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22-03-2010
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Chronique

Ecologie : comment rebondir ?

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Ecologie : comment rebondir ?
 
Par Éloi LAURENT, économiste et conseiller scientifique à l’OFCE (Centre de recherche en économie de Sciences-po) et professeur invité à Stanford University
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Plus de deux ans après le grand élan du « Grenelle de l’environnement » et malgré le succès confirmé d’Europe Ecologie aux élections régionales, le débat écologique paraît s’enliser en France. Comment comprendre cet essoufflement et comment sortir de la « fatigue verte » qui menace sur fond de crise sociale, fatigue encore accentuée par la déception de Copenhague ? Le prolongement de la distinction établie par le chercheur anglais Andrew Dobson entre les comportements des citoyens et leurs attitudes à l’égard des grands enjeux environnementaux peut s’avérer ici très utile.

Un certain nombre de comportements ont des conséquences directes et indirectes sur l’environnement : comportements de production, de consommation, de transport, d’habitation, etc. Ces comportements sont sous l’influence du système de prix, et plus précisément des prix relatifs : si l’essence et le fioul domestique sont relativement peu chers, les ménages peuvent vouloir habiter des zones périurbaines dans des logements difficiles à isoler et chauffer parce qu’ils pourront en supporter le coût économique. Ces choix supposeraient en effet, en principe, des dépenses de transport pour le trajet domicile-travail et des dépenses de chauffage trop importantes. Ces dépenses, et les comportements dont elles sont les symptômes, sont économiquement supportables si le prix de l’énergie reste modéré. Le système de prix contribue ainsi à dessiner l’espace urbain, ce qui révèle sa portée.

Si la puissance publique décide de changer ces comportements de manière efficace, il lui faudra graduellement augmenter le prix de l’énergie tout en permettant aux ménages d’opter pour d’autres choix plus favorables par exemple à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Deux paramètres interviennent alors : il faut que le « signal » envoyé soit suffisamment fort, c’est-à-dire qu’il induise de vrais changements de comportement, ce qui suppose par exemple de fixer un prix de la tonne de CO2 à un niveau tel qu’il affecte bien les décisions individuelles. Il faut aussi s’assurer de la capacité effective des citoyens à répondre à ce signal de prix en utilisant des solutions alternatives : c’est la question des élasticités des comportements qui est alors posée. Il s’agit en tout état de cause de changement de comportements, c’est-à-dire de réponses rationnelles des citoyens à une altération du système de prix par la puissance publique.

Une toute autre question est celle des attitudes par rapport aux enjeux environnementaux et la manière de les modifier. Les comportements, dans une économie de marché, dépendent du système de prix. Les attitudes, dans une démocratie, dépendent du système de valeurs. Si la puissance publique veut changer non pas les comportements mais les attitudes des citoyens, il lui faudra aller au-delà du seul principe d’efficacité.

On peut néanmoins penser que cela ne sera pas nécessaire : en changeant les prix, en modifiant les comportements, on transformera progressivement les valeurs, et on changera finalement les attitudes. C’est pourtant peu vraisemblable : ce sont les valeurs qui déterminent les prix et pas l’inverse. De la même manière, les attitudes déterminent les comportements, pas le contraire.

Pour se convaincre de la puissance des attitudes dans une économie de marché, il importe de comprendre que la plupart des transactions s’y passent en fait hors du marché, c’est-à-dire hors du système de prix. C’est par exemple le cas de l’échange de confiance interpersonnelle qui relève de ce que Kenneth Arrow a appelé les « institutions invisibles » qui permettent l’échange économique mais ne sont pas réductibles à la quête de l’intérêt personnel et au choix rationnel et sont de fait soustraites à l’influence du système de prix. La confiance, invisible et dépourvue de prix, joue pourtant un rôle central dans les transactions économiques et même plus généralement dans le bon fonctionnement des démocraties.

Le problème, bien entendu, c’est qu’il est beaucoup plus difficile de changer les valeurs que les prix et, à vrai dire, c’est bien plus contestable. Les régimes politiques qui prétendent imposer aux citoyens des valeurs malgré eux sont généralement dangereux. Pour autant l’intérêt général peut légitimer une telle démarche : il est loisible de considérer que les enjeux environnementaux sont, à l’image de la sécurité routière, des enjeux qui commandent pour le bien de tous que chacun modifie son comportement dès lors que celui-ci est nuisible à la collectivité. Et il faut pour cela davantage que la fameuse « peur du gendarme ». C’est le sens des publicités diffusées en ce moment par les organismes de sécurité routière qui n’en appellent pas à la rationalité individuelle (en insistant par exemple sur les peines encourues en cas d’infraction) mais au sentiment commun d’humanité (« cela pourrait être votre fille ou votre mari », « les délinquants de la route sont des briseurs de vies »). Comment procéder sur les questions environnementales ? Quels arguments mobiliser pour atteindre la sphère des attitudes par-delà celle des comportements ?

On peut vouloir mettre en avant la « terreur écologique » : la peur est censée être un puissant moteur de l’action. En réalité, la peur paralyse probablement davantage qu’elle n’incite à agir : plus on dira que la fin du monde est proche, que les catastrophes menacent et qu’aucune solution efficace n’existe pour les contrer, et plus on encouragera les comportements irresponsables. Promis à l’Armageddon environnemental, beaucoup se diront qu’ils n’ont plus rien à gagner à adopter des comportements écologiquement responsables puisque l’avenir se décompose sous leurs yeux et qu’il est en somme trop tard pour bien faire. Une autre solution consiste à répandre la « vertu écologique » dans la société.

Mais quel en serait le ressort ? On peut penser que ce sera la culpabilité – à l’égard de ses enfants, petits-enfants, des animaux, de tous les êtres vivants – mais, là aussi, il s’agit d’un pari bien incertain sur la nature humaine. On peut encore vouloir rendre l’écologie « positive » et non « punitive », ce qui est certainement louable, mais passe sous silence les nécessaires sacrifices auxquels les générations présentes doivent consentir si elles veulent laisser aux générations futures la capacité de mener l’existence que celles-ci devraient pouvoir choisir en toute liberté. Peut-on envisager d’autres arguments ? Il en est un à la fois plus fondamental et plus simple : le principe de justice.

La différence entre l’enthousiasme qui a entouré le « Grenelle » et l’amertume du débat sur la taxe carbone tient sans doute à la nature différente des instruments économiques qui étaient en jeu - dans un cas la régulation, et dans l’autre l’instrument fiscal, l’un et l’autre ne reposant pas du tout sur la même économie politique. Mais derrière la logique de ces instruments économiques se cache une différence plus profonde, entre, d’un côté, un processus perçu comme juste parce qu’il associait sous le regard de l’opinion dans une véritable négociation diverses parties sur un pied d’égalité, et, de l’autre côté, une mesure qui a été comprise comme décidée à huis clos par un comité d’experts et dont les ultimes arbitrages ont finalement été rendus sans concertation par l’appareil techno-politique.

Or le principe de justice est central dans tous les débats écologiques (changement climatique, biodiversité, vitalité et résilience des écosystèmes) qui ne peuvent reposer exclusivement sur le seul principe d’efficacité, comme le montrent bien les négociations climatiques mondiales. Les lois de la Nature, les lois darwiniennes de sélection naturelle et d’adaptation, sont au fond déjà des lois d’efficacité. La valeur ajoutée des humains dans les débats environnementaux consiste précisément à formuler les problèmes complexes qui se posent à eux en termes de justice et d’injustice. Un lien essentiel et trop souvent négligé dans la conception et la mise en œuvre des politiques environnementales est le lien entre écologie et inégalités, autrement dit entre question écologique et question sociale.

C’est pourquoi il serait plus judicieux de parler et surtout de penser en termes de « politiques social-écologiques » et de poser clairement la question des inégalités environnementales. C’est peut-être la clé du renouveau du débat écologique en France. C’est peut-être la clé pour passer, en ce domaine désormais vital du développement humain, d’un changement des comportements à un changement des attitudes.

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Éloi Laurent est économiste senior à l’OFCE/Sciences Po et enseignant à l’université Stanford (Etats-Unis).

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