Dans sa tombe, le père du communisme doit en avoir la barbe toute hérissée. Car c’est au cœur de sa ville - l’ancienne Karl-Marx-Stadt, rebaptisée Chemnitz en 1990 - que la grande distribution allemande a choisi de tester en avant-première le supermarché de demain. Les experts en sont convaincus : l’avenir de l’économie allemande passe bel et bien par ici. Ironie de l’histoire, Chemnitz - cité morose de l’Est de l’Allemagne, ravagée par le chômage - se voit soudainement propulsée avant-garde marketing du pays. La raison de cette fulgurante ascension ?
Un supermarché conçu spécialement pour les personnes âgées. Car ici, dans certains quartiers, les plus de 60 ans représentent jusqu’à 60 % de la population. Une idée de ce que sera l’Allemagne dans quelques décennies (en 2040, 37 % de la population aura dépassé la soixantaine). Dès lors, le mot d’ordre est clair : chouchoutez les vieux et commençez par les appeler "seniors", recommandent au passage les agences de marketing spécialisées.
Déambulateur pour 1 euro
Elisabeth Schumann est donc un cobaye. A 87 ans, elle trottine comme une souris entre les rayons du supermarché de la Flemmingstrasse. Sous le regard ému de sa fille Heidi, 65 ans : "Ici elle peut de nouveau se débrouiller toute seule. A son âge, c’est formidable d’avoir un peu d’indépendance." La maman s’arrête encore à la boucherie, hésite, se décide finalement pour une escalope de porc, vendue individuellement dans une petite barquette. Ceci est en effet l’une des spécificités du supermarché de Chemnitz : des emballages pour personnes seules ou qui mangent peu. Au contraire, les travées ont été, elles, élargies pour permettre la circulation de chaises roulantes ou de déambulateurs, disponibles pour 1 euro à l’entrée.Places de parking XXL
Elargies aussi les places de parking, car, à 75 ou 80 ans, on n’a plus forcément le compas dans l’œil pour se garer. Pour ceux qui sont vraiment mirauds : les prix sont affichés en gros et des loupes sont pendues à une chaînette de métal dans les rayonnages. Le braille s’étale même en tête de gondole, sur les étiquettes de repérage - produits d’entretien, boissons non alcoolisées... Au rayon fruits et légumes, les balances ont la parole. Tout est prévu puisque derrière la viande à la coupe, dans la salle de repos, patiente un défibrillateur prêt à l’utilisation. Les salariés sont tous formés à la dispense des premiers secours.Ces services ont forcément un prix. Il faut par exemple compter 20 centimes de plus pour une plaquette de beurre. Heidi hausse les épaules : « C’est le prix de la sécurité. Pour ma mère, celui de l’indépendance. » Elle n’est pas la seule à le penser. Depuis qu’il est adapté aux personnes âgées, le supermarché a vu ses recettes grimper d’environ 35 %.
Crèmes pour "peau mûre"
"Eh oui, ça marche !, confirme Andreas Reidl directeur d’une agence de marketing spécialisée dans les questions générationnelles, car ces seniors ne sont pas seulement de plus en plus nombreux ; ils sont aussi très riches ! Incontestablement la génération à privilégier dans les années à venir". Leur pouvoir d’achat annuel moyen est en effet supérieur de 2 000 euros à celui des autres tranches d’âge. Et ils alimentent un marché de 90 milliards d’euros par an. Aujourd’hui déjà, le secteur des biens de consommation courante capte 63 % de son chiffre d’affaires grâce à eux. Au creux des rides, il y a de l’or ! Dans le sillage de Chemnitz, quatre autres supermarchés pour personnes âgées ont ouvert en 2005.Les cheveux gris font fantasmer tous les secteurs. La beauté, avec Nivea et sa ligne pour "peau mûre". Le sport, avec Adidas et sa chaussure de marche pour "os fragiles". Les loisirs, avec le voyagiste TUI et ses clubs "Elan" pour "ceux qui veulent rester énergiques"... Pour vendre au troisième âge, il faut visiblement savoir jouer de la périphrase. Là encore, le supermarché de Chemnitz a donné le la avec sa très pompeuse appellation : "supermarché des générations".
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions