A Madrid, Todo por la praxis met le do it yourself (DIY) en chantier. Ce collectif d’architectes espagnols, mieux connu sous le sigle TXP, a été fondé en 2008. Il pratique la co-construction de mobilier urbain mobile (bancs, gradins, balançoires…) sur la place publique. Ses membres interviennent à la demande des habitants qui les sollicitent (entre quinze et vingt fois par an) pour embellir les espaces publics, tout en renforçant le lien social. Adeptes du design participatif, les membres de TXP élaborent les projets en commun, sur le terrain.
Abolitionnistes du droit d’auteur
Entre partage des savoirs et culture du « libre », l’ADN de TXP incube en ce moment au Matadero, dans les anciens abattoirs de Madrid, reconvertis en espace culturel. Ce lundi matin, le Matadero est fermé au public mais Jon, Diego et Pablo s’activent en coulisses. Le téléphone retentit : « Je regarde tes plans dans cinq minutes ! » Diego raccroche, avant de s’excuser : « Demain, on prend la route pour la Castille-et-León (dans le centre du pays), pour réinvestir un vieux cargo industriel ; la semaine d’après, on sera à Burgos (dans le nord de l’Espagne) pour travailler sur un espace sous-utilisé, et un ami à nous est en train de monter son bar à Madrid ! » Autour de l’architecte, une dizaine de chaises longues et un bureau en bois. Tous, bien sûr, signés TXP.Sur le bureau, une notice façon Ikea, décorée d’une bouille à la Anonymous. « Nous avons mis au point plusieurs manuels qui permettent de construire pas à pas des éléments de mobilier urbain. Pour nous, cela relève du partage de savoir : en fournissant une boîte à outils modulable, nous pratiquons une architecture du “ copyleft ” », explique Diego, abolitionniste du droit d’auteur. Kits de survie pour apprentis makers, les manuels de TXP sont téléchargeables sur leur site Internet. Leurs applications donnent des résultats parfois inattendus. « Un même gradin multi-usage a été utilisé dans un espace artistique et sur une place publique fréquentée par des retraités. C’est fascinant de voir les communautés d’habitants s’approprier, reproduire, améliorer ces objets », se félicite Diego. Parmi les dispositifs fétiches de TXP, on retrouve la cuisine mobile, construite à partir d’une benne à ordures ; les sièges en bois ou encore le « sound system guérilla », conçu pour donner de la voix aux revendications des citoyens.
Labo ouvert à tous les vents
Architectes du libre, les fondateurs de TXP sont avant tout des chantres de la pratique. « On travaille dans la rue, on met au point des outils avec et pour la communauté. En ce moment, nous sommes impliqués auprès d’une association de voisins dans un quartier du sud de Madrid, fortement marqué par le chômage. On construit un jardin communautaire dans un parc », précise ainsi Diego. Chez TXP, les projets sont en effet toujours dotés d’une dimension sociale. « L’important, ce n’est pas l’objet que l’on construit, mais le processus de construction. C’est de voir la communauté se construire qui nous intéresse dans le DIY », explique Jon. « Le bonheur suprême, c’est quand un boucher et un architecte participent à la construction d’un même objet ! Et nous, nous ne sommes que de simples tuteurs ! », renchérit Diego.Recoins urbains délaissés et espaces publics à redéfinir sont autant de terrains de jeu pour Todo por la praxis. « Ça nous arrive souvent d’avoir affaire à un espace qui souffre de sa réputation, en prise au trafic de drogue, par exemple. Il suffit de quelques interventions simples pour que les habitants se le réapproprient et réhabilitent le lieu », à condition, évidemment, que la population s’implique. « Tout doit venir d’elle. C’est à la communauté de décider de ce qu’elle veut, même si nous pouvons aider ses membres dans le processus de consultation et de décision. » Pour pouvoir maintenir des interventions à la portée de tous, TXP a fréquemment recours au recyclage : « On aime bien détourner des objets, notamment les “ déchets ” industriels, comme les conteneurs, mais on n’est pas des intégristes de la palette, loin de là ! », s’amuse Jon.
Et, pour mieux consigner ces pratiques qui ont fait leurs preuves, Todo por la praxis passe à la vitesse supérieure et vient de fonder son propre institut du do it yourself, le DIY Instituto. Ce tout nouveau laboratoire, ouvert à tous les vents, devrait, à l’avenir, concentrer outils et techniques de co-construction. « Nous sommes encore en recherche d’un espace et d’un modèle économique, poursuit Jon. Nous aimerions nous affranchir des financements publics avec, par exemple, une souscription annuelle de 20 euros. » En attendant, le DIY Instituto est hébergé au Matadero. Il ouvre ses portes au public deux fois par semaine, lors d’ateliers de confection de mobilier urbain et de bureau do it yourself. En toute gratuité. —
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