vu que quelque chose clochait. »

Herbe et fourrage contaminés

Pendant des années, les vaches des Jouin se sont nourries, ici, en Mayenne, d’herbe et de fourrage contaminés aux PCB, des polychlorobiphényles, des dérivés chimiques interdits en France depuis 1987. « On ne pouvait plus vendre le lait de nos vaches. C’est bête quand on n’a que des vaches laitières ! », s’exclame Annick. Pour le chef de famille, pas besoin de chercher bien loin pour trouver le responsable. Il suffit de parcourir 1 300 mètres. Jusqu’à l’usine Aprochim, une société de retraitement de déchets industriels, propriété du groupe français Chimirec et installée dans le village voisin de Grez-en-Bouère. « Avec mes vaches, on était pourtant passés à travers la vache folle, la fièvre aphteuse. Mais vous voyez, c’est les PCB d’Aprochim qui les ont eues », marmonne Hubert d’une voix lasse. A quelques champs de là, les PCB ont aussi atteint les chèvres de Joseph. Son élevage a été mis sous séquestre le 17 novembre dernier. Sa production de lait frôlait le seuil limite des 6 picogrammes par litre de sang. Depuis, Joseph regarde ses chèvres gambader sans pouvoir faire de fromage. Si la situation s’éternise, il va devoir faire une demande de RSA pour vivre. De quoi lui faire monter la moutarde au nez.

De toute façon, ça fait longtemps que « l’Aprochim », il l’a « dans le pif ». Avec « Momone » – Simone, sa femme –, ils étaient présents dès les premières manifestations contre l’implantation de l’usine, en 1988. A l’époque, Momone s’est même essayée à une grève de la faim. De deux jours. « J’ai failli clapoter », commente-t-elle tandis que Joseph se débat avec sa centaine de coupures de journaux jaunies pour retrouver une photo des événements.

Des déclarations maquillées

Selon les analyses de la sous-préfecture de Château-Gontier, ce sont les rejets en PCB de l’usine qui ont souillé les terres environnantes. Pendant des mois, des années peut-être, de fines particules de déchets industriels ont été recrachées par les cheminées de l’entreprise. « Pour ce genre d’usine, il faudrait un sas d’entrée, des portes étanches, mais là, il n’y a rien. Ça transpire les PCB de partout », s’indigne Jean-Marc Guesdon, le président du collectif de riverains Terre et Vie d’Anjou. A la suite de dénonciations, l’Etat se penche sur le problème en 2009 et impose à Aprochim de réaliser des tests sanitaires. En janvier 2011, des traces de PCB sont retrouvées dans du lait de vache. Dix fermes sont placées sous séquestre. Le sous-préfet, Jérôme Harnois, exige alors que l’usine réduise ses activités de moitié.

Enfin, le 14 décembre dernier, le parquet de Laval ouvre une information judiciaire pour « mise en danger de la vie d’autrui et pollution ». Le Conseil régional des Pays de la Loire choisit de se porter partie civile aux côtés des habitants. « Moi, ça fait quinze ans que j’attends ça. Il faut arrêter ce bricolage ! », s’emporte Stéphane Picrouillère de sa voix rocailleuse. Il a travaillé comme ouvrier au sein d’Aprochim de 1993 jusqu’à son licenciement pour raisons de santé, en 2009. « On n’était à l’abri nulle part, on baignait dans ça. Ça nous brûlait la peau. Avec cette merde, aujourd’hui encore, j’ai le sommeil complètement déréglé et des maux de tête presque tous les jours. »

Pendant des années, Stéphane a voulu alerter. Il a écrit à l’Inspection du travail, aux clients d’Aprochim, notamment EDF. Il est même allé jusqu’à porter plainte auprès du procureur de Laval. Classée sans suite faute de preuves. Aujourd’hui, ses analyses de sang plaident pour lui. « Les taux de PCB dans mon sang sont vingt fois supérieurs à la normale. Et encore, je ne compte pas la dioxine et le furane. Il y a des jours où je me dis que je vais crever avec ça dans le sang. » Les paroles de Stéphane sont pressées. Pressées de tout dire. « Ce qui est marrant, c’est que l’Etat semble découvrir le pot aux roses. Pourtant, c’est pas la première fois qu’Aprochim est pris en flagrant délit. » Selon l’enquête de la gendarmerie, de 2000 à 2003, l’usine a dilué des huiles contaminées aux PCB avec des huiles propres pour faire descendre les taux en dessous de la norme. Grâce à ce procédé, l’entreprise aurait joué sur deux tableaux : elle aurait d’une part facturé aux producteurs de déchets un traitement non réalisé et falsifié d’autre part les certificats de destruction pour masquer la réalité de ses pratiques. Aprochim aurait également maquillé ses déclarations à la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement. Entre-temps, les bénéfices nets du groupe sont, eux, passés de 2 à 10 millions d’euros. L’ancien directeur et six cadres du groupe ont été mis en examen pour « élimination irrégulière de déchets », « faux et déclarations mensongères ». Leur procès aura lieu en mai.

La faute aux barbecues ?

