Une cigogne porte à bout de bec un balluchon de drap blanc. Dans son colis, pas de poupon rose et joufflu, mais un 4x4 flambant neuf, qui égratigne au passage le sommet d’une montagne. « Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, nous annonce sobrement le slogan dans un coin de l’image. La naissance de votre troisième enfant vous permet de bénéficier d’une réduction de malus écologique et offre ainsi à votre famille tout le confort dont elle a besoin. » Le message signé Jeep (du groupe Chrysler, appartenant aujourd’hui à l’Italien Fiat) est paru dans la presse française en avril et en mai. Quand on est un tout petit peu au courant de ce qui se passe dans le monde aujourd’hui – mais si, vous savez, le changement climatique, tout ça… –, forcément, le message agace. Et voilà comment il résonne à nos oreilles : « Tu vas être encore papa ? Allez, vas-y, fais-toi plaisir. Achète un beau joujou qui fait vroum vroum. On s’en fout s’il dégage plein de CO2, t’auras même pas à payer la stupide taxe inutile qui va avec. » Bref, qu’importe que l’image soit belle et que le slogan soit sobrement inscrit sur la page. On trouve ça vulgaire. Et cynique.
Stratégie
Le formulaire de demande de remboursement du malus justifie la règle ainsi : « Les véhicules polluants font l’objet, lors de leur achat, d’une taxe appelée “ malus automobile ”. Depuis le 1er janvier 2009, afin de limiter les conséquences pour les familles nombreuses d’au moins trois enfants de la mise en place de ce dispositif, la loi de finances a institué une mesure permettant de réduire de 20 grammes par enfant à charge le taux d’émission de CO2 pris en compte pour le calcul du malus. »Sur le site Service-public.fr, il est précisé que la minoration ne s’applique qu’à un véhicule de ce type par foyer et que la taxe doit d’abord être payée au moment de l’immatriculation du véhicule, le remboursement intervenant lors de la déclaration d’impôts. Bref, si tu veux une Jeep Wrangler sans malus comme dans la pub, attention à bien choisir un modèle cinq places (beaucoup de modèles sont homologués quatre places seulement), sinon, ça ne passera pas auprès de l’administration fiscale. Attention aussi à trouver une configuration propice. Ça ne marche pas à tous les coups. Par exemple, si tu prends le modèle le plus cher et le plus consommateur de la marque (tant qu’à faire), un Wrangler 2.8 CRD 200 FAP Sport à 39 950 euros. Avec ses cinq portes et ses 273 g de CO2 au kilomètre, son étiquette énergétique vire au rouge : il est classé G (le maximum possible) et le malus s’élève à 6 000 euros en 2013 – le montant a quasiment doublé par rapport à l’année dernière. Pour bénéficier d’une réduction de malus et descendre dans la tranche des 5 000 euros, il faut être l’heureux parent de quatre enfants. Manque de bol, la famille au complet ne rentre pas dans la jolie Jeep !
Cas d’école
Les pubs pour 4x4 qui dépassent les bornes, on en a vu d’autres. En 2008, les fabricants du Mitsubishi Outlander sont très fiers d’eux parce qu’il a été « conçu et développé au pays des accords de Kyoto ». En 2009, Audi nous dévoile son Q7 TDI (Lire Terra eco n° 7, octobre 2009), avec « clean diesel », qui « réduit de 90 % les émissions de NOx », les oxydes d’azote, et se présente en sauveur des bébés malades : « Difficultés respiratoires, hyper-réactivité des bronches, bronchiolites infantiles. On continue à ne rien faire ou on se décide à agir ? » En 2010, le Jury de déontologie publicitaire épingle une campagne pour le Duster de Dacia, présenté comme « respectueux de l’environnement ».Avec Jeep, il n’est pas question de greenwashing. Au contraire : la marque conçoit des voitures polluantes et l’assume en suggérant à ses clients des astuces pour éviter de payer le malus. Rien d’illégal là-dedans. Juste de quoi raviver la guéguerre que se mènent les amateurs de 4x4 et les écolos.
Verdict
Figurez-vous que, nous aussi, on a un message à faire passer aux jeunes papas amateurs de 4x4. Tu meurs d’envie de t’offrir une grosse voiture qui dégage un maximum de CO2. Alors vas-y. Assume. Mais ne prends pas pour prétexte la naissance de ton petit dernier pour ça. Dans quelques décennies, quand tu ne seras plus sur terre, c’est lui qui vivra en plein les conséquences de notre boulimie de bagnoles. Pas sûr qu’il considère alors que l’achat sans malus d’un 4x4 pour fêter sa naissance était « une bonne nouvelle ». Régale-toi en achetant une jolie voiture, mais s’il te plaît, ne fais croire à personne que tu le fais pour offrir à ta famille « tout le confort dont elle a besoin ». —
Le site de Jeep
Avis de l’expert : 1,5/5
Gildas Bonnel, président de l’agence Sidièse et membre du collectif Adwiser
« Voilà une publicité qui risque d’être considérée comme une belle agression par les défenseurs de l’environnement… Mettre au même niveau le plaisir de s’acheter une voiture et la joie d’accueillir un nouvel enfant dans une famille est d’une certaine trivialité à mes yeux… Le message ne me paraît pas du tout correspondre à l’époque que nous vivons. Si la campagne joue d’irréalité, elle atteint néanmoins la limite que l’humour n’autorise pas à franchir : elle associe visuellement la pureté et la naturalité d’un nouveau-né à un véhicule automobile polluant ! »
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