publicité
haut
Accueil du site > Actu > Reportages > Argentine contre Uruguay : la discorde de papier
Article Abonné

Argentine contre Uruguay : la discorde de papier

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
 
Sur la rive du fleuve qui sépare l'Uruguay de l'Argentine, l'entreprise finlandaise Botnia construit une gigantesque usine à papier. Entre écologie, emploi et relations diplomatiques, ce chantier offre un concentré de mondialisation.
SUR LE MÊME SUJET

« Non aux usines de papier, oui à la vie ! » A Gualeguaychu, petite ville tranquille de 80 000 habitants à 200 km au nord de Buenos Aires, pas une voiture, pas un magasin, pas même l’office du tourisme n’oublient d’arborer cet autocollant. Ici, tout le monde lutte contre l’installation dans l’Uruguay voisin d’une usine qui produira un million de tonnes de pâte à papier par an. Déjà construite à 80 % à une trentaine de kilomètres de Gualeguaychu, sur la rive du fleuve qui sépare les deux pays, elle devrait entrer en activité en septembre. Les Argentins craignent que la pollution engendrée n’affecte l’économie de toute la région, qui vit principalement de l’agriculture et du tourisme, particulièrement en été avec le Carnaval et les plages installés sur le fleuve. « L’odeur d’œuf pourri, caractéristique des usines de ce type, aura forcément des conséquences sur le tourisme, dont les recettes représentent une fois et demi le budget de la municipalité », explique Sebastian Bel, secrétaire au Tourisme.

JPEG - 27.2 ko
Au lieu-dit Arroyo Verde, barrage de bus sur la route 136 : les habitants de Gualeguaychu s’y relaient et laissent passer les voitures au compte-gouttes. (A.M)

La ville est donc entrée en résistance. Depuis plus de trois mois, l’Assemblée citoyenne environnementale, qui coordonne les actions, bloque la route qui mène au pont reliant Gualeguaychu à sa voisine uruguayenne, Fray Bentos. « J’aurai tout le temps de voir mes enfants à un autre moment. La priorité, c’est la lutte », s’exclame Estela Vence, 47 ans, une Uruguayenne qui vit à Gualeguaychu depuis trente ans et qui loge sur la route, en rase campagne, depuis deux mois. Installée dans un vieux bus à la merci des moustiques, de la chaleur accablante le jour et du froid la nuit, cette grand-mère ne craint pas de rester seule la nuit tombée. « Un jour, le bruit a couru que les gendarmes allaient nous déloger. J’ai passé un appel à la radio et en une heure 5 000 personnes étaient sur le site », se souvient-elle. Dans la journée, des familles entières font le déplacement depuis Gualeguaychu pour maintenir le blocus. « On laisse passer les ambulances et pour le reste, on voit ça au cas par cas », explique Estela. Le soir, on passe de la musique, on danse, on boit le maté, l’infusion locale... Deux fois par semaine, une assemblée générale est convoquée sur la route : toute la ville de Gualeguaychu est invitée à y participer et les décisions sont prises à la majorité.

Dioxines et furannes

Le collectif citoyen a décroché une première victoire lorsque l’entreprise espagnole Ence, qui comptait aussi s’installer à Fray Bentos, a décidé de se déplacer à 200 km au sud, sur les rives de l’estuaire du Rio de la Plata. Car cette assemblée - « qui n’a d’écologiste que le nom », reconnaît un de ses dirigeants - ne réclame qu’une chose : que les usines ne s’installent pas en face de chez eux. Mais ni la détermination des habitants de Gualeguaychu, ni la gravité de la situation qui a dégénéré en conflit diplomatique [1], ne feront céder Botnia. L’entreprise finlandaise est bien décidée à inaugurer sa nouvelle usine. « Ça donne des envies d’être taliban », murmure Lilian Melnik, une jeune apicultrice qui craint pour son entreprise si l’usine rejette des dioxines et des furannes, deux composés chimiques très dangereux.

Le son de cloche est différent côté uruguayen. Le PIB de ce pays devrait croître de 1,6 % grâce à cet investissement de 920 millions d’euros, le plus gros que l’Uruguay ait jamais connu. L’arrivée de Botnia constitue une aubaine pour ce petit Etat de 3 millions d’habitants ravagé par une crise économique qui, il y a cinq ans, a plongé la moitié de sa population sous le seuil de pauvreté. Le chômage à Fray Bentos - 20 000 habitants - est passé de 16 % à 8 % en deux ans. « La ville est littéralement transfigurée, affirme l’adjoint au maire Juan Carlos Gonzalez Arrieta. Les gens ne sont plus déprimés, ils consomment davantage. » Juan, chauffeur de taxi qui a pu s’acheter deux voitures depuis 2003, va plus loin : « Ici, celui qui ne travaille pas, c’est parce qu’il ne veut pas. »

