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2000 ans de délocalisations (suite)

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Le temps des sagas industrielles est venu. En 1867, Isaac Merritt Singer implante une usine de montage de machines à coudre en Ecosse, pays réputé pour sa main-d’œuvre peu chère. Il poursuit son ascension au Canada puis en Autriche, pays au protectionnisme notoire. Au préalable, il prend soin de perfectionner sa machine à coudre et de déposer des brevets. De son côté, Renault implante, en 1905, une première usine en Russie. Michelin se lance à l’assaut de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Espagne et même des Etats-Unis.

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Montataire (Oise). Lignes de cisaillage de l’usine sidérurgique Usinor. 1951. © Boyer / Roger-Viollet

Délocalisation commence alors à rimer avec mondialisation. Une nouvelle logique apparaît : fabriquer des usines clés en main, à proximité des lieux de consommation. "On naturalise ainsi un manque et des produits pour mieux les faire adopter", commente Denis Woronoff. En 1889, Georges Eastman Kodak s’offre ainsi le marché européen, en s’installant à Londres. La raison ? Les pellicules - matériaux très fragiles - sont difficilement transportables. Surtout, Kodak "fait passer la photo de l’usage professionnel limité, au produit de consommation grand public, grâce à la boîte noire [1] peu coûteuse", raconte Patrick Verley, historien et enseignant à l’université de Genève. Un bon moyen d’augmenter la capacité de vente. Et donc, une variante de mondialisation : il s’agit davantage d’exporter dans de nouveaux lieux de consommation, que de chercher à y produire à bas coûts.

L’après-guerre signe l’envol de la délocalisation

La Première Guerre mondiale annihile le pouvoir économique européen. A contrario, Etats-Unis, Inde et Japon prennent de l’assurance. Les lieux de fourniture des matières premières, conjuguant abondance et réduction de coût, deviennent le nouvel Eldorado de la délocalisation. Objectif : y accéder aux matières premières à moindre coût, tout en implantant sur place, dans la foulée, les activités de production, ou de raffinage dans le cas du pétrole. Une stratégie gagnante pour les compagnies qui, du même coup, "se créent des circuits d’approvisionnement réservés, en exploitant elles-mêmes les gisements de pétrole, les mines ou les plantations", développe Patrick Verley. Ainsi, la Standard Oil investit le Canada, la Roumanie, les Antilles néerlandaises, le Pérou ou encore le Mexique, où elle creuse des puits de pétrole, et commercialise les produits raffinés en Europe. Dans un tout autre domaine, l’entreprise britannique de chocolats Cadbury reprend l’idée à son compte et s’installe, dans les années 1920, à proximité des plantations de cacao - Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud.

Dans ces mêmes années, l’industrie automobile américaine teste une nouvelle stratégie marketing d’avant-garde en Europe. Ford fabrique en série les mêmes modèles dans chaque pays. Classique. Mais son concurrent US, General Motors, a le coup de génie de racheter des marques automobiles dans chaque pays, comme Vauxhall en Grande-Bretagne, "pour adapter ses produits aux habitudes de consommation locales, et ne pas heurter les nationalismes locaux", raconte Patrick Verley.

La décolonisation change aussi la donne pour la délocalisation. "On y forme de la main d’œuvre à un coût de production moindre", explique Serge