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27-09-2006
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France

Comment la télé nous piège

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Un Français sur deux se déclare "insatisfait de ce qu'il regarde à la télé*". Emissions poubelle, pression de la publicité : qui décide du contenu des programmes et selon quels critères ? Terra Economica plonge dans les arcanes de la télévision et démonte la logique du système.
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Trois nymphettes assises autour d’un feu de camp assistent d’un air compatissant au cocufiage en direct de l’une d’entre elles. Zap. Direction le Cambodge, où des mineures se prostituent pour le bon plaisir des touristes. Visages floutés et caméras cachées. Zap. Un yacht fonce sur les flots bleus de Saint-Barth’ : plongée dans le monde merveilleux de la jet-set en vacances. De quoi se libérer un peu de « temps de cerveau disponible » selon la triste expression désormais célèbre du pédégé de TF1 Patrick Le Lay, ou jeter la télécommande à la poubelle, au choix. Pour en arriver là, des centaines de cerveaux ont été triturés et des millions d’euros dépensés.

Un thermomètre dans la lucarne

Case départ : les bureaux d’études. Dans ces lieux bien gardés se décident le contenu, la durée et l’horaire des programmes télévisés. Au 8e étage des tours de métal et de verre de France Télévisions, au sud de Paris, Rémi Festa dirige de son petit bureau encombré, le département des études de la télévision publique française. La mission de ce service, que croisent rarement les journalistes : analyser la programmation des chaînes pour offrir "un rôle d’alerte et de conseil", affirme Rémi Festa. En moins crypté, cela donne un bataillon de 23 personnes au service de toutes les chaînes publiques, qui passent au crible, seconde après seconde, les audiences de chaque programme et le public qui les regarde... Et prodiguent éventuellement des conseils pour modifier le contenu des émissions. "C’est ici que tout se joue. C’est ce service qui tient les rênes", murmurent en coulisses des journalistes rompus aux règles du PAF. Rémi Festa s’en défend : "ce sont les responsables de programmes qui font d’abord appel à nous, pour analyser ce que les téléspectateurs pensent de la qualité de leur émission".

"Ces bureaux d’études ont une influence certaine", contredit Vincent Nguyen, grand reporter à France 2 depuis douze ans. Démonstration avec "Envoyé Spécial", émission phare de l’audiovisuel public. Le reporter y a travaillé depuis sa création, et observe avec déception les changements introduits au cœur de la ligne éditoriale de l’émission. Mais face "aux blockbusters de TF1 comme ’Julie Lescaut’ ou ’Navarro’, dont même les rediffusions font 50 % de part d’audience", il faut assurer. Au fil des années, la durée d’"Envoyé Spécial" a donc été considérablement allongée. Pour mieux informer les téléspectateurs de l’état du monde ? Pas vraiment. "Au moment où le téléfilm de TF1 se termine, la plupart des téléspectateurs zappent pour échapper à la pub", explique le journaliste. Et là, l’enjeu est immense : récupérer cette audience en goguette avant qu’elle ne se raccroche aux blagues de Cauet.

"L’art de la contorsion"

"En caricaturant un peu, poursuit-il, on peut diviser les sommaires d’"Envoyé Spécial" en trois moments forts : un premier reportage fédérateur et accrocheur pour attirer le téléspectateur, suivi d’un second plus sérieux - car c’est quand même la raison d’être de l’émission - et enfin, au moment où le prime time de TF1 se termine, un nouveau sujet plus ’glamour’." Dans le jargon journalistique, cette valse à trois temps se traduit dans un vocable plus cru : "des putes, de l’étranger, et retour aux putes". Pas forcément un choix des rédactrices en chef de l’émission, mais peut-être le seul moyen de passer du grand reportage entre deux sujets people ou grande cuisine. Cette recette n’est pas l’apanage de France 2.

Chez la voisine France 3, Marc-Olivier Fogiel pratiquait la même pêche aux zappeurs lors de son émission "On ne peut pas plaire à tout le monde". Une ancienne salariée d’ONPP raconte : "Vers 23 heures, on programmait systématiquement un sujet accrocheur ou un invité exclusif - comprendre : un « pipole » que Thierry Ardisson n’avait pas encore reçu - pour récupérer les téléspectateurs venus de TF1." Pour ces deux stars de l’ "infotainment", (programme qui mélange sujets sérieux et personnalités du showbusiness), l’enjeu consiste à doser paillettes et info. C’est la mission des responsables de programme. Pour ONPP, ajoute l’ancienne journaliste de l’émission, "le choix des invités était arrêté par les programmatrices en fonction de l’actualité, mais aussi au gré des appels d’attachés de presse des stars en mal de promo." Aux responsables d’émission, ensuite, de jongler au mieux entre marketing et journalisme pour caler leur contenu.

Dans son livre L’Audimat à mort, la journaliste Hélène Risser compare la conception de "Capital", sur M6, à "l’art de la contorsion". "Tous les quinze jours, la rédaction en chef de ‘‘Capital’’, le service des études et la direction de la chaîne, représentée en force par Thomas Valentin (directeur des programmes de M6, ndlr) et le directeur de l’information se réunissent en conclave pour définir les thèmes des émissions à venir. À chaque fois qu’une idée est lancée, "Monsieur études" plonge le nez dans ses chiffres pour vérifier le résultat des émissions passées sur des thèmes approchants." Les vacances de la jet-set ? Audience assurée. Les dessous de l’immobilier ? Fédérateur, lorsque tous les Français se rêvent propriétaires. La chirurgie esthétique ? L’assurance d’images choc et d’une bonne dose de fascination-répulsion.

Voilà pourquoi ces sujets reviennent en boucle sur toutes les chaînes. Peu de reportages sur l’étranger... ou de moins en moins, comme dans "Envoyé Spécial". Hélène Risser a d’ailleurs décortiqué les sommaires de l’émission "étendard du service public" pour en avoir le cœur net. "À l’époque ou Paul Nahon et Bernard Benyamin dirigeaient l’émission, ils programmaient régulièrement des reportages sur l’Afrique : sept durant la seule saison 1998-1999. (...) Sur l’ensemble de l’année, on pouvait ainsi dénombrer une trentaine de thèmes concernant l’étranger." Quatre ans plus tard, il en reste trois fois moins. Cependant, la journaliste tempère le pouvoir des bureaux d’études sur les chaînes du service public deux ans après la parution de son livre. "On le ressent surtout sur les chaînes privées comme TF1 et M6."

"Faire comme les autres"

Pression de l’audimat, mais aussi "dictature de l’air du temps", dénonce Vincent Nguyen : suivre ce que font les autres, copains ou ennemis. « Dans un marché, en général, pour être le meilleur, il faut innover. En télé, pour être le premier, il faut faire comme les autres. »

Case incontournable de la télé : la grand-messe du JT, vitrine de chaque chaîne. Ici aussi, les pressions économiques et la recherche de l’audience sont à l’œuvre et modifient les contenus des journaux. Quelques mois après le "raz-de-marée" d’avril 2002 et l’examen de conscience des médias, le journaliste Michel Royer s’est penché, dans son documentaire Faits divers à la Une, sur les journaux télévisés des années 1960 à nos jours. Premier constat : l’image des "jeunes violents" ne date pas d’hier.

Ménage à trois

Dans les années 1960, les blousons noirs faisaient frissonner le Français moyen. Mais, affirme Michel Royer, "un cercle vicieux s’est très nettement installé en 1999-2000, lorsque les hommes politiques et les syndicats de police ont voulu attirer l’attention sur les problèmes d’insécurité. Les médias se sont emparés du phénomène, et la télé a joué le rôle de miroir grossissant". Car, comme l’a étudié le sociologue Laurent Mucchielli, "si le volume global de certains actes de délinquance a augmenté, la nature de ces délinquances n’est pas véritablement nouvelle. Les taux de meurtres sont aujourd’hui au même niveau qu’à la fin des années 1970".

Mais selon ce dernier, le coup de projecteur sur l’insécurité "s’accorde avec le catastrophisme et le sensationnalisme (...) qui sont pour eux, non pas des effets pervers, mais des principes même de fonctionnement". Alors, Le Pen au second tour, la faute à la télé ? Michel Royer tempère. "C’est un jeu à trois entre la télévision, prisonnière de la course à l’image et à l’émotion, les politiques, et l’opinion. La peur est très télévisuelle. Cela joue sur l’émotion, les images, les bons scoops ; tous les ingrédients d’un bon polar, en quelque sorte."

100 000 euros les trente secondes

Autre dérive dénoncée aujourd’hui par Hélène Risser, la "starification" des présentateurs ces derniers mois : "Dans les magazines d’info comme ”7 à 8“, le travail des journalistes qui ont fait les reportages n’est pas mis en avant, contrairement aux prestations du duo de charme qui anime l’émission." Mais ici aussi, le marketing joue. L’explication ? Un spot publicitaire de trente secondes avant l’apparition d’Evelyne Dhéliat, présentatrice du flash météo est facturé 71 700 euros en moyenne. Selon les horaires, les prix peuvent même franchir la barre de 100 000 euros. À ce tarif, les annonceurs exigent de toucher le maximum de personnes. La chaîne doit donc se plier à leurs exigences et proposer des programmes réunissant autour de la lucarne le célibataire de 30 ans, sa grand-mère venue dîner comme chaque semaine et les petits neveux et nièces de 10 ans, consommateurs de pubs et fabuleux prescripteurs d’achats. Pour cela, rien de mieux que le bagoût racoleur des compères Bataille et Fontaine, l’ambiance exotico-sensuelle de "Koh-Lanta", ou les bavardages voyeuristes de Jean-Luc Delarue.

Le feuilleton "Plus belle la vie", une saga fleurant bon la bouillabaisse marseillaise n’utilise pas les mêmes ficelles mais vise un objectif identique. Au service des études de France Télévisions, qui a participé à la gestation du divertissement, on affiche la couleur : "Nous visions la cible la plus large possible pour être vus de toute la famille, en abordant des problématiques d’actualité, comme le racisme, l’OM, les affaires politiques...", sans oublier un soupçon d’eau de rose pour mettre la larme à l’œil de Mamie. La sauce a pris, et le "Dallas" provençal récolte en moyenne 20 % d’audience. Il faut, pour réussir en télé, plaire à tout le monde, même si une célèbre émission titrait ironiquement le contraire.

Pour "taper dans le mille" et refermer le piège, les chaînes jouent le pragmatisme. Afin de réduire les coûts et obtenir du sur-mesure, elles font appel à des boîtes de production. Là encore, les rapports sont truffés de contraintes sonnantes et trébuchantes. Pierre Rieubet est le directeur général de CBTV, petite entreprise cliente "à 80 %" de France 5, après avoir collaboré des années avec M6 en produisant Culture Pub (dégagé des grilles en raison d’une désaffection de la ménagère de moins de 50 ans ). Selon lui, "la pression de l’audience est présente tout du long : à la conception, quand on table avec la chaîne sur un certain niveau d’audience, et à la fin quand on constate les résultats après diffusion". B.a.-ba du producteur : une chaîne de télé ne sera pas prête à dépenser la même somme pour le même programme selon qu’il est diffusé en prime time ou à minuit. Une fois le projet d’émission proposé au producteur la première question posée est "combien ça coûte ?", sourit Pierre Rieubet. Ensuite commence un jeu du plus offrant, le producteur ne sachant pas exactement à quel niveau la chaîne a placé la barre de "la dépense acceptable". "Envoyé Spécial", par exemple, paie 1 300 euros la minute de reportage à la boîte de production. Peu importe que le sujet ait été tourné à 20 kilomètres de Paris ou qu’il ait nécessité deux mois d’investigation au Pakistan.

Sans pression d’audience Alors, entre "infotainment" et contrainte du sensationnalisme et de l’émotion, quel est l’avenir de l’information sur nos écrans ? Pour John-Paul Lepers, journaliste politique et électron libre auto-baptisé "emmerdeur professionnel, mais avec le sourire", tout se jouera sur le Net. Le trublion prépare pour début 2007, un site pour couvrir les présidentielles, avec un reportage par jour, des débats, des forums, le tout produit par... des bénévoles, non journalistes. Objectif : « créer un média libre et citoyen via lequel chacun peut s’exprimer ». Une télé sans pub, sans annonceur, sans argent, sans salariés, et sans pression d’audience. De la télé sans télé en quelque sorte.

Articles liés :

- Le 20 heures, il y a vingt ans

- Les gros mots de la Télé

Pour aller plus loin :

- Hélène Risser, L’Audimat à mort, éd. Seuil, 2004.

- Laurent Mucchielli, Misère du débat sur l’insécurité, article paru dans le Journal du droit des jeunes, n°217, 2002, pp. 16-19

- Blog de John-Paul Lepers

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