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Comment l’eau s’est fait embouteiller

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Comment l'eau s'est fait embouteiller
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Crise, inquiétudes sanitaires, éveil écologique : les industriels de l’eau ne peuvent plus vendre leurs flacons à coups de vitalité et de pureté. Surtout quand le robinet s’en mêle.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Allez-vous crever de soif cet été ? Les industriels de l’eau en bouteille ne prennent pas cette question à la légère. Pour eux, le succès commercial de l’année 2010 se joue en deux petits mois : juillet et août. Et à dire vrai, une bonne canicule pourrait freiner la spirale de baisse des ventes entamée il y a cinq ans. Tout était si simple jusque-là : depuis les années 1970, le marché suivait une courbe de croissance constante. Les Français comptent en effet parmi les plus gros buveurs d’eau embouteillée au monde : 114,9 litres en moyenne par personne en 2008, selon l’«  European Federation of Bottled Waters  », la Fédération européenne des eaux en bouteille.

Et voilà que les industriels découvrent la crise. « Toutes les marques souffrent depuis le début des années 2000, assure Jean-Pierre Deffis, président de la Chambre syndicale des eaux minérales. 2003 a été une exception en raison de la canicule. Et 2006 a marqué le début de la baisse des ventes. En 2007 et 2008, elles ont chuté d’environ 6 % en volume. » 2009 fut, elle, sauvée in extremis par un bel été.

Pendant des décennies, il suffisait de parler pureté et minceur pour convaincre le consommateur. Ce temps est derrière nous. Primo, on regarde les prix. Une bouteille d’eau qui coûte environ 100 fois plus cher que l’eau du robinet, ça pousse à réfléchir, surtout en période de vaches maigres. Secundo, le problème des déchets asticote désormais nos consciences. Or, les bouteilles d’eau pèsent lourd : 253 000 tonnes d’emballages, plastique et verre confondus, en 2006, selon Eco-Emballages.

Ce phénomène n’est pas franco-français. Partout dans le monde, la bouteille prend des chocs. Dans la petite ville australienne de Bundanoon, elle a carrément été bannie en 2009. Aux Etats-Unis, les villes de San Francisco, Miami et Chicago l’ont déclarée persona non grata dans leurs administrations. En France, depuis le 31 décembre 2009, Biocoop n’en distribue plus dans son réseau.

Alors, chez les embouteilleurs, on allume des cierges pour que l’été soit chaud dans les t-shirts et les maillots. Et on apprend à manœuvrer avec un nouveau concurrent : l’eau du robinet, dont la cote monte. Dans la 14e édition du baromètre du Centre d’information sur l’eau, publiée avec TNS Sofres en 2009, 54 % des sondés déclarent en consommer au moins une fois par semaine (+ 2 points par rapport à 2008). Et 85 % d’entre eux lui font confiance. Mais elle aussi prend parfois des coups. Quand, en juin 2009, l’auteur et chercheur David Servan-Schreiber s’interroge « Y-a-t-il un lien entre le cancer et l’eau potable ? » et qu’il engage, avec la caution du WWF, les malades à prendre des précautions, ça fait mal. Quand France 3 diffuse en première partie de soirée, le 17 mai dernier, un documentaire intitulé « Du poison dans l’eau du robinet », ça tape fort. Dans le match robinet versus bouteilles, personne n’a encore dit son dernier mot. Résumé de l’affrontement en quelques actes publicitaires.

Acte I, scène 1 : C’est nous les plus pures, les meilleures pour la santé

Des comme ça, on n’en fait plus. Imaginez le dessin naïf d’un petit bonhomme rondouillard, les yeux pointés vers son entrejambe, d’où jaillit une flèche. Commentaire : « Quand un robinet coule lentement, la machinerie s’encrasse » (1974). Ainsi parlaient les premières pubs pour eaux minérales dans les années 1970. Leur argument de vente ? La santé. Sans le glamour, d’accord. Il faut attendre 1979 pour qu’apparaisse un peu de rêve. Evian imagine alors un bébé gazouillant dans une prairie de montagne : « Profitez des Alpes au berceau ». L’année suivante, la marque présente des buveurs hilares, flottant au-dessus des nuages, et les compare à un sommet enneigé : « L’eau de là-haut ». Le message est le même qu’à la décennie précédente : buvez-moi et vous serez aussi pur qu’un glacier. Mais pendant les années 1990, le ton change. Les craintes sanitaires augmentent, il faut rassurer. Pour cela, Evian aime les chiffres : « 97 % de l’eau sur terre est salée. 2,6 % de l’eau est figée par les glaces polaires. Reste pour l’homme 0,4 % d’eau. Dont 0,00000004 % d’eau minérale d’Evian extrêmement pure issue d’un immense filtre naturel unique au monde, un miracle géologique », se félicite-t-elle en 1994.

Acte I, scène 2 : En prime, on vous fait mincir

Cette saga publicitaire ne date pas d’hier, selon l’histoire officielle de Contrex, « mon partenaire minceur ». Un de ses slogans récurrents ? « Avec Contrex, éliminez »… Non, non, pas les kilos, juste l’eau. La note de bas de page précise bien sur le site Internet : « aide à l’élimination des déchets et des toxines ». Les codes du light, l’eau Taillefine aura aussi surfé dessus pendant huit ans. Son étiquette nutritionnelle indiquant zéro glucides, lipides, protéines (inventer l’eau sans calories, chapeau !) aurait pu nous faire rire encore longtemps, si la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n’avait pas trouvé la faille : l’eau Taillefine était enrichie en calcium et en magnésium. Or, une directive européenne de 2006 qui a redéfini les catégories d’eau en bouteille interdit les additifs. Fin 2009, cette eau de Danone à « l’apport équilibré » et au « goût léger » est expulsée des rayons.

Acte I, scène 3 : Et si vous êtes sages, on vous fait carrément rajeunir

Les bébés, Evian a toujours aimé. De là à nous expliquer que son eau fait rajeunir… En 1995, la marque tente une approche : une longue silhouette de femme sans tête, soulignée d’un « déclarée source de jeunesse pour votre corps ». Mais c’est en 1999 qu’elle frappe les esprits avec son « ballet des bébés ». Souvenez-vous : les chérubins qui pataugent dans une piscine en se prenant pour des pros de la natation synchronisée. Une saga culte est née, prolongée quelques années plus tard par une autre chorégraphie aquatique, avec de fringants seniors cette fois. En 2003, c’est le tube de Queen We will rock you qui est scandé par de beaux adultes avec des voix de bébé. En 2009 enfin, l’agence BETC Euro RSCG offre aux fans du genre de nouveaux bouts de chou, dansant sur des rollers. Bingo ! Les Français la désignent comme leur favorite parmi 1 500 campagnes testées par Ipsos.

Acte II, scène 1 : Où l’eau du robinet se rebiffe

Au tournant des années 2000, plusieurs distributeurs d’eau du robinet se lancent dans la communication. Sur les affiches du Syndicat des eaux d’Ile-de-France en 2002, l’eau du robinet est une « marque qui livre, 365 jours par an, une eau d’excellente qualité ». En 2005, la régie municipale Eau de Paris s’y met, avec deux slogans : « Zéro plastique, zéro pollution » et « L’eau du robinet : 300 fois moins chère, livrée à domicile ». Efficace ? « On travaille avec des budgets de communication très très faibles, regrette Anne Le Strat, présidente du conseil d’administration d’Eau de Paris. Alors que dans une eau en bouteille, il y a 30 % de publicité. On est dans un rapport de force très difficile. »

Acte II, scène 2 : La bouteille contre-attaque

L’offensive est néanmoins suffisamment efficace pour que Cristaline se sente menacée et se défende en trois affiches : des toilettes barrées en rouge (« Je ne bois pas l’eau que j’utilise »), de l’eau qui coule d’un robinet avec les mots « plomb », « nitrate » et « chlore » (« Je ne fais pas d’économie sur l’eau que je bois ») et le slogan-choc : « Qui prétend que l’eau du robinet a toujours bon goût ne doit pas en boire souvent ! ». Le camp adverse est furax. Eau de Paris attaque Cristaline en justice pour violation du code de la consommation relatif à la publicité comparative. L’instruction est toujours en cours. Et Cristaline récidive à l’été 2009. Elle diffuse alors un jeu de 7 familles dénigrant l’eau du robinet. Cette fois, c’est France Nature Environnement (FNE) qui réagit en saisissant le Jury de déontologie publicitaire. En février dernier, il donne raison à FNE, mais Cristaline continue de diffuser le jeu sur son site.

