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7-12-2006
Mots clés
Marques, Marketing
Société
France

A qui profite l’insécurité ?

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Stimulées par la lutte anti-terroriste et le sentiment d'insécurité, les entreprises de sécurité privée multiplient leurs services. Fouille au corps d'un secteur en pleine explosion.
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Dans l’entrepôt des hypermarchés Inter-Mart, Hakim et ses col-lègues débarquent des cartons équipés de puces de radio-identification RFID antivol, sous l’œil des caméras. Deux heures plus tard, pour effectuer une livraison, Hakim grimpe à bord d’un véhicule de la société, localisé en permanence par le système GPS maison. Puis il se dirige vers le RER avec des amis, afin de rejoindre le centre commercial voisin : lieu du rendez-vous de la soirée. Son passe Navigo de la RATP au fond de la poche, le jeune homme reste entouré de puces RFID. Sur le chemin, les caméras vidéo le suivent presque sans interruption. Si le comportement d’Hakim paraît "suspect" au PC de contrôle du "maul" et de la gare, alors il sera attendu a l’entrée d’Inter-Mart par des agents de sécurité. Science-fiction ? Non. Réalité.

Les moyens de contrôle se nichent dans chaque recoin du quotidien, dans une société aux abois face aux menaces réelles ou ressenties. Profitant du renforcement des mesures répressives, votées par la droite comme par la gauche, et du battage médiatique entourant certains événements - émeutes urbaines, attentats, ou faits divers... -, le marché de la sécurité privée grimpe en flèche. En France, son chiffre d’affaires est passé de 8 milliards d’euros en 1992 à plus de 16 milliards en 2006, soit davantage que le montant du budget que l’Etat consacre à la sécurité publique (15,7 milliards d’euros), estime le journaliste Patrick Haas, directeur de la revue spécialisée En toute sécurité [1].

La fin des années 1990 est marquée par une hausse de la délinquance, "essentiellement des vols, la part des violences aux personnes étant quant à elle restée stable", précise Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CNRS). Sur la scène médiatico-politique, le refrain est bien différent. Les questions des violences urbaines, puis de l’insécurité occupent une place à la fois "grandissante au cours des années 1990 et de plus en plus consensuelle après la ’conversion’ du Parti socialiste opérée par le gouvernement Jospin", rappelle Laurent Mucchielli. D’après son analyse, ces questions culminent et finissent par écraser tout autre sujet "au tournant du siècle et durant la période électorale 2001-2002". Sur cette question, le chercheur pointe du doigt la responsabilité des médias et de leurs experts favoris, parfois "juges et parties".

Manitou médiatique de l’insécurité, le criminologue Alain Bauer dirige ainsi la société AB Associates. Ex-conseiller de ministres socialistes et ancien grand maître du Grand Orient de France, il annonçait en 2000 : "La France est plus criminogène que les Etats-Unis." Son cabinet a mené des dizaines d’audits pour des villes lors de la mise en place des "contrats locaux de sécurité" qui, sous l’autorité du maire, coordonnent depuis 1997 les actions de prévention et de lutte contre la délinquance.

Les VRP de la vidéosurveillance

Aujourd’hui, AB Associates vend du conseil international pour de grandes entreprises sur le segment de la gestion de crise. Bilan des courses : 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. "Comme les médecins, nous n’inventons pas les maladies pour les soigner. C’est l’Etat qui demande aux opérateurs privés d’occuper les espaces qu’il délaisse, de fouiller les passagers ou de disposer des caméras, et non l’inverse", se défend Alain Bauer.

Un arsenal législatif a stimulé et encadré les marchés. La loi sur la sécurité quo-tidienne votée après les attentats du 11 septembre 2001 renforce notam-ment les dispositifs dans les transports, concédant des pouvoirs de police aux sociétés privées. Les lois Sarkozy de sécurité intérieure et anti-terrorisme ont accéléré le déploiement de la vidéosurveillance, qui avait permis d’identifier des auteurs de l’attentat de Londres en juillet 2005. "Beaucoup de collègues disent que Nicolas Sarkozy est le meilleur commercial de la vidéosurveillance", affirme Jean-Marc Rosa, de la société Hymatom, qui équipe de nombreux stades et villes de France. Et pour cause : un arrêté du 26 septembre 2006 renforce les normes de qualité des systèmes, imposant un renouvellement du parc dans son ensemble ! Le Premier ministre a pour sa part demandé la généralisation de la vidéo dans les transports en commun après les incendies criminels de bus, intervenus en septembre.

La demande des pouvoirs publics, qui représenterait le quart des commandes, est surtout motivée par la lutte anti-terroriste, la gestion d’identité, la détection de métaux et le contrôle des frontières. Après les attentats de Londres et de Madrid (mars 2004), ce créneau a bondi de près de 30 %. Leader sur ce marché : l’entreprise franco-européenne EADS. L’Etat français a ainsi dépensé 200 millions d’euros en 2005 (une paille comparée aux 40 milliards des Etats-Unis, qui irriguent les sociétés militaires privées investies en Irak et les projets de biométrie).

Talon d’Achille de la sécurité intérieure, les transports. Depuis 2001, Aéroports de Paris a donc dû investir plus de 244 millions d’euros et mobiliser des milliers d’agents de sûreté, de sa propre filiale Alyzia, et surtout de sociétés multinationales comme Brinks ou Securitas. Pour ce faire, elle a multiplié par trois le montant de la taxe passagers (aujourd’hui de 8,5 euros). Enfin, la SNCF, qui consacre 2 % de son chiffre d’affaires à la sécurité, est en passe d’équiper la plupart de ses gares. Certaines de ses nouvelles rames comportent déjà des caméras embarquées. Du fait des coûts de la main-d’œuvre, l’électronique, qui pèse 35 % du marché de la sécurité privée, grignote l’écart la séparant de la surveillance humaine (43 %).

La vidéosurveillance est "désormais acceptée par l’opinion bien qu’elle soit fondamentalement attentatoire à la liberté individuelle, au droit à l’image", estime Eric Chalumeau, ancien commissaire et actuel président du cabinet de conseil Icade Suretis, dédié à "la prévention des risques liés à l’insécurité". "C’est même un argument positif, par exemple pour des maires désireux d’être réélus. Des touristes américains, effrayés par les images d’émeutes en France, m’ont même confié qu’ils seraient restés plus longtemps dans le Vieux-Lyon s’ils avaient su que la ville était vidéosurveillée ! »

Quand TF1 passait à la caisse

Sur la voie publique, difficile en effet d’échapper aux objectifs. Selon le ministère de l’Intérieur, 55 % des villes de plus de 30 000 habitants sont aujourd’hui équipées. "On dénombrerait entre 4 et 5 millions de caméras de surveillance en France", d’après Dominique Legrand, président de l’Association nationale des villes vidéo-surveillées (An2v), qui revendique une centaine d’élus membres. Objectif de la structure : mettre les adhérents en rapport avec les entreprises. Parmi elles, on trouve des sociétés de conseil comme Technocom Ingénierie, qui facture ses études plusieurs dizaines de milliers d’euros et dont le président s’appelle... Dominique Legrand. TF1, elle-même, a goûté au gâteau. En 2000, pariant sur la montée du sentiment d’insécurité, elle met la main sur la société Visiowave, spécialiste de la transmission vidéonumérique dans le domaine de la sécurité. Si la ficelle est grosse - la chaîne fait la part belle aux faits divers pendant le 20 heures et récolte des revenus pour sa filiale - elle fonctionne. Le chiffre d’affaires de la société suisse est exponentiel. Cinq ans après l’acquisition, TF1 fait la culbute et revend la petite perle à la multinationale General Electric.

"Les activités de vidéosurveillance se concentrent autour des grands électriciens, cablopérateurs, comme France Télécom et d’entreprises du BTP, comme Vinci, afin de maîtriser l’ensemble du génie civil", précise Eric Chalumeau. Sa société, une filiale de la Caisse des dépôts, conseille villes, promoteurs ou bailleurs sociaux autour de plusieurs questions : comment améliorer l’éclairage, ou réaliser des conduits d’aération en tenant compte des risques d’attentats biologiques ou chimiques... L’activité a de l’avenir, la loi de prévention de la délinquance rendra obligatoires ces études de sécurité publique des bâtiments.

"Nous voulons éviter de bunkériser la ville, précise Eric Chalumeau, contrairement à la tendance très forte observée dans le sud de la France (Alpes Maritimes NDLR) et proposée par certains promoteurs, qui pousse à la construction de résidences fermées et sécurisées, pour les retraités ou les golfeurs", comme les groupes Ramos et Monné Decroix.

Les entreprises font elles aussi appel aux sociétés de sécurité. Les banques et la grande distribution sont par exemple friandes de contrôles d’accès, parfois biométriques (empreintes digitales). La vidéosurveillance est censée prévenir les vols a l’étalage, mais aussi "servir des études marketing en calculant le temps passé par les clients devant telle ou telle vitrine", selon un cadre de Siemens. Les entreprises ont ainsi recours a des opérateurs comme Securitas Systems (filiale du suédois Securitas) ou Orange Business Services (France Télécom) pour traiter les images à distance. Grâce à Internet, elles peuvent repérer des "comportements anormaux" sur les images et faire intervenir des agents.

"Une révolution se profile", avance Patrick Haas : "Un centre de sécurité équipé d’une gigantesque base de stockage numérique pourra surveiller des milliers d’abonnés, connectés par Internet et les prévenir en cas d’alarme." Pour 20 euros par mois, France Télécom propose déjà ce service de télésurveillance aux particuliers. Pour rassurer les individus confrontés au "caractère de plus en plus polymorphe du risque (cybercriminalité, délinquance économique, etc.)" lié aux "développements de la mondialisation, des nouvelles technologies et de l’immigration massive", Olivier Hassid, chargé de mission au Centre d’analyse stratégique, prophétise dans le Livre blanc de la sécurité privée des "maillages public-privé". Selon lui, "ces innovations généreront un coût substantiel pour l’ensemble des institutions et nécessiteront de plus grandes synergies entre opérateurs de "mondes" différents (défense, sécurité, sécurité civile, télécommunications). De nouveaux types de fusions et acquisitions devraient donc voir le jour entre des domaines encore faiblement interconnectés."

La Cnil dans le pétrin

Une question demeure : pour prévenir les abus et préserver les libertés individuelles, quel contrôle sera-t-il fait de tous ces systèmes de surveillance ? Les nouveaux textes renforcent les commissions préfectorales. Chargées de donner leur aval aux systèmes de vidéosurveillance, elles doivent vérifier les installations et renouveler les autorisations tous les cinq ans. Quant à la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), fondée pour prévenir les croisements de fichiers, ses soucis commencent tout juste. Elle est par ainsi très sollicitée par des entreprises qui ont acheté, notamment au leader du marché européen Easydentic, des machines de reconnaissance des empreintes digitales. Ces sociétés conservent ces données sensibles, sans savoir que de tels fichiers privés sont totalement illégaux en France. La réalité a déjà rattrapé la fiction.

ARTICLES LIES :

- Des entreprises de sécurité incontrôlées

- La France au doigt et à l’oeil


EN SAVOIR PLUS

- Le dossier de la sécurité intérieure vue par la Documentation française

- Le site (militant) de l’association Souriez, vous êtes filmés : [http://souriez.info]

- Le site de l’association des villes vidéo-surveillées (An2V)

- Concocté par l’association Privacy International, un classement des pays les plus protecteurs de l’intimité de leurs concitoyens

- Le site de la Commission nationale de l’informatique et des libertés

[1] Et auteur de l’Atlas de la sécurité 2007, dont sont extraits ces chiffres.

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