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25-09-2014
Mots clés
Société
Urbanisme
Ville
France

Comment on a interdit aux enfants de marcher

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Comment on a interdit aux enfants de marcher
(Crédit photo : DR / Capture d'écran de Mon Oncle de Jacques Tati)
 
Les jeunes enfants ne se déplacent presque plus à pied. Une tendance inquiétante qui en dit long sur la tristesse de nos rues.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Choisissez, au hasard, un film qui montre une sortie d’école primaire. Si l’extrait est tourné dans les années 1950 ou 1960 – nous avons fait le test avec Mon Oncle ou la Guerre des boutons – alors vous verrez la majorité des enfants quitter l’école à pied. Mais plus le film est récent, plus la probabilité que l’écolier reparte en voiture est grande. Si vous n’avez pas envie de fouiller votre cinémathèque, jetez donc un œil dans la rue : la quasi-totalité des écoliers ne sont plus piétons mais passagers.

Les – trop rares – études consacrées au sujet confirment que les enfants marchent de moins en moins. Une enquête menée en Languedoc-Roussillon en 2008 et publiée par le CGDD (Commissariat général au développement durable) estimait que « 70% de tous les déplacements des enfants de 6 à 14 ans sont effectués en voiture ». Une autre enquête publiée par le Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques) en 2007 sur les trajets vers l’école primaire à Lille et à Lyon montrait que, même dans les grandes métropoles, les enfants vont de plus en plus souvent et majoritairement à l’école en voiture-passager (voir schéma ci-dessous) :

De plus en plus d’obstacles

Pourquoi marchent-ils si peu ? Parce qu’on leur interdit ! Le médecin britannique William Bird l’a montré en suivant une famille, la famille Thomas, qui vit et marche depuis quatre générations dans la même ville de Sheffield, dans le nord de l’Angleterre. En 2007, il a publié une carte sur laquelle on peut voir le rayon des déplacements autorisés à l’âge de 8 ans se réduire au fil des quatre générations.

En 2007, le jeune Ed Thomas avait le droit, à huit ans, d’aller seul au bout de sa rue à moins de 300 mètres de sa maison, sa mère Vicky avait, en 1979, le droit d’aller seule à la piscine à 800 mètres de chez elle, son grand-père Jack pouvait, en 1950, aller au bois à plus d’1,5 km de chez lui et enfin son arrière-grand-père George en 1919 était autorisé à aller pêcher à près de 10 km de chez lui.

« Les jeunes enfants n’ont bien sûr pas l’interdiction de marcher, mais ils font face à beaucoup d’interdictions dans la rue. Ils ont tous des limites spatiales à ne pas franchir autour de leur logement. Ça peut être un arbre ou une maison qui a été désignée par les parents. C’est souvent très restreint. En général, avant le CM2, les enfants n’ont pas le droit de traverser leur rue », décrypte l’anthropologue et urbaniste Pascale Legué qui a mené plusieurs enquêtes sur ce sujet en France depuis le début des années 1990, notamment en accompagnant les jeunes enfants dans leurs déplacements.

La faute à la voiture

Depuis quand ces interdits se sont-ils multipliés ? La chercheuse cite les travaux de l’historien Philippe Ariès, qui montrent que l’enfant a commencé peu à peu à perdre son rôle social dans la ville au XIXe siècle [1]. Mais, précise-t-elle, c’est au milieu du XXe siècle que démarre « l’abandon de la rue par les enfants ». « L’enfant qui court ou qui joue dans les rues a disparu de nos imaginaires sur la ville, sa place est maintenant dans des espaces réservés, les parcs, les aires de jeux ou au bas des immeubles », note la chercheuse. La faute, selon elle, principalement à la voiture et aux urbanistes qui « ont conçu la ville pour les adultes motorisés ». Le jeune enfant étant moins capable d’interpréter et de réagir face à la vitesse d’une voiture, on lui a tout simplement retiré son droit de cité, comme le montrent les schémas ci-dessous :

 [2]

Mylène Coulais, 56 ans, dont la famille vit depuis 4 générations à Chauray, dans la grande périphérie de Niort (Deux-Sèvres), a bien voulu se pencher pour nous sur l’histoire de la marche dans sa famille. « Ma grand-mère est née en 1916. Quand elle était toute jeune enfant, elle allait au lavoir à pied à 500 mètres de chez elle, et un peu plus tard à pied dans le village d’à côté à 5 ou 6 kilomètres de là. Mes parents n’allaient pas si loin à pied mais ils allaient seuls à l’école, en rejoignant les autres enfants sur le trajet. Moi aussi j’y allais seule et je rentrais à pied le midi, ça faisait beaucoup de marche », se souvient-elle.

« Quand ma fille Emilie a été en âge d’aller à l’école, celle-ci avait changé de place parce que le village avait beaucoup grossi. Quand j’étais petite on était 500 habitants dans le village, maintenant on est 5000 dont beaucoup de gens qui travaillent à Niort. La municipalité a aussi mis en place un réseau de bus gratuit pour l’école donc mes enfants y sont allés en bus ou en voiture. Mais, même en dehors du trajet pour l’école, c’est vrai que les enfants ont arrêté de marcher. Avant on allait au sport à pied maintenant on les y conduit. On les laissait aller faire des courses à l’épicerie mais maintenant ça ne se ferait plus, d’ailleurs il n’y a plus d’épicerie, on va au supermarché. Par contre on a commencé à créer un réseau Pédibus pour que les parents accompagnent les enfants à l’école à pied. »

Quel rapport au monde pour les enfants ?

Ces changements ont des conséquences importantes pour les enfants. Déjà, on constate qu’ils sont moins endurants qu’il y a 30 ans : leurs capacités physiques ont régressé de 2% par décennie. Or les spécialistes en conviennent : une pratique prolongée et quotidienne de la marche pourrait suffire à enrayer ce déclin.

L’architecte Sabine Chardonnet-Darmaillacq s’inquiète également : « Quelle est la représentation de ce que c’est qu’être dehors et de ce qu’est la rue quand on a nous a interdit d’y marcher toute notre enfance ? C’est le rapport au monde des enfants qui est transformé. » Pour leur rendre le droit de marcher, l’urbaniste Thierry Paquot propose d’interdire la circulation des voitures autour des écoles 15 minutes avant et après l’entrée et la sortie des élèves.

L’urbaniste Pascale Legué propose également de repenser le devant des écoles : ces endroits où « on a mis des barrières pour éloigner les enfants de l’endroit prévu pour se garer ». Elle cite, sans la nommer, l’exemple d’une commune de Vendée qui a envisagé un temps de transformer la large aire devant ses deux écoles mitoyennes en un espace totalement piéton. Elle y a renoncé, face à l’opposition parentale. « L’espace devant les écoles pourrait devenir un espace d’échange et de jeu, on pourrait aussi implanter des jardins et en faire un lieu de vie pour toutes les générations. Au lieu de ça on pense tout pour la voiture et on cantonne ensuite chacun dans ses espaces réservés », déplore-t-elle. Les pas perdus des jeunes enfants sont décidément un très beau miroir de nos villes.

Merci à Eric Chtourbine (RR&A), Léa Marzloff (Chronos) et Danièle Vulliet (Cerema) pour leur aide dans la réalisation de cet article.



A lire aussi sur Terraeco.net :

- Pourquoi les poteaux envahissent-ils nos trottoirs ?

[1] « L’enfant et la rue, de la ville à l’anti-ville »

[2] Sphères concentriques représentant les déplacements autorisés des enfants dans divers univers urbains. Legué P., 1994. L’enfant dans la ville. Etude Ethnologique. SCIC-CDC.

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  • yep, bravo pour cet article et bravo pour le diagnostic : ce n’est effectivement qu’en reprenant la place sur la voiture en ville que nous allons inverser cette logique mortifère.
    La transformation a d’ailleurs déjà commencée, il s’agit maintenant de l’accélérer (le temps presse en fait)
    La clé est effectivement un changement des mentalités et une (certaine) prise de recul sur la "logique" sous-entendue par notre société du "toujours plus haut, plus vite, plus fort, plus cher, plus luxe, plus...." et puis surtout de la passion et de la sincérité (stop green-washing, stop au saupoudrage de "mesurettes" inefficaces !)

    21.12 à 00h02 - Répondre - Alerter
  • Ayant grandi à la campagne et profité de la liberté de marcher, puis vécu à la ville (Paris, tant qu’à faire), j’ai toujours ressenti la ville comme une prison pour les enfants, pour lesquels l’espace extérieur se limite à la cour de l’école et au parc (où il ne va jamais seul). Quant au jeune adulte sans enfants, autonome dans ses déplacements (à pied, vélo ou transports en commun) qui peut se permettre de flâner en ville (et évite soigneusement les aires de jeux où sévit une incroyable concentration d’enfants et de poussettes ;)), il vit pour sa part au milieu de ses pairs, dans un monde quasi exclusivement sans enfants... Quelle tristesse, ces mondes qui cohabitent sans se croiser, sans se rencontrer !

    8.10 à 02h58 - Répondre - Alerter
  • Merci pour cet excellent article !

    Je comprends le point de vue de ceux qui pointent la "dangerosité" des grandes villes et craignent pour leurs enfants. Rappelons toutefois que l’article porte justement sur une agglomération importante, Sheffield, qui fut un des bastions industriels de l’Angleterre. À ce titre, la ville était plus peuplée durant l’apogée de l’industrie minière anglaise, au début du XXe siècle, qu’au début du XXIe siècle. Pour ma part, je trouve que l’intérêt de l’article est de suggérer des pistes du côté de l’histoire des mentalités, et aussi de l’histoire de l’appropriation de l’environnement urbain par ceux qui y vivent. La peur, le stress, le manque de temps structurent vraiment nos rapports à la ville. Nous l’envisageons de plus en plus comme purement fonctionnelle, tout en cherchant à limiter le temps que nous y passons à flâner, discuter, découvrir, expérimenter. Évidemment, nous sommes encouragés dans ces tendances par des politiques urbaines au service du capitalisme et de ses mutations (accélération des flux, concentration des activités dans les grandes métropoles qui se doivent donc d’être des espaces rationalisés à 100%, etc.)

    4.10 à 12h40 - Répondre - Alerter
  • @GOURAUD
    Étonnant que vous ne voyiez pas le rapport étroit entre la perte de places disponibles pour les enfants et pour toutes les personnes à mobilité réduite en même temps, véhiculés ou non.
    Diminuer la part occupée par la voiture est le meilleur (et le seul) moyen pour augmenter la place de ceux qui en ont vraiment besoin, vous entre autres mais également artisans, pompiers etc. Pour l’instant la place (la votre, légitime) est occupée par une majorité d’adultes en parfaite santé allant chercher son pain à 500m.

    2.10 à 15h21 - Répondre - Alerter
  • Bonjour, Intéressantes toutes ces pensées MAIS J’EN AI VRAIMENT ASSEZ QUE L’ON NE PARLE JAMAIS NI QUE L’ON NE REPONDE NI NE PUBLIE JAMAIS LES REMARQUES DES PERSONNES QUI, POUR DES RAISONS DE HANDICAP ONT BESOIN D’UNE VOITURE POUR SE DEPLACER. Je suis une femme âgée de 63 ans, polio à 19 mois. Je me suis déplacée en bus, métro, même vélo dans les années 1970 à Paris MAIS MALGRE TOUT C’EST LE PASSAGE DE MON PERMIS DE CONDUIRE, MA VOITURE A L’AGE DE 20 ANS qui m’ont PERMIS D’ ETRE VRAIMENT AUTONOME, de me rendre à mon travail, d’être mère de famille, d’avoir des loisirs, des activités associatives...
    J’habite maintenant à LA ROCHE SUR YON (depuis 1980), là aussi c’est la voiture qui m’a permis l’AUTONOMIE. Personne ne peut imaginer la FATIGABILITE QU’UN HANDICAP PEUT ENTRAINER ; actuellement dans cette ville, qui oscille entre plus ou moins de voitures, le centre-ville se porte mal !!! reliquats d’une gauche mégalo, passée à droite donc on hésite ??? TOUT CE QUE JE SAIS EST QUE MON ESPACE EN VILLE SE RETRECIT et j’en AI ASSEZ !!!!!

    1er.10 à 16h51 - Répondre - Alerter
    • Je trouve très bien ces témoignages de personnes handicapées qui ont besoin de leur voiture... cela rappelle aux biens-portants qu’ils n’ont pas besoin d’une voiture pour ce déplacer ! Allez à pied, faites du vélo, mettez vos rollers, bougez et ne faites pas les larves dans vos boîtes de conserve pour ensuite aller suer au fitness... en voiture !

      10.10 à 11h09 - Répondre - Alerter
  • kisifi : Attentats

    Excellent article, mais par contre cette phrase me surprend : « on a mis des barrières pour éloigner les enfants de l’endroit prévu pour se garer »

    J’ai l’impression exactement inverse : on a mis des barrière devant les écoles pour empêcher les voitures de s’y garer, avec le pretexte du danger d’attentat à la voiture piégé comme ca s’est pratiqué en Algérie.
    C’est une politique qui s’est généralisée dans les années 90, je ne sais plus exactement quand mais en revanche j’ai un très bon souvenir de la mesure "temporaire" matérialisée avec des plots oranges qui s’est rapidement transformé en barrières définitives.

    1er.10 à 14h18 - Répondre - Alerter
  • C’est un véritable problème ! Bravo en effet aux communes et aux parents d’élèves qui ont mis en place le Pédibus ( un véritable autobus de ramassage scolaire pédestre).
    Une solution éco citoyenne, pour lutter contre la pollution et rendre la vie quotidienne plus agréable . Moins de stress, moins d’embouteillages de voitures devant l’école. Parents et enfants prennent aussi le temps de parler pendant le trajet et redécouvrent le plaisir de marcher en toute sécurité : La recette ? des parents accompagnateurs à tour de rôle, une ligne, des arrêts, un horaire…un trajet sous surveillance, sans danger et sans polluer. Et cerise sur le gâteau, en arrivant à l’école ou en revenant à la maison, les élèves sont beaucoup plus calmes et plus attentifs.....

    30.09 à 20h32 - Répondre - Alerter
  • Bonjour et merci pour cet article bien intéressant.
    De ma propre expérience, lorsque j’étais enfant, j’avais la chance d’avoir une maman à la maison qui me conduisait à l’école primaire matin midi et soir. Nous habitions une grande ville, dans des nouveaux quartiers, l’école était très éloignée de notre résidence. Nous n’avions qu’une voiture et Papa l’utilisait pour aller travailler, je ne mangeais pas à la cantine, Maman faisait donc le trajet A/R quatre fois par jour...Quand j’y repense, ça lui faisait aussi beaucoup de marche à pieds. De mes 5 ans (entrée en maternelle) jusqu’à mes 10 ans, la vie était rythmé comme cela ! Parfois, grand privilège, Papa me faisait la surprise de venir me chercher en voiture le samedi et c’était la grande fierté ! Ensuite nous avons déménagé, le collège était bien loin encore de mon domicile mais j’ai eu l’autorisation de faire le trajet à pied avec des amies qui habitaient non loin de chez moi. Je ne mangeais toujours pas à la cantine et j’ai fait le trajet à pieds pendant toutes mes années collèges.
    POur les années lycée, je faisais bus plus marche à pieds encore...
    Quand je fus à mon tour Maman, je travaillais à temps complet, mes enfants ont été déposés à la crèche, puis à l’école et au collège, en voiture la majorité du temps pour la créche, la maternelle et la primaire, puis en bus scolaire pour le collège....
    En 50 ans, le monde a tellement changé, ce qui était imaginable dans les années 60 n’a plus rien à voir avec ce qui rythme actuellement la vie d’une famille. Il faut donc compenser ce défaut de marche à pieds par de longues marche en campagne le week end, du vélo...et limiter absolument le temps passé devant un téléviseur un ordinateur ou une console !
    Merci encore pour cette étude bien édifiante !

    26.09 à 10h59 - Répondre - Alerter
  • merci pour votre article. il nous faut vraiment repenser certaines choses.
    néanmoins, je ne verrai pas ma fille aller à l’école seule avant le collège en raison également des risques des "mauvaises rencontres" qu’elle peut faire.
    le contexte de ce point de vue a également changé car nous vivons surement en plus grande majorité dans des grandes villes plutôt que des villages comme l’indique un des témoignages.

    25.09 à 12h12 - Répondre - Alerter
    • Bonjour,
      je suis d’accord avec vous, Karine ; ayant vécu dans une "cité", je n’avais pas le droit de sortir trop loin, à cause d’éventuelles mauvaises rencontres. L’école où j’étais scolarisé n’était donc pas dans la ville même, à 25 km environ... Peu évident à pied ! Je dirai que c’est plutôt parce qu’on a tendance à s’éloigner davantage avec une voiture, et aussi parce que l’on est à la recherche d’un gain de temps plus important que l’on marche de moins en moins... J’ajouterais qu’avec une mobilité beaucoup plus importante (voiture...), il est beaucoup plus facile de faire de mauvaises rencontres (sans être paranoïaque ^^).

      27.09 à 11h05 - Répondre - Alerter
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