70 inspecteurs pour tout le pays

Botnia estime que l’implantation de l’usine entraînera à terme la création de plus de 3 500 emplois indirects dans la restauration, le commerce, ou les transports. L’entreprise finlandaise avait par ailleurs promis de recruter au moins 4 000 personnes pour la construction de l’usine. A un détail près : « L’Uruguay ne disposait pas de techniciens suffisamment qualifiés pour le montage final. Cinq cents étrangers, surtout de République tchèque ont donc débarqué », reconnaît Carlos Faroppa, porte-parole de l’entreprise. Résultat : hôtels, restaurants et grandes surfaces ne désemplissent pas. L’hôtel Fray Bentos, abandonné depuis dix ans, a rouvert ses portes en février avec 4 étoiles, 64 chambres climatisées, vue sur le fleuve et piscine. Bien sûr, tout n’est pas tout rose. L’arrivée massive d’étrangers payés en euros a entraîné le triplement des loyers. Et la prostitution s’est développée de manière exponentielle.

Les habitants de Fray Bentos sont par ailleurs conscients que tout cela ne durera pas : une fois l’usine construite, il ne restera que 300 personnes sur le site. Des ingénieurs hautement qualifiés pour la plupart, donc certainement pas de la région. Mais pour l’heure, ce sont les promesses d’emploi qui comptent. Les risques de pollution passent au second rang. De retour de l’autre côté du fleuve, à Gualeguaychu, on frise la psychose. « On nous a dit que les dioxines vont rendre les femmes stériles, que la pluie acide transpercera les vêtements et brûlera la peau », se plaint Mirta, 48 ans, installée sur la plage Ñandubaysal en face de laquelle se construit l’usine dont on aperçoit la cheminée. « C’est le dernier été que je passe ici », peste-t-elle. L’exemple de l’usine de Valdivia, au Chili, fermée temporairement en 2004 après la mort de 350 cygnes au cou noir, hante les esprits. A Botnia, Carlos Faroppa se veut rassurant : « La technique de blanchiment ECF (sans chlore élémentaire) que nous utiliserons est la même que celle qui sera imposée dans toute l’Union européenne à partir de 2007 et c’est la plus efficace. » « Faux », rétorque Greenpeace, qui lui préfère la technologie TCF (sans aucun composé chloré). « Avec le procédé ECF, on retrouve des dioxines et des furannes et pas du tout avec la technologie TCF. » La Direction nationale de l’environnement uruguayenne (Dinama) sera chargée du contrôle, en collaboration avec des techniciens finlandais. « Là-bas, les usines sont situées près des villes et aucun problème ne se pose. La Finlande est un des pays qui respecte le plus l’environnement », rappelle Carlos Faroppa. Bémol : la Dinama dispose de 70 inspecteurs pour tout l’Uruguay. « Tout le monde sait que dans nos pays, les contrôles ne sont pas effectués. Il suffira de corrompre les fonctionnaires de la Dinama », affirme Julia Cocaro, dentiste tout juste retraitée, l’une des seules voix discordantes de Fray Bentos. Son ONG, Movitdes - Mouvement pour la vie digne, le travail et le développement durable -, a été la première à alerter la population voisine de Gualeguaychu sur les dangers qui s’approchaient. « A Valdivia, au Chili, c’était la technologie ECF qui était utilisée », remarque-t-elle.

Eucalyptus à croissance rapide

Au-delà de l’aspect économique et écologique, il existe un problème éthique. La pâte à papier produite n’est pas destinée au marché régional, mais aux usines d’Europe et d’Asie. Installée en Uruguay depuis vingt ans, Botnia a commencé par y acheter des plantations forestières. Mais « le but était évidemment, à terme, d’installer une usine de pâte à papier », reconnaît-on chez Botnia. Dans les pays du Sud, les espèces d’eucalyptus à croissance rapide poussent plus vite que dans le Nord et les législations sont moins regardantes. Plus souple, moins onéreux, plus efficace : l’avantage est évident. L’industrie papetière a donc tout intérêt à y transférer sa production et faire ainsi face à la demande des pays développés. « Le Nord fait une surconsommation de papier. A taux d’alphabétisation égal, la Finlande consomme 10 fois plus de papier par habitant et par an que l’Uruguay, souligne Anahit Aharonian, membre de la Commission multisectorielle, un groupe d’ONG uruguayennes qui s’oppose à l’installation des usines. Je ne vois pas pourquoi le Sud devrait payer de son environnement et de sa santé le gaspillage de papier du Nord. »


URUGUAY

Capitale : Montevideo

Population : 3,3 millions d’habitants

Indice de développement humain : 0,840 (en 2005)

46e rang mondial

Chômage : 12,2 % (en 2005)

ARGENTINE

Capitale : Buenos Aires

Population : 39 millions d’habitants

Indice de développement humain : 0,863 (en 2005)

34e rang mondial

Chômage : 10,1 % (en 2006)


[1] L’Argentine a porté plainte contre l’Uruguay devant la Cour internationale de Justice de La Haye.

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter
TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas