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20-11-2015
Mots clés
Société
France
Interview

« Avec le recul, les lois Pasqua paraissent toutes droit sorties du monde des Bisounours »

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« Avec le recul, les lois Pasqua paraissent toutes droit sorties du monde des Bisounours »
(Crédit photo : Inria Actus - Flickr)
 
Ce jeudi, les députés ont voté la prolongation de l'Etat d'urgence. Les défenseurs des libertés fondamentales sont atterrés. Adrienne Charmet-Alix, coordinatrice de La Quadrature du Net explique pourquoi.
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Il ne fait l’unanimité qu’au sein du Parlement. Le projet de loi modifiant et prolongeant l’Etat d’urgence pour une durée de trois mois a été adopté ce jeudi a 551 voix contre 6 à l’Assemblée nationale. Au menu : extension de l’assignation à résidence à toute personne dont on a « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace », élargissement des perquisitions à tous les lieux et systèmes informatiques – sauf ceux des professions protégées, avocats, journalistes, magistrats… – et dissolution facilitée des associations. « Pour votre sécurité, vous n’aurez plus de libertés », résume l’association de défense des libertés fondamentales La Quadrature du Net dans un communiqué. « Etat d’urgence ou Etat policier ? », s’interroge sur Twitter – où elle se dit aussi « très énervée » – Adrienne Charmet-Alix, sa coordinatrice. Elle détaille l’origine de ses craintes et les raisons de sa colère.



Terra eco : Qu’est ce qui, dans le texte adopté par les parlementaires, vous inquiète ?

Adrienne Charmet-Alix : Perpétuer l’Etat d’urgence en tant que tel pose problème. Cela consiste à faire perdurer des mesures exceptionnelles, un système parallèle dans lequel il n’y a plus de juges. Cela revient à considérer que, pour que la police puisse faire son travail, le pouvoir des juges doit être mis en sommeil. Comme si la justice était un frein à la sécurité. Dans l’Etat d’urgence, les citoyens n’ont pas de recours, le renseignement n’a pas de comptes à rendre, les forces de police n’ont plus besoin de l’accord du juge administratif... Leur pouvoir ne butte sur aucun contre-pouvoir. Sans compter que, dans le détail, le texte tel qu’il est formulé contient des atteintes fortes à nos libertés, qu’il s’agisse des dispositions concernant l’assignation à résidence ou les perquisitions.

Justement, les perquisitions sont élargies à tous types de supports informatiques. Qu’est-ce que cela implique ?

Pour les renseignements, c’est open bar ! S’ils ont des « raisons sérieuses de penser » que vous êtes une menace, ils ont désormais le droit d’aspirer tout le contenu de votre ordinateur, mais aussi des appareils de stockage accessibles « à partir du système initial ou disponibles pour le système initial », c’est-à-dire de tous les ordinateurs et appareils en réseau. C’est là la grande différence entre une perquisition de votre domicile et celle de votre ordinateur. Dans le second cas, vous êtes loin d’être le seul touché.

Pourquoi l’espace numérique doit-il garder une part de confidentialité ?

Aujourd’hui, une grande partie de nos libertés passe par nos téléphones, nos ordinateurs... La liberté d’expression, tout comme la liberté d’information, s’exprime par ces outils numériques, via les blogs, les réseaux sociaux, les forums. On utilise aussi beaucoup ces outils dans notre vie privée. C’est donc l’un des terrains où les atteintes aux libertés peuvent être les plus fortes.

Pourtant, au premier abord, la plupart d’entre nous ne voient pas le problème...

C’est vrai. L’interdiction de manifester, c’est quelque chose qui touche les gens, ils constatent directement que leur liberté est entravée. Pour les outils numériques, c’est différent. Même si énormément d’informations peuvent être collectées sur chacun d’entre nous par ce biais, nous n’avons pas forcément l’impression d’être surveillés. Imaginez qu’on place dans votre salon une caméra qui suive vos moindres faits et gestes, vous aurez alors conscience de l’intrusion. Pour les outils numériques, ce n’est pas le cas, alors que notre vie privée y est très exposée.

Une enquête réalisée après les attentats par l’Ifop pour RTL indique que 84% des sondés sont « prêts à accepter davantage de contrôle et une certaine limitation des libertés ». N’avez-vous pas le sentiment d’être seuls contre tous en ce moment ?

Ces sondages sont réalisés à chaud, dans l’émotion, les jours suivant ces attentats qui nous ont tous ébranlés. Il faut prendre leurs résultats avec distance : on ne sait pas quel type de questions sont posées, de quel type de libertés il est question de suspendre et on ne connaît pas la formulation. Si vous me demandez : « Préférez-vous voir vos libertés restreintes ou vous faire tirer dessus ? », il y a de grandes chances pour que je choisisse la première option. Mais la question a-t-elle seulement un sens ? On ne cesse d’opposer sécurité et liberté et on fait comme si cette opposition était naturelle. On oublie qu’à l’inverse sécurité et libertés se renforcent mutuellement. L’Etat de droit nous protège. Avoir des droits fondamentaux extrêmement bien définis et défendus constitue une garantie de sécurité.

Qu’est ce qui vous laisse penser que les terroristes ne seront pas les seuls visés par ces dispositifs ?

Prenez les dispositions du projet de loi sur l’Etat d’urgence relatives aux associations. Elles autorisent la dissolution de deux catégories d’associations : celles qui « constituent une menace » directe pour la sécurité et celles qui « favorisent une menace » directe. Une association comme La Quadrature du Net prône le droit au chiffrement des communications pour garantir le respect de la vie privée. S’il est établi que les terroristes utilisent ce type de communications cryptées, l’Etat pourrait estimer que, par ses revendications, La Quadrature du Net favorise la menace terroriste et donc demander notre dissolution. Et puisque l’Etat d’urgence s’applique, nous ne pourrions nous retourner vers aucun juge pour contester cette décision.



La question du chiffrement revient beaucoup ces derniers jours. De quoi s’agit-il ?

Par chiffrement, on entend la protection des contenus de nos communications par des outils qui les rendent illisible pour des tierces personnes. Dès que vous êtes sur un site en « https», son contenu est chiffré. C’est le cas lorsque vous effectuez des achats. Sur Gmail aussi, il y a souvent chiffrement par défaut. Il existe aussi un chiffrement maîtrisé de bout en bout par l’utilisateur. C’est important, car c’est la base de la protection de notre vie privée.

Ce dispositif est-il menacé par l’Etat d’urgence ?

Non, pas directement. Mais il a été accusé dans les jours qui ont suivi les attentats. Il a été question de l’usage de WhatsApp ou de la PS4 par les terroristes. On a aussi lu et entendu des choses assez ignobles, suggérant que les défenseurs des droits fondamentaux et des libertés numériques avaient, par leur combat, rendu possibles ces attentats ou, dans la même veine, qu’Edward Snowden avait du sang sur les mains. Notre crainte est de voir les autorités continuer à exploiter l’émotion de la panique pour faire passer un agenda de restrictions des libertés qui est là depuis longtemps. La question du chiffrement n’est pas nouvelle. Dans ses discours qui ont suivi les attentats, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a de nouveau ciblé le dispositif. L’interdire ou donner à l’Etat les clés permettant de lire tous les messages chiffrés, ce serait s’engager sur la voie d’une surveillance de masse.

Renforcer les contrôles et donner un meilleur accès aux contenus des échanges aux renseignements, n’est-ce pas efficace dans la lutte contre le terrorisme ?

Nous n’en savons rien. Mi-janvier, une commission d’enquête parlementaire a été demandée par des députés Europe Ecologie - Les Verts et Les Républicains pour faire le bilan de l’efficacité des renforcements des dispositifs de sécurité après le 11 janvier. Mais elle n’a pas été lancée, le processus a été bloqué par la présidence de l’Assemblée. A ce moment-là, des pressions du gouvernement ont été évoquées. Quoi qu’il en soit, personne n’a, à ce jour, tiré de bilan. Dans le cas du chiffrement, on comprend mal ce que cette surveillance de masse peut apporter. Si un individu intéresse les renseignements, il existe déjà tout un tas de métadonnées accessibles qui permettent de savoir avec qui il a été en contact, à quelle heure… On voit mal ce que l’interdiction des échanges cryptés pourrait apporter de plus. Sans compter que ces mesures peuvent être contreproductives : quand on fragilise le réseau, qu’on ouvre l’accès à certaines données, on facilite leur accès aux autorités, mais aussi aux personnes mal intentionnées.

Mais si l’on apprend que les terroristes utilisent WhatsApp, Telegram ou la PS4 – ce qui est loin d’être confirmé –, ne doit-on pas réglementer l’usage de ces outils ?

La question est posée dans le mauvais sens. On s’en prend à l’outil plutôt qu’à la personne qui l’utilise. Les terroristes utilisent des voitures, dorment dans des appartements privés fermés à clé. Est-ce que pour autant ces voitures et ces appartement doivent être jugés comme des menaces à la sécurité ? Est-ce que, pour éviter que des personnes potentiellement dangereuses communiquent, on doit interdire l’usage d’enveloppes fermées ? On a le sentiment que demander toujours plus de pouvoir de surveillance est un moyen d’éviter les remises en question et d’échapper aux bilans des actions passées.

Il faut donc à tout prix conserver la possibilité de chiffrer nos communications ?

Oui, mais le chiffrement est finalement une question relativement accessoire. Notre crainte concerne l’ensemble des mesures de restriction des libertés. On est atterrés de voir que la réponse de la classe politique va uniquement dans ce sens. Il y a dans la société civile des gens qui travaillent sur le sujet, qui savent évaluer l’efficacité de ces mesures, mais on ne les écoute pas, on préfère décider dans l’émotion et l’urgence absolue. Or, à chaque fois, la politique sécuritaire grimpe d’un cran, elle ne redescend jamais… Avec le recul, les lois Pasqua paraissent toutes droit sorties du monde des Bisounours. Aujourd’hui, on étend les perquisitions, les assignations à résidence… Au prochain attentat, ce sera quoi ?

Tant qu’un gouvernement démocratique est au pouvoir, a-t-on quelque chose à craindre de ces mesures ?

Il faut se garder de réserver ses inquiétudes pour le jour où le FN sera au pouvoir. Il faut être vigilant et prendre soin de nos libertés dès maintenant. Ne serait-ce que parce que les droits fondamentaux, comme celui à la vie privée, ne se négocient pas. Ensuite, parce que le gouvernement actuel n’est pas très à cheval sur la protection des libertés. Enfin, parce que la surveillance de masse est inacceptable. La cour de justice de l’Union européenne elle-même l’a réaffirmé, ce n’est pas une lubie de militants !

A lire aussi sur Terraeco.net :
- Adrienne Charmet-Alix veut libérer la Toile de ses chaînes
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  • Les puissants n’ont AUCUN intérêt à voir un monde de partage et de solidarité s’imposer sur cette « planète » car leur fortune et leur pouvoir sont nés des désordres, oppressions et exploitations en tout genre.
    La seule stratégie qu’ils peuvent raisonnablement envisager pour conserver leurs acquis sera la contrainte face à la montée inévitable des mécontentements.
    L’insoutenable violence des attentats Parisiens a permis ainsi de modifier le caractère démocratique de notre société, autorisant ainsi le contrôle de mécontentements qui n’auraient pu justifier à eux seuls un tel recul.

    21.02 à 12h50 - Répondre - Alerter
  • Eh oui, ça s’appelle le feu aux poudres, la bêtise humaine qui se précipite dans la panique sans analyser les racines du problème : les raisons de la fortune de Daech, jouer à la guerre profite à l’industrie de l’armement et aux gouvernants qui compétitivent à coups de testostérone pour se la péter chefs des armées et faire oublier qu’ils sont les principaux responsables de l’indifférence et de l’ignorance de leurs moutons électeurs !
    Ouais, la démocratie de pacotille avec 1 Marianne prostituée au lobby, ouais ouais !
    " Tous candidats " et debout pour sortir des crimes écologiques, économiques et des culturels, c’est trop demander ?! S’ils croient à leurs stupides bombes, 1 météorite ou des raz de marée ou...pour calmer l’arrogance de cette engeance d’ingrat(e)s de tous bords ?!!

    24.11 à 14h33 - Répondre - Alerter
  • "Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux."
    Benjamin Franklin

    24.11 à 09h43 - Répondre - Alerter
  • Des mesures ont été prises immédiatement après les attentats du début de l’année, avec le renforcement des lois sécuritaires non ? Et pourtant 10 mois plus tard on se retrouve avec un nouveau traumatisme national et 10 fois plus de morts, des blessés à la pelle alors que certains terroristes étaient déjà tout à fait connus des services de police. Des intelligences étrangères dont les RG de Damas avaient même prévenu la France de l’imminence d’attentats à grande échelle, des noms soulignés, sans effets apparemment. Alors le problème de notre sécurité n’est-il pas ailleurs : la suppression de fonctionnaires attachés à la sécurité, plus d’enquêtes sur le terrain avec des hommes entrainés, expérimentés et pas seulement des manœuvres coercitives sur la Toile, l’incompétence de nos ministres et hauts fonctionnaires, une meilleure synergie des services ?... Mais ces arguments, même soulevés par un juge comme Trévédic pour le premier, sont vite passés sous silence par nos va t’en guerre irresponsables, écrasant ces nombreux questionnements légitimes, tout débat gênant par le son des canons et les discours martiaux, étant surtout soucieux de 2 points de plus dans les sondages. Un violence républicaine et démocratique que nous la société civile va payer au prix fort.

    23.11 à 07h46 - Répondre - Alerter
  • Vous avez écrit : "On ne cesse d’opposer sécurité et liberté et on fait comme si cette opposition était naturelle". C’est encore insuffisant, un degré en dessous de la vérité car le pouvoir a joué au chat et a la souris. Liberté, il a laissé s’échapper une demi douzaine de gus vaguement islamistes ; sécurité il a tué tout le monde. Tuer tuer tuer il y a deux ou trois personnes à la tête de l’état qui ne pensent qu’à cela on dirait un substitut de la peine de mort qui a été abolie car si les terroristes étaient arrêtés on ne pourrait pas les tuer et on serait obliger de les juger. Il y a trop d’écarts d’un jour à l’autre. Un jeudi un pouvoir totalement désorganisé par la perspective d’une élection qui va lui nuire. Un vendredi et notre chef de sa guerre remonte la pente de 5%.
    On voit bien que la soit disant sécurité des citoyens ne lui fera jamais gagner une seule élection. Le pouvoir socialiste n’a qu’un choix possible devant lui c’est celui d’être écologiste. Eh oui l’écologie concerne bien tout le monde, n’est-ce pas ? Donc elle doit concerner au premier chef la bande à Camba, les Valls, Hollande, Bartolone, Cazeneuve, et, et nos préfets et nos policiers,etc....Tous ces gens devraient être dans la rue dimanche prochain au premier chef, et marcher en tete d’une immense manifestation. Et si ils ne le font pas, si ils se contentent d’une cop 21 organisée par des entreprises pour les secteurs de l’économie verte qui y font des affaires, et non pas pour un "concernement" mondial résultant de la prise de conscience par l’humanité de son entrée dans l’anthropocène ils finiront avec leur EPR qui encore perdu 10 milliards pour produire une élecricité plus chère que celle qu’on peut espérer des renouvelables.

    23.11 à 07h02 - Répondre - Alerter
  • Sur le fond , je ne suis pas un spécialiste du droit et je serais incapable d’expliquer en quoi l’état d’urgence apporte un plus dans ce cas .Elle a peut être raison , nous verrons bien à terme le résultat de ces mesures . Juste un petit bémol , les différents services ayant des moyens limités , je les vois mal perdre du temps sur des objectifs sans valeur (apriori ) avec la situation qui nous concerne

    Sur la forme , il ne faut pas oublier le contexte et l’objectif de cet attentat . Il ne s’agit pas d’un simple réglement de compte entre gang/état . Il s’agit de créer les conditions d’un possible effet boule de neige . Nous avons l’habitude de lire dans la rubrique fait divers les actions de certains groupes(très minoritaires ) envers certaines communautés et ils n’ont pas besoin de ces évènements pour agir . Le problème est la grande masse des gens dits modérés/indifférents/tolérants . Il ne faudrait pas qu’ils aient l’impression que le gouvernement n’agit pas ... ajoutons la proximité avec la cop21 puis les fêtes . Si ça permet de calmer/apaiser les esprits sur les prochaines semaines , ce n’est pas plus mal .

    21.11 à 23h33 - Répondre - Alerter
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