Derrière les grilles d’Aprochim, la nouvelle direction minimise. Elle reconnaît « que la société a une part de responsabilité », mais, selon Raïd Zaraket, le responsable de la communication du groupe Chimirec, les coupables seraient également à débusquer du côté « des feux de broussailles, des barbecues, des cheminées, des brûlages d’ordures, des épandages de boues… Personne ne les a incriminés parce qu’il est plus pratique d’imputer la responsabilité à Aprochim. » Un argument qui fait bondir Jean-Marc Guesdon. « Des barbecues responsables d’empoisonner des bêtes ? Laissez-moi rire ! Si c’était le cas, comment expliquer le fait qu’Aprochim ait versé des indemnités à certains éleveurs touchés ? »

Avant de prendre la tête du combat, Jean-Marc venait d’ouvrir une exploitation de volailles. Mais depuis deux mois, sa clientèle a pris la poudre d’escampette. « C’est parce qu’on me voit dans la presse, les gens font l’amalgame. Pourtant mes bêtes ne sont pas contaminées. » La voix fatiguée, les soupirs qui traînent, les cernes : Aprochim, il y pense nuit et jour. « Je m’en veux d’avoir élevé mes fistons ici. C’est dangereux pour notre santé. »

Car les PCB sont des perturbateurs endocriniens, qui peuvent se révéler cancérigènes pour l’homme. De colère, avec une cinquantaine de manifestants, Jean-Marc a planté le 20 novembre des panneaux devant l’usine. Il y a listé les animaux euthanasiés. quatre cents jusqu’à présent. « Je ne sais pas si ça marche. Vous savez, ici, en Mayenne, on est des taiseux. Comme, en plus, Aprochim embauche quatre-vingt-six personnes dans la région… On a tous un cousin ou une tante qui travaille ici. Ça incite personne à l’ouvrir. »

Analyses de sang

Terre et Vie d’Anjou a tout de même obtenu une petite victoire : en janvier, des analyses de sang devaient être menées sur une trentaine d’habitants. « Ça me fera une sortie ! », ironisait Hubert Jouin, il y a quelques jours. Car sans ses bêtes, il tourne en rond. Sa vie durant, les vaches ont ponctué son quotidien. Alors, aujourd’hui, tout est à réapprendre. L’emploi du temps, la nourriture aussi. Annick est obligée d’acheter au « magasin » : des légumes « sans goût », des œufs « visqueux », du lait en brique. « C’est atroce, on dirait de la flotte ! D’habitude, le matin, Hubert, il rôdait autour de la casserole. Maintenant, je le vois plus ! » —


Chronologie

1988 Implantation d’Aprochim à Grez-en-Bouère (Mayenne) pour traiter des déchets industriels.

2000-2003 Selon une enquête de la gendarmerie, l’usine dilue des huiles contaminées aux PCB avec des huiles propres pour faire baisser les taux de contamination.

Début 2011 Des traces de PCB sont retrouvées dans du lait de vache. Dix fermes sont placées sous séquestre.

Octobre 2011 Les premiers troupeaux sont abattus.

Décembre 2011 Une information judiciaire pour « mise en danger de la vie d’autrui et pollution » est ouverte. La région des Pays de la Loire se porte partie civile.

Mai 2012 Ouverture du procès des anciens dirigeants d’Aprochim poursuivis pour « élimination irrégulière de déchets ».


L’autre scandale des PCB : le Rhône empoisonné

« Un Tchernobyl à la française. » Le WWF-France ne mâche pas ses mots quand il parle de la pollution aux PCB qui sévit dans l’un des fleuves français. Aujourd’hui, le Rhône est souillé, de l’Ain à la Méditerranée. En aval de Lyon, tous ses affluents seraient contaminés. Un établissement en particulier est montré du doigt : l’usine Séché de Saint-Vulbas (Ain). Spécialisée – comme Aprochim – dans le traitement des déchets sensibles, l’entreprise a éliminé des milliers de transformateurs électriques contenant du pyralène. Et jusqu’en 1992, elle avait l’autorisation de rejeter dans le Rhône 1,5 kg de PCB par jour ! Or, ces dérivés chimiques ne se dégradent pas. Non solubles dans l’eau, ils se déposent sur les sédiments et sont mangés par les poissons de vase.

« Pendant des années, on a mangé du poisson contaminé sans le savoir ! Ce n’est qu’en 2007 qu’ils ont interdit la pêche dans le fleuve. C’était déjà trop tard ! », s’indigne Alain Lagarde, le président de la Fédération de pêche du Rhône. Aujourd’hui la Seine, la Loire, le Rhin, la Moselle seraient également touchés. Le problème, c’est que l’on ne sait toujours pas comment décontaminer les fleuves. En 2007, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet se disait déjà pessimiste dans Libération : « On ne pourra jamais enlever tout le pyralène. Les quantités sont trop importantes. Comme les couches inférieures semblent plus contaminées, le fait de draguer le fleuve pour les traiter remettrait en outre en suspension les sédiments pollués. »

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RÉPONSES DE LA RÉDACTION
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  • et en plus quelle vie avaient ces chèvres ? ....

    Petits enlevés à la naissances sauf les futures laitières...
    ce qu’ils appellent la réforme....
    Abattues à 7ans pour l’exportation halal -qui mange de la viande de chèvre en france ? une chèvre vie normalement de12 à 14ans...

    Gentils éleveurs #fromage #chèvre #bio
    www. youtube.com /watch ?v=Y5VJaff-FNE censure #laicité
    Appelez producteurs distributeurs mensonges Corse Pyrénées Saint Maure...
    vidéo @Radisquitweet L214 fondation bardot...

    Non ! Nous ne sommes pas végan mais nous ne consommons plus de produits de mammifères : maltraitances de la conception à la mort souffrance à 99.99% halal en France donc non laïque...
    Qui mangerait de la viande des fromages bénis par des curés ?

    Etes-vous encore là terra pour diffuser de telles infos ? qui le fera ?

    1er.04 à 10h10 - Répondre - Alerter
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