publicité
haut
Accueil du site > Actu > Enquêtes > A quoi servent les altermondialistes ? (suite)
Article Abonné

A quoi servent les altermondialistes ? (suite)

Taille texte
{#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}
 
SUR LE MÊME SUJET

...Prenons le cas concret du Revenu minimum universel, une idée à la fois soutenue et combattue aussi bien par des altermondialistes que par des néolibéraux. Que vaut cette idée ? Y êtes-vous favorable ?

RP : J’y suis favorable, mais ma position est le fruit d’une longue démarche. Je pense que dans notre société, le produit national est un bien commun, résultat de l’effort de toute la collectivité, sans qu’on puisse distinguer la performance du travail de celle du capital, car ceux-ci sont interdépendants. Les entreprises, même concurrentes, sont elles-aussi interdépendantes.
Dans une économie en flux tendus, les entreprises dépendent d’autres entreprises, de l’éducation, du système de santé, des réseaux de communication, des performances de l’administration, etc. Il est devenu impossible d’identifier clairement la part de chaque facteur. En résumé, la productivité du travail ne veut plus rien dire. La justice commutative qui consiste à dire : je te donne mon travail, tu me donnes mon salaire et on obtient ma productivité, et bien ça n’existe plus.

Ce qui signifie ?

RP : Il faut répartir ce produit national selon les critères d’une justice distributive. Ces critères, vous le comprendrez facilement, sont impossibles à définir. Je n’en ai aucun à proposer car ils ne pourraient être objectifs et feraient appel à des éléments de valeur. J’ai même poussé le bouchon un peu loin un jour en soutenant ce mouvement de chômeurs qui réclamait une part plus importante du produit national. Après tout, que disait le discours officiel de l’époque ? Qu’au nom de la flexibilité du travail et donc de la rentabilité des entreprises, il fallait procéder à des licenciements. En se retrouvant au chômage, ces salariés participaient donc d’une certaine façon à la croissance de ce produit national !
Pour revenir à votre question sur le revenu universel, je suis favorable à ce que quelqu’un qui souhaite s’arrêter de travailler temporairement, le fasse. Qu’ensuite les gens travaillent jusqu’à 70 ans si c’est leur souhait, ou passent leur vie à ne rien en faire, c’est finalement leur problème.

Percevoir un revenu minimum, travailler jusqu’à 70 ans si on le souhaite ? Ces positions ne sont pas si éloignées de celles des libéraux ?

RP : Vous touchez un point sensible. C’est vrai que les pères fondateurs du libéralisme, comme Stuart Mill [1] , étaient favorables à un revenu minimum. Il y a chez les libéraux des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup d’estime, car ils poursuivent des buts humains, même si je ne suis pas d’accord avec les moyens qu’ils préconisent. Je ne suis pas d’accord pour transformer l’humain en instrument et l’instrument financier en finalité. Et je suis en désaccord avec les néolibéraux comme Milton Friedman [2] qui, pour des raisons totalement différentes, arrivait au mêmes conclusions que les miennes, à savoir la nécessité d’instaurer l’impôt négatif (revenu minimum, ndlr). Car lui se place du point de vue de l’entreprise. D’après son raisonnement, si les besoins vitaux sont couverts par le revenu minimum garanti, alors l’entreprise peut se permettre de recruter des gens à très faible productivité n’ayant plus à s’acquitter que de coûts marginaux. Sur cette question, c’est finalement André Gortz qui nous a donné la clef en inventant le terme de revenu minimum "suffisant".

Comment fonctionne ce "revenu suffisant" ?

RP : L’idée est de garantir à un individu à la recherche d’un emploi, un revenu vital suffisant qui lui permette de refuser une offre qui ne lui convient pas. Dans cette démarche, c’est l’individu, la personne humaine, qui est en jeu, et non plus l’entreprise. La différence est fondamentale. Concrètement, comment calculer ce revenu ? D’abord, il faut que cette somme soit suffisante pour vivre. Ensuite, il faut qu’elle reste sensiblement inférieure au smic pour ne pas détourner les individus du travail. A titre personnel je le fixerais à peu près au niveau du seuil de pauvreté (environ 600 euros, ndlr). Mais attention, c’est juste pour couvrir les besoins fondamentaux.

N’y a-t-il pas un risque qu’une partie de la population se contente de ce revenu garanti ? Comment éviter la constitution d’une "trappe à travail" ?

RP : Si quelqu’un envisage de ne donner que ce sens à son existence, grand bien lui fasse. Mais des expériences ont été menées, comme dans le New Jersey. Elles ont démontré que le phénomène de trappe à travail est marginal, et se présente plutôt chez les femmes, en raison de la maternité.

Une question sur l’entreprise : on a parfois l’impression que le mouvement altermondialiste se définit "contre l’entreprise". N’est-ce pas caricatural ?

RP : Il peut y avoir un malentendu. C’est vrai qu’il faut éviter de parler de l’entreprise en général. Mieux vaut parler "des" entreprises. Il faut distinguer les Petites et moyennes entreprises des multinationales, qui font parfois souffrir les PME.

Les idées que vous défendez, celles des altermondialistes, ont un écho qui n’est certes pas négligeable. Mais avez-vous réellement le sentiment que le monde aille dans la direction que vous indiquez ?

RP : Je vais vous surprendre en répondant par l’affirmative. Certes, nous n’y allons pas de façon consciente, mais regardez l’évolution de la part du revenu social dans le revenu des ménages sur un siècle. Quelque chose est en train de se dessiner. L’avancée, je crois, se fera dans le rapport de force et le conflit, mais elle est déjà en marche.

Quel but poursuivent les altermondialistes ? Adapter le sytème ? Le changer ?

RP : Ni moi ni Attac n’avons de système parfait à proposer. Et tant mieux. Les seuls qui se sont prétendus parfaits ont conduit à la destruction de l’homme d’aujourd’hui au nom de l’homme de demain. Ces systèmes, ce sont Staline, Hitler, Pol Pot. Je dis seulement qu’il faut avoir des valeurs, des principes que vous placez au-dessus de vous. Et lorsque vous possédez ces valeurs - qui ne se démontrent, ni ne se réfutent - alors c’est un engagement au dialogue qui s’enclenche. Il faut aller vers son étoile polaire et y accrocher sa charrue. Nous sommes condamnés à vivre ensemble et c’est cela qui conditionne le contrat social. L’avancée viendra si l’humain est replacé au centre de l’économie.

En dépit de toutes ses dissensions, Attac a donc toujours, selon vous, un rôle à jouer ?

RP : Oui. Il y a la réalité et puis les interprétations de la presse. Attac a besoin de retrouver un noyau dur, d’être plus lisible et moins prévisible et l’effervescence reviendra. Nous allons lancer l’ouverture de cahiers de doléances qui déboucheront sur la tenue d’états généraux. Peut-être le souffle reviendra-t-il de cette initiative.

...RETOUR AU DEBUT DE L’INTERVIEW

Articles liés :
Economiste, humaniste et... doux rêveur ?

[1] Stuart Mill (1806/1873), est l’un des plus grands penseurs anglais du libéralisme. Il fonde le devoir sur la recherche du bonheur général et l’étend au droit et à la politique. On oppose généralement "l’utilitarisme altruiste de Mill à celui individualiste de Bentham". Précurseur du féminisme, Stuart Mill a défendu le droit de vote des femmes et leur émancipation dès 1865 à la chambre des Communes où il était élu.

[2] Né à New York, Milton Friedman a décroché son doctorat d’économie sur les bancs de l’université de Columbia en 1946. Professeur de l’Université de Chicago de 1946 à 1976, il est ensuite devenu conseiller du président Nixon. Il a reçu le Prix Nobel d’économie en 1976. Monétariste, ultra-libéral, il est l’un des plus connus de "l’école de Chicago" et ardent défenseur de la théorie du libre-échange.

Faites réagir vos proches, diffusez l'info !
Vous aimez Terra eco ? Abonnez-vous à la Newsletter

Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

TOUS LES COMMENTAIRES
COMMENTAIRES SÉLECTIONNÉS
RÉPONSES DE LA RÉDACTION
Trier par : Plus récents | Plus anciens
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions
Soyez le premier à réagir à cet article !
PUBLIER UN COMMENTAIRE

Un message, un commentaire ?

  • Se connecter
  • Créer un compte

publicité
1
publicité
2
    Terra eco
    Terra eco
publicité
3
SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
publicité
bas