Air France fuit les radars

Quel souffle ! Pas d’année sans quelques beaux visuels d’Air France, qui veut « faire du ciel le plus bel endroit de la terre », une « signature » – un slogan accolé à la marque – imaginée en 1999 par BETC Euro RSCG. « Air France veut faire du moment de vol une expérience, et non un moment que l’on subit. Plutôt que de montrer l’avion, on suggère la qualité du service à bord : fauteuils confortables, mets gastronomiques…, explique Valérie Albou, chargée des campagnes à l’agence de publicité. Avec ces visuels décalés et poétiques, Air France est l’une des rares grandes compagnies mondiales dont la représentation publicitaire n’est pas réaliste. » Pour le moins.

Les campagnes

Première époque : 1999-2006. On réduit la représentation de la carlingue à un minuscule avion-jouet qui ponctue des images évoquant la zenitude absolue d’un vol Air France : paysage marin ou montagneux, champ de coquelicots, séance de gym sur terrasse en bois, oreiller figuré par un nuage de coton, etc.

Deuxième époque : 2006-2007. De ludique, l’avion devient immatériel et disparaît. Le vol n’est plus symbolisé que par des numéros de sièges. Au point de soutenir qu’un voyage en « espace première » est aussi voluptueux qu’une bronzette sur un ponton dans une nature idyllique. Très exagéré, mais joli.

Troisième époque : depuis 2008. L’avion est cette fois représenté par un logo Air France devenu blanc, suivi par une « traînée de condensation », cette vapeur d’eau que rejette l’appareil. La trace blanche épouse les éléments graphiques de l’image – lacet d’un corset qu’on délace, branche de lunettes, talon aiguille…

Abus de nature ?

Voici un extrait de la recommandation « développement durable » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (Arpp) : dans une campagne, « il n’est plus acceptable d’identifier un avion à un oiseau ». Que faut-il alors penser du coucou Air France ci-dessus qui semble dans son élément au milieu des mouettes ?

Loïc Fel, chargé du développement durable à BETC Euro RSCG – il est notamment chargé de veiller à la bonne utilisation des arguments écologiques –, est la personne la mieux placée pour s’agacer. « Ces campagnes sont dans l’allégorie du bien-être et n’ont aucune prétention environnementale. On ne peut donc pas parler d’utilisation abusive d’éléments naturels. Il n’y a que des gens comme vous et moi, plongés dans ces questions toute la journée, pour tenter d’y détecter cette problématique. J’irai même plus loin : puisqu’Air France est la compagnie aérienne la mieux classée pour sa démarche “ développement durable ” (1) (adoption d’un « plan climat » comprenant le renouvellement de la flotte, la recherche sur les agrocarburants, etc., ndlr), elle pourrait légitimement utiliser sa signature pour une campagne ouvertement axée sur le respect de l’environnement ! »

Chez Air France, on rajoute une couche de vert : « Le transport aérien, ce n’est que 2 % à 3 % des émissions de gaz à effet de serre. » Le chiffre fait sursauter Alain Péri, porte-parole de l’Association de défense contre les nuisances aériennes qui regroupe des riverains d’aéroports : « Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat l’affirme dans un rapport spécial de 2009 : l’aviation contribue au réchauffement climatique à hauteur de 4,9 %, lorsqu’on tient compte de l’ensemble des gaz émis et pas seulement du CO2. Air France a le droit de vendre du rêve dans ses publicités, mais pas d’asséner des contrevérités aux journalistes. » Parmi ces gaz réchauffants, on compte d’ailleurs les fameuses traînées de vapeur d’eau, poétiquement représentées dans les visuels.

Verdict

Stéphen Kerckhove, délégué général de l’association Agir pour l’environnement, rêverait que ce type de pubs soit tout bonnement interdit. « Une affiche qui incite à prendre l’avion est en soi incompatible avec le développement durable ! » A Terra eco, on est partagés. On voit bien le risque qu’il y aurait (censure, confusion) à systématiser l’accusation d’écoblanchiment. Pour autant, laisser entendre qu’un avion est immatériel, éthéré, sans impact est problématique. Pas de greenwashing dans cette campagne. Mais une certaine indécence. —

(1) Par le « Dow Jones Sustainability Index » depuis 2005, notamment. En 2009, le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a également remis à la compagnie le prix de la Marianne d’or du développement durable.