Acte II, scène 3 : Et la bouteille se prétendit écolo

La défense d’Evian et Vittel est moins belliciste. Mais tout aussi gonflée, puisque les deux marques rivalisent sur le terrain écolo. Chez Vittel, on a un « pur projet » : « replanter près de 350 000 arbres au Pérou et en Bolivie avec la capacité de piéger 115 000 tonnes d’équivalent CO2 ». Chez Evian aussi on plante : des mangroves au Sénégal pour se convertir « à terme » en « eau neutre en carbone ».

En attendant, la marque a lancé en janvier « Evian chez vous », un service de livraison à domicile gratuit à partir de 12 bouteilles. Dès la page d’accueil du site Internet, le mot « écologique » apparaît entouré de vert et de petites feuilles. Pas de quoi nous faire oublier les chiffres : selon un calcul réalisé en 2006 par la Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux, la production et le transport de 2 litres d’eau minérale par jour et par personne pendant un an correspondent à 2 000 km parcourus en voiture, contre 2 km pour 2 litres sortis du robinet.

Épilogue : Quand l’eau du robinet devient une « vraie » marque

La communauté urbaine de Lyon a choisi le 22 mars 2010, journée mondiale de l’eau, pour rebaptiser son eau du robinet : Grand’O de Lyon. Objectif ? « Faire comprendre que cette eau vient des glaciers, qu’elle est sans traitement, à l’exception de la javel qui est obligatoire », argumente Jean-Paul Colin son vice-président. Une eau « 100 % qualité, 100 % économique, 100 % durable » clament les affiches. Pour les embouteilleurs, la pilule ne passe pas. « Il y a tromperie du consommateur ! », s’insurge Jean-Pierre Deffis, le président de la Chambre syndicale des eaux minérales, qui a adressé à Grand’O, une mise en demeure, il y a quelques semaines : « Ils doivent prouver ce qu’ils avancent », s’indigne-t-il. La guerre ne fait que continuer. —

«  LES EAUX MINÉRALES N’ONT RIEN VU VENIR »

Serge-Henri Saint-Michel, consultant en marketing et responsable du site « Marketing professionnel »

La stratégie des eaux en bouteille a récemment changé. Pourquoi ?

Deux éléments contraignent les marques à bouger. D’abord la crise qui met en avant les marques « low cost », comme Cristaline, aux dépens des grandes marques. Le problème des eaux minérales s’inscrit donc dans un contexte plus global de décrédibilisation des marques. Le second point, c’est l’attaque des eaux du robinet sur le plan médiatique. Pendant des décennies, les industriels de l’eau se sont développés en se concentrant sur des arguments très conceptuels et « positionnants » (la pureté, la jeunesse…). Au point d’en oublier que leur premier concurrent était l’eau du robinet.

Leur réaction est-elle adaptée ?

Aujourd’hui, ces marques se mettent à communiquer sur l’écologie, en essayant de nous faire oublier qu’il y a du plastique autour de leur eau. C’est dérisoire, vain et inadapté. Cela montre qu’il s’agit d’une réaction et pas d’une anticipation. Elles tentent de maintenir leur rente de situation, tout en courbant l’échine, en attendant des jours meilleurs.

Que leur suggérez-vous ?

D’établir des stratégies de communication accompagnées de vraies actions. Pourquoi pas l’affichage d’un bilan carbone sur l’étiquette ? Ou la création d’un bar à eau, où l’on viendrait se servir avec son propre contenant, pour éviter le suremballage ? Ou la création d’une vraie filière de recyclage des PET (le plastique des bouteilles, ndlr), de la collecte à la transformation puis à la vente des produits recyclés ? —
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