publicité
haut
Accueil du site > Actu > Société > Au Pérou, les Awajún font de la résistance forestière

Au Pérou, les Awajún font de la résistance forestière

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
Suiv

Les Awajún, avec leurs lances, le 4 juin 2009, peu avant le massacre de Bagua. (str new - reuters)

Prec
Suiv

Gabriel Paati Antunce et ses enfants, sur le chemin de l’école. (alice bomboy)

Prec
Suiv

Elu Rosa Dasen Chaig se bat pour le droit des femmes et pour les terres des Indiens. (alice bomboy)

Prec

A Uut, les femmes fabriquent des bijoux avec des graines récoltées dans la forêt. (alice bomboy)

 
Au moins 33 morts. C’est le bilan du massacre de Bagua, en 2009. A l’origine, un conflit entre autorités et Indiens, autour de l’exploitation du sous-sol de la zone. Aujourd’hui, les populations voient enfin leurs droits reconnus. Timidement.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
SUR LE MÊME SUJET

La barque avance poussivement sur les flots du tumultueux río Marañón. Les arbres centenaires qui y plongent leurs racines semblent l’engloutir. Quand on parvient à Uut, après une heure et demie de voyage sous une chaleur écrasante, les habitations qui se sont taillées une place dans ce dense poumon vert restent invisibles, perdues au cœur de ce coin d’Amazonie péruvienne, à la frontière avec l’Equateur. Ici, la forêt a tout d’une amie. « Notre forêt, c’est l’existence même de la vie. Les anciens disaient que Nugkui, la “ Terre mère ”, y avait semé du maïs, du manioc et des bananes pour que nous les multipliions. Notre lien à l’environnement est spirituel. Ici, le sol, l’air et l’eau sont purs. Ils nous font vivre. »

L’homme qui raconte cette histoire est un Apu, le chef d’une des communautés indiennes Awajún qui peuplent la région. Il est assis sous l’avancée d’une petite cabane au bord du Marañón, et son regard, inquiet et fatigué, se perd sans cesse dans la forêt qui le domine. Son nom ? Il préfère le garder secret. Il a peur. Il y a plus de deux ans, le gouvernement péruvien a qualifié les Awajún de « terroristes ». Les leaders des organisations représentant les communautés ont été pourchassés, comme Alberto Pizango, le président de l’Association interethnique de développement de la forêt péruvienne (Aidesep), une importante structure indienne au Pérou.

Il a dû passer près d’un an en exil au Nicaragua. Leurs torts ? Avoir manifesté pour défendre la forêt. Depuis quarante ans, celle-ci est coupée, découpée et instrumentalisée. Aujourd’hui, plus de 70 % de l’Amazonie péruvienne est tombée entre les mains d’exploitants qui lui font cracher du pétrole. L’été 2008 a marqué une accélération du processus : le libéral Alan García, alors président de la République, signe un traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Pressé de le mettre en œuvre, le gouvernement use de raccourcis législatifs : il ne consulte pas les populations concernées et adopte 106 décrets-lois, dont une dizaine facilitent l’exploitation des ressources naturelles en Amazonie. Les Awajún sont directement menacés. « Plus bas sur le Marañón, des entreprises sont déjà entrées en forêt. Elles exploitent le pétrole, l’or, et elles contaminent le sol et la rivière. Les poissons se meurent et les enfants sont malades. Nous ne voulons pas de ça ici, ni que ces entreprises viennent sur nos territoires », s’inquiète Elvira Paati Ayui, la présidente de l’association d’artisanat des femmes de Uut.

