Elle a lancé son premier coup de gueule de présidente depuis l’Antarctique. Isabelle Autissier, fraîchement élue à la tête du WWF France, naviguait alors, ce 9 janvier 2010, quelque part au large d’Ushuaia, quand elle a fait suivre au Journal du dimanche une « Supplique pour le thon rouge », cosignée avec Serge Orru, directeur de l’ONG. Une tribune publiée quelques semaines avant la réunion de la Convention sur le commerce internationale des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) à Doha, au Qatar. « Avant de prendre cette présidence, j’ai posé une seule condition, c’est de pouvoir partir au large une fois par an. Si je ne navigue pas, je sèche », justifie-t-elle en souriant, au sortir d’une journée de réunion avec les équipes du WWF. A 14 000 kilomètres du bois de Vincennes, siège de l’association, un téléphone satellite et un ordinateur embarqués à bord ont donc permis son entrée dans le débat public national.
A 54 ans, Isabelle Autissier, déjà investie dans de nombreuses organisations – dont la Ligue des droits de l’homme et l’Ecole de la mer installée au sein de l’aquarium de La Rochelle –, a décidé d’endosser le rôle de porte-voix du l’ONG au panda. « Devant l’urgence et l’ampleur des enjeux, il m’est apparu nécessaire de faire un pas de plus dans l’engagement. » Cette exposition rompt avec le caractère discret de la pourtant très célèbre navigatrice, quatre tours du monde en solitaire au compteur. « La sympathie et la médiatisation sont un capital. J’ai toujours veillé à ne pas l’utiliser à tort et à travers. Aujourd’hui, je le mets à disposition », affiche-t-elle. Une recrue de choix quand la mer se forme. Alors que le ressac fait tanguer le navire écolo – Copenhague, Doha, puis un Grenelle en demi-teinte – et que le gros des batailles est à venir, les figures de proue sont courtisées. « Elle va gonfler nos voiles : avec elle, des gens qui ne nous écoutaient pas vont nous écouter, s’enflamme Serge Orru, qui a fermement soutenu sa candidature. Nous devons convertir la société et pour cela, une femme de cette trempe, c’est formidable ! »
« On ne peut se contenter de pourrir les gens »
Sa légitimité, elle la tient aussi de ses multiples expériences. Ingénieure agronome spécialisée en halieutique, l’exploitation biologique des fonds marins, Isabelle Autissier a travaillé pendant dix ans à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) sur les pêcheries du golfe de Gascogne. Elle a passé des heures avec ces pêcheurs aujourd’hui montrés du doigt. « J’ai du respect pour leur métier. On ne peut se contenter de pourrir les gens, il faut leur proposer des solutions réalistes, même si on leur demande de gros efforts », lance-t-elle. La citoyenne de La Rochelle se rappelle que dans les années 1980, il était facile de traverser le port en passant par le pont des bateaux de pêche. Aujourd’hui, il n’y en a plus un seul. « Expliquer que continuer à pêcher met en danger la ressource, alors que les gens voient du poisson autour d’eux, c’était difficile et ça l’est toujours. Pourtant, la nature a des seuils, et quand ils sont franchis, c’est irréversible. Ce sont des messages compliqués, comme tout ce qui concerne l’environnement. » L’optimisme est pourtant de mise.
Vice-présidente du groupe 1 – « délicate rencontre de la terre et de la mer » – au Grenelle de la mer, elle croit en la méthode pédagogique. En Charente-Maritime, des maires sont ainsi venus lui demander d’organiser chez eux des « petits Grenelle ». « Dans ces villages, les salles étaient pleines : quand on déclenche chez les gens l’envie d’être intelligent et de se poser des questions, ça marche ! », assène-t-elle. Elle en a retenu l’importance de penser le littoral non comme une simple ligne côtière, mais en symbiose avec les terres. Et fait d’ailleurs du problème de l’eau terrestre un dossier prioritaire. En juin, elle a réclamé à l’Etat de « mettre au pas » l’agriculture industrielle, estimant que l’eau a été « la grande oubliée du Grenelle de l’environnement ».
Equipage de scientifiques, de sportifs, d’écrivains
Plutôt que des réponses, ce sont les questions qui continuent de faire avancer celle qui a découvert la mer à six ans, en vacances en Bretagne. Après quinze ans de course au large, en solitaire et en équipe – « ça ne me manque pas du tout » –, la navigatrice a acheté un voilier, Ada II, équipé d’une coque en aluminium et amarré à Ushuaia. Une fois par an, elle y convie un équipage hétéroclite, composé de scientifiques, de sportifs de haut niveau, d’écrivains… Une invitation à partager sa fascination pour les mers et les terres extrêmes du Pacifique Sud. « Ces endroits sont forts parce qu’ils sont compliqués. Ils obligent à être attentifs à ce qui nous entoure, à comprendre les mécanismes du milieu. On ne peut y naviguer que si l’on collabore avec la nature et qu’on en tire des lignes de conduite », assure-t-elle.
Une profession de foi écolo puissante, qui évite la ritournelle sur les ours polaires, qu’elle connaît bien pourtant. « Pour Isabelle, ces navigations dans les mers australes font partie de sa construction : elle en revient avec des convictions plus affirmées, mieux armée pour défendre ses causes », remarque l’alpiniste Lionel Daudet, qui a participé à plusieurs virées, dont la dernière, de janvier à mars, intitulée No Man’s Land Project. L’année dernière, Isabelle Autissier publiait un roman remarqué, Et seule la mer s’en souviendra, racontant la disparition en mer d’un navigateur devenu fou d’avoir bravé la nature, de n’avoir pas su s’accorder avec elle. —
ISABELLE AUTISSIER EN DATES ET EN GESTES
1956 Naissance à Paris1978 Diplômée de l’Ecole nationale supérieure agronomique de Rennes en tant qu’ingénieure spécialisée en halieutique
1991 Devient la première femme à boucler un tour du monde en course, lors du BOC Challenge
2009 Publie Et seule la mer s’en souviendra (Grasset) et est élue présidente du WWF France la veille de Noël
2010 Expédition de trois mois autour de la péninsule antarctique et de l’île Pierre Ier à bord du voilier Ada II
Son geste vert : le bateau à voile . « Une fois le sillage refermé, personne ne sait que je suis passée »
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