« En dix jours, mon mal de dos s’est envolé », « Mon arthrose a disparu », « Je n’ai plus de courbatures ni de douleurs articulaires. Mes règles se sont espacées et mon syndrome prémenstruel s’est atténué. » De tels témoignages, on peut en lire à la pelle sur le site LoveMyChiaSeeds (littéralement, « J’aime mes graines de chia ») : surpoids, diabète, allergies, varices, sciatique, alopécie, sclérose en plaque, colon irritable, autisme, asthme, sans oublier les troubles sexuels… Tous ces maux auraient miraculeusement disparu grâce à de petites graines grisâtres qui, selon leurs promoteurs, contiendraient huit fois plus d’oméga-3 que le saumon, neuf fois plus de phosphore que le lait, quinze fois plus de magnésium que le brocoli et, bien sûr, des antioxydants en veux-tu en voilà. Car oui, les graines de chia sont un « super aliment » – un aliment qui vous guérira de tous vos maux et fera de vous un super héros. En dépit des tentatives de limitation de l’Union Européenne, le terme « super aliment » est une expression – non-scientifique – forgée à la fin des années 1990 pour désigner des aliments prétendument dotés d’extraordinaires bénéfices de santé : antioxydants, vitamines, fibres, probiotiques, bons gras, minéraux…. Mais au-delà du buzz marketing, méritent-ils vraiment leur titre ?
De réels bienfaits nutritionnels ?
Nombre de ces aliments ont des propriétés nutritionnelles intéressantes, avec notamment un ORAC [1] élevé : une mesure à prendre avec des pincettes toutefois, puisque le ministère de l’Agriculture des Etats-Unis (USDA) l’a déclarée récemment peu fiable et pertinente.Que reste-t-il alors ? En 2006, une étude sur l’açaï, petit fruit amazonien, a montré sa capacité antixoydante exceptionnelle, « de loin, supérieure à tous les fruits et légumes jusque là testés ». L’açaï induirait même l’apoptose, ou mort programmée, des cellules cancéreuses. Pourtant, ces études ne portent pas sur l’açaï lui-même, mais sur des nutriments qui en sont extraits (la morphine est bien tirée du pavot, mais ce n’est pas pour autant que les graines de pavot de votre baguette vont vous anesthésier à la première bouchée). De plus, ces études ont été réalisées sur des cellules in vitro, et non pas des êtres vivants, in vivo.
Pléthore d’allégations
S’il existe quelques études sur l’açaï, ce n’est le cas d’autres « super aliments » : quid de la maca présumément aphrodisiaque ou du nopal censé être régulateur de glycémie ? Certes, plusieurs études ont montré qu’à haute dose, la maca, tubercule andin, stimulerait l’activité reproductrice, la production de sperme et la fertilité chez les rats mâles. Pourtant, les quelques études menées sur l’être humain pèchent par leurs biais méthodologiques : nombre très restreint de participants et ni groupe placébo, ni répartition aléatoire, ni prise en compte des cofacteurs. Même chose pour le nopal – ou figuier de Barbarie – qui n’aurait pas plus d’effet qu’un placebo. Si ces trop rares études affichent des résultats peu probants, les allégations marketing, elles, ne lésinent pas sur les prétendus effets miraculeux de leurs poudres magiques. Récemment d’ailleurs, des fabricants de jus de goji et d’açaï ont été condamnés aux États-Unis pour allégations mensongères.Et nos « super aliments » locaux ?
Le problème, c’est que les super aliments n’en veulent pas qu’à notre portefeuille, mais ont des effets sur les pays producteurs. En 2009, le prix de l’açaï avait augmenté de 60 fois en moins de dix ans. Autrefois un aliment de base au Brésil, l’açaï est devenu un luxe. Au vu des déséquilibres économiques et environnementaux entraînés par la récente popularité du quinoa, mets rare aujourd’hui dans l’assiette des Boliviens, on peut craindre l’engouement soudain pour ces aliments du bout du monde.Et c’est sans compter leur coût énergétique. Chaque année, près de 817 millions de tonnes d’aliments traversent les océans pour atterrir à notre table. Selon le Worldwatch Institute, le transport de nourriture est la source d’émissions de gaz à effet de serre qui connaît l’augmentation la plus rapide ces dernières années.
L’açaï présente certes des propriétés antioxydantes exceptionnelles en laboratoire, mais est-ce le cas des produits commercialisés chez nous ? Malheureusement non : le transport et la transformation des baies leur fait perdre quantité de vertus. Ainsi, le jus d’açaï ne serait pas plus riche en antioxydants que… le vin rouge ou le jus d’orange ! Les aliments du bout du monde ne sont pas seuls à exceller au microscope. Richard Béliveau, docteur en biochimie et auteur d’un livre sur les aliments anti-cancer, l’a bien compris, puisqu’il met en lumière les considérables capacités antioxydantes d’aliments bêtes… comme chou. Dans son ouvrage, nulle trace de goji ou d’açaï, mais de longs développements sur les bienfaits des brocolis, des navets et des choux verts.
Car la réponse n’est pas à l’autre bout de la planète : elle est là, dans nos forêts, potagers et jardins. Elle est dans les anthocyanes de nos prunes, la quercétine de nos pommes et les isothiocyanates de nos choux. Et si l’on nous objecte que nos super aliments locaux sont moins concentrés en composés anti-cancer que les baies magiques des Andes ou de l’Himalaya, gageons qu’on avalera certainement davantage d’aubergines qu’une petite poudre d’açaï à 250 euros le kilo…
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