Corps jetés dans l’eau

La résistance s’organise. Pour empêcher l’entrée des multinationales, des barrages sont dressés sur les fleuves et les routes. C’est le cas sur une voie menant à Bagua, la ville la plus proche des terres Awajún. Le 4 juin 2009, les manifestants la tiennent depuis cinquante-cinq jours et, malgré un refus du Parlement d’abroger un décret clé, ils annoncent aux forces de l’ordre, qui les tancent, qu’ils partiront le lendemain. La tension est palpable, la situation peut dégénérer à tout moment… Leurs craintes étaient fondées : le lendemain, au petit matin, des tirs fusent. « Un accord avait été passé, mes frères voulaient partir, mais la police a attaqué, la confusion était totale », décrit l’Apu qui souhaite garder l’anonymat, encore marqué. Un autre Awajún, Cesar Ñañez Muñoz, était présent ce jour-là. « Certains d’entre nous dormaient encore… Regardez ce qu’ils ont fait », explique-t-il, en tendant son bras, encore meurtri par une balle. Sur les images prises ce jour-là, des grappes de manifestants s’agglutinent autour des blessés, d’autres fuient en masse sous les gaz lacrymogènes et les salves de fusils à pompe. En face, les Awajún n’ont que leurs lances. Sur la route, les victimes agonisent : le massacre de Bagua fait plus de 200 blessés et 33 morts, dont 23 policiers, 5 civils et 5 Indiens. Officiellement. Car, en juillet 2009, un mois après le sanglant conflit, l’avocat d’Aidesep affirmait que 300 Indiens manquaient à l’appel. On parle de corps dissimulés, jetés dans les cours d’eau… Les décrets-lois ont été retirés mais, en décembre 2011, un ordre de capture – qui vient d’être levé – pesait encore sur certains meneurs de la protestation, à l’instar de Zebelio Kayap Jempekit. Le président de l’Organisation de développement des peuples frontaliers de la rivière Cenepa était accusé d’avoir séquestré des employés de la compagnie minière Afrodita, entrés sur les territoires indiens sans permission. « On a dit que nous étions des terroristes. Nous sommes un peuple pacifique, nous voulons seulement continuer à vivre sur nos terres », précise l’Apu anonyme.

« Dévorer leurs dépouilles »

Pour discréditer les revendications des Awajún, le gouvernement d’Alan García a usé d’une autre arme : le racisme. « Les Indiens devraient abandonner leur conception d’une culture statique opposée au changement » et « leur croyance que tous les peuples sont égaux », préconisait ainsi un rapport officiel sur les violences, rendu au gouvernement à la fin de l’année 2009. El Correo, un quotidien national, n’hésitait pas, lui, à prôner l’usage du napalm contre les Indiens péruviens, ces « sauvages », « primitifs », capables de « réduire les têtes des policiers qu’ils ont tués » et de « dévorer leurs dépouilles »

Quand elle reçoit dans les locaux de la Fédération des femmes Awajún du Haut Marañón, Elu Rosa Dasen Chaig a le regard pétillant des gens fiers d’aider leur communauté. Mais elle ne décolère pas. « Prenez-nous en photo. Montrez, vous, que nous sommes des hommes comme les autres, que nous n’avons pas de queue ! », lance-t-elle. « Les Péruviens connaissent très mal les cultures natives et leurs façons de penser, de vivre », témoigne Cesar Paz, directeur d’Agronomes et vétérinaires sans frontières Pérou (AVSF). En juillet 2011, un nouveau président a été élu au Pérou : Ollanta Humala. Avec lui, une lueur d’espoir a éclairé les terres amazoniennes. Les décrets d’application d’une loi ont été promulgués en septembre, promettant qu’aucun projet d’exploitation ne verrait le jour sans consultation des populations concernées.

L’espoir Ollanta Humala

« Cette loi est la première destinée spécifiquement aux populations natives au Pérou. C’est aussi une façon de reconnaître que le pays ne compte pas que des métis et des descendants de colons », espère Cesar Paz. En 1994, le Pérou avait signé la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, reconnaissant les droits des peuples autochtones. Et, en 2007, il approuvait la déclaration sur les peuples autochtones. Mais tout était resté lettre morte. « Jusqu’à cette loi, aucun gouvernement n’avait jamais écouté la voix des Indiens », confirme Cesar Paz. Avec Ollanta Humala, la donne semble avoir changé. « Nous l’avons élu et avons confiance en lui », espérait, en décembre dernier, Gabriel Paati Antunce, un Apu de la communauté de Uut. Aujourd’hui pourtant, rien n’est réglé, car les modalités d’application de cette loi sont discutées : le 20 février, le pacto de unidad (« pacte d’unité »), qui regroupe les organisations représentatives des communautés indiennes, demandait que la loi soit réécrite. « La loi prévoit de consulter les populations mais, si elles ne sont pas d’accord, la décision finale revient au gouvernement, explique le directeur d’AVSF Pérou. Les Indiens avaient accepté, car ils faisaient confiance au gouvernement. Mais celui-ci s’est repositionné plus à droite, pour que les entreprises étrangères ne fuient pas le pays. Cette évolution n’inspire plus confiance aux natifs. »

Selon Róger Rumrrill, journaliste et conseiller de l’Aidesep, un des articles de la loi dit bien à quel point celle-ci a été façonnée en sous-main par les entreprises pétrolières et minières. « Il est dit que les concessions sont accordées par le gouvernement aux entreprises, et qu’ensuite seulement vient la consultation !, déplore-t-il. Avec cette loi, le gouvernement ne fait rien de plus que répondre aux exigences capitalistes actuelles : il ouvre les portes de l’Amazonie, pour que soient extraits pétrole, gaz, or et cuivre, les matières premières à la base de l’économie mondiale. Celles-ci se trouvent malheureusement en territoires indiens. Les peuples natifs en sont titulaires, mais les ressources du sous-sol comme les arbres restent la propriété de l’Etat. En 2009, Bagua a montré un exemple de résistance à ce modèle mondial. Aujourd’hui, le gouvernement fabrique un climat de conflit semblable. Mais, pour défendre leurs territoires, les peuples indigènes, divisés sur d’autres points, s’uniront toujours. »

« Le poumon vert de la planète »

Sur les terres Awajún, le combat ne s’éteindra pas. « On considère souvent que nous n’existons pas. Mais nous avons des droits. Quel peuple ne se soulèverait pour défendre sa vie si elle était menacée ? », répète-on. Plus que tout, la conscience écologique est ici indéracinable. Ainsi, Gabriel Paati Antunce n’en finit pas de penser à des solutions pour recycler les déchets de la communauté d’Uut. Sur la barque du retour, on évoque aussi la mondialisation. « Que pourrions-nous faire pour que les pays étrangers arrêtent d’épuiser les ressources de nos forêts et de contaminer notre environnement ? Celui-ci n’est pas important que pour nous, il l’est aussi pour vous. C’est le poumon vert de la Terre !, s’indigne le chef Apu anonyme. Il faut penser autrement le développement économique, il ne peut plus continuer à détruire la vie. » —


Bolivie, Equateur : bientôt des actes ?

En Bolivie, le président Evo Morales a récemment promulgué une loi obligeant à la consultation des peuples Mojeño-trinitario, Yuracaré et Chimán, vivant dans le Parc national Tipnis. Ils devront se prononcer sur la construction d’une autoroute qui doit traverser la zone. C’est la conséquence de deux manifestations, aux objectifs pourtant opposés, qui ont eu lieu successivement en août dernier à La Paz, la capitale. L’une voulait enterrer le projet et l’autre demandait sa reprise. En Equateur, l’initiative Yasuni-ITT, lancée en 2010 et soutenue par le président Rafael Correa, prévoit de renoncer à un gisement de pétrole découvert dans le Parc national Yasuni, en échange de la participation financière de la communauté internationale équivalente à la moitié des revenus qu’aurait apportés l’or noir. Le montant attendu pour démarrer le projet a été atteint fin de l’année 2011. Reste à savoir s’il sera pérennisé dans le futur.

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas