En cinq ans à peine, elles ont conquis un sacré territoire. Les cigarettes électroniques comptent près de 1,5 million d’adeptes. Le marché serait passé de 40 à 200 millions d’euros entre 2012 et 2013, d’après l’Office français de prévention du tabagisme et autres addictions (Ofta). Pas besoin de faire leur pub pour que les ventes de « e-cigs » grimpent en flèche. Pourtant, en octobre, la marque française Cigartex s’offrait un encart dans le quotidien 20 minutes. « Beaucoup plus belle. Beaucoup moins nocive. Beaucoup moins cher. Beaucoup plus sociable. Beaucoup plus bio. Avez-vous encore beaucoup d’hésitations ? » Jolie brochette de superlatifs. Cela dit, on aurait bien accordé au féminin l’adjectif « cher ». Mais mettons cette imperfection sur le compte de la précipitation qui caractérise le secteur.
Stratégie
Alors, nocive ou pas nocive, cette nouvelle tétine pour adulte ? Tout le monde s’accorde à la considérer comme préférable à la cigarette. L’Ofta publiait en mai dernier un « Rapport et avis d’expert sur l’e-cigarette » (1). Tout en appelant à une réglementation, il recommandait « que l’accès des fumeurs aux e-cigarettes ne soit pas freiné, car au vu des données actuelles elles semblent réduire les dommages lorsqu’elles remplacent la cigarette ». Mais ce rapport n’a pas mis fin aux critiques. On se demande si les ingrédients contenus dans les liquides sont si inoffensifs que ça… Et un test publié par 60 millions de consommateurs dans son numéro de septembre est venu épaissir le nuage de fumée. Les conclusions du magazine sont sévères : « Les cigarettes électroniques peuvent émettre des composés cancérogènes en quantités significatives. »Et dans son test, la « Dynamique » de Cigartex et son liquide « conceptarôme à la menthe » à 19 mg/ml de nicotine en prend un sacré coup. « En recherchant des métaux dans les vapeurs de certaines e-cigarettes, peut-on lire, nous avons été interpellés par la présence de métaux potentiellement toxiques. C’est le cas surtout de Cigartex qui libère autant de nickel et de chrome qu’une cigarette conventionnelle, ainsi que du cadmium, en quantité toutefois bien moindre que dans la fumée de tabac, du plomb et de l’aluminium. » Par ailleurs, le liquide a été jugé non conforme au descriptif du fabricant : les experts de 60 millions de consommateurs y ont trouvé 4 % de propylène de glycol, dans un produit annoncé sans. Le flacon indique ainsi : « 90 % de glycérine biologique issue de l’agriculture biologique, 10 % d’eau purifiée pharmacopée grade USP, 6 % à 8 % d’arôme alimentaire, absolue de tabac, arôme de fumées, nicotine. » Forcément, Cigartex a eu envie de se défendre par une pub affirmant que tout va bien.
Cas d’école
Et pourquoi pas. On aimerait bien, nous, être rassurés. D’autant que les partisans de la e-cig sont devenus furax à la lecture de l’article de 60 millions de consommateurs. « L’enquête est tendancieuse et génère des peurs infondées. Cet article risque de renvoyer au tabac des milliers de personnes qui sont passées à la e-cig, et de décourager des millions de fumeurs de découvrir une alternative moins dangereuse que le tabac », s’indigne Brice Lepoutre, président de l’Association indépendante des utilisateurs de cigarette électronique. Et chez Cigartex, on dément les conclusions du test. Il n’y a rien de tout ça dans leurs produits, nous assure-t-on au standard. L’accès à l’intégralité du test leur est d’ailleurs refusé. On conçoit donc qu’ils éprouvent le besoin de se défendre. De là à y aller avec si peu de pincettes…Verdict
Au début du mois d’octobre, le Parlement européen refusait de classer la e-cig comme un médicament, lui permettant ainsi une distribution libre. Mais la considérait comme un produit dérivé du tabac puisqu’elle contient de la nicotine, et voulait en interdire la publicité et la vente aux mineurs. Le texte est encore en négociation. En attendant, il est clair que la e-cig n’est pas un produit de consommation comme un autre et que communiquer à son sujet est un exercice délicat. Or la pub Cigartex ne fait pas dans la finesse et ne tient compte d’aucun des principes de base de la communication responsable. —(1) A lire ici
Mathieu Jahnich, fondateur de l’agence Sircome
« Couleur verte prédominante, petite feuille intégrée dans le logo, appellation ‘‘ bio ’’ sans label officiel, silence sur la proportion de produits concernés, informations complémentaires difficiles à trouver et très limitées sur le site Web… Les signes de greenwashing sont nombreux ! Cette publicité nous replonge à la fin des années 2000, où l’utilisation abusive et mensongère de l’argument écologique était récurrente. Cigartex passe complètement à côté des enjeux du marketing responsable. »
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions