Moins nous sommes en contact avec la nature, moins celle-ci sera présente dans notre imaginaire et moins nous aurons envie de la protéger. Ce cercle vicieux a été étudié par la psychologie et porte le nom d’« extinction de l’expérience » ou encore d’« amnésie environnementale générationnelle » [1]. Il a notamment été mis en évidence dans des communautés de pêcheurs américains, où les jeunes générations n’avaient pas conscience de l’état alarmant des stocks de poisson puisque leur « référentiel » était celui d’un océan avec peu de poissons [2]. Pour la première fois, une chercheuse française vient d’illustrer ce phénomène à l’échelle mondiale, en scrutant – avec un logiciel spécialisé – soixante films d’animation produits par les studios Disney entre 1937 et 2010 pour une étude publiée dans Public Understanding of Science [3].
L’homme sans la nature
Résultat ? La durée des scènes représentant la nature et le nombre d’espèces représentées dans les décors diminuent avec l’année de production. Mais ce n’est pas tout. « A partir des années 1980, on voit aussi apparaître des films où on ne trouve quasiment aucune scène comportant un élément de nature et aucun animal dans le décor », indique Anne-Caroline Prévot-Julliard, chercheuse au Muséum national d’histoire naturelle et coauteure de l’étude. Dans l’imaginaire des personnes réalisant les films de Disney, la place de la nature semble avoir peu à peu diminué et il est devenu possible pour eux de représenter l’homme en dehors de son environnement. « Plusieurs raisons peuvent expliquer ces changements, peut-être, par exemple, des raisons techniques. Mais ces résultats vont dans le sens d’une extinction de l’expérience de nature en général, et en particulier dans la profession des dessinateurs qui est étudiée là. Ils sont moins en contact avec la nature, ils se construisent un imaginaire où la nature est moins présente et, une fois adultes, quand il s’agit de représenter un jardin, ils ne vont pas – ou peu – y dessiner des papillons ou des écureuils, alors que la génération d’avant l’aurait fait », avance la chercheuse. Ce qui va contribuer à ce que les enfants se forgent ensuite, eux aussi, un imaginaire où la nature n’est que peu présente.Des films pro-nature… qui oublient la nature
Directeur de l’abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire) et spécialiste de l’animation, Xavier Kawa-Topor confirme : « Les productions de Disney ont toujours eu pour ambition de parler au plus grand nombre. Elles accompagnent et suivent donc les goûts et les références culturelles de masse. Dans les années 1940 et 1950, elles s’adressaient principalement à une population encore attachée à la ruralité ; aujourd’hui, elles s’adressent à une population beaucoup moins en contact avec la nature. Ces films sont une photographie de nos sociétés et de leurs références culturelles : si les références sont moins riches, les représentations le sont aussi. »Quid des films qui ont un discours militant et engagé, comme Wall-E ? « L’écologie est un marché, Disney y répond. On est très loin de l’ambition d’auteurs indépendants qui tentent de représenter l’émerveillement face à la beauté du monde », rétorque Xavier Kawa-Topor (qui a contribué ici à notre liste de films d’animation alternatifs à déguster). Anne-Caroline Prévot-Julliard souligne, elle, que la nature est d’ailleurs assez peu présente dans ces films à discours positif sur la nature. « Quand on est enfant, notamment au moment de l’acquisition de la conscience, on se construit ce qu’on appelle “une identité environnementale” [4]. Elle se construit via nos rapports directs avec la nature, via les émotions que l’on y vit, via aussi les rapports que l’on a avec d’autres personnes dans la nature. Des études ont montré que les personnes les plus motivées par la protection de la nature sont celles qui ont des souvenirs forts avec la nature, souvent liés à des proches. Ce critère est beaucoup plus important dans la motivation à protéger la nature que le fait d’avoir des connaissances scientifiques sur la perte de biodiversité, par exemple », note la chercheuse, qui fait là le lien entre son objet d’étude et son métier premier. « On aura donc beaucoup plus de mal à changer les comportements des personnes en leur donnant des informations objectives et scientifiques sur la nature plutôt qu’en les faisant participer activement pour qu’ils aient des relations affectives ou symboliques avec la nature ».
Et la coauteure de l’étude de citer l’exemple des expériences de science participative (Vous pouvez retrouver des exemples ici, ici ou là), où l’on demande aux citoyens non pas d’apprendre la biodiversité, mais d’aider les scientifiques en participant : « Là, il se passe quelque chose, ça transforme les gens. » Cette identité environnementale, construite pendant l’enfance, passe aussi par « des films d’animation qui n’oublient pas l’émerveillement face à la beauté du monde ». Ça tombe bien, on vous propose une liste par ici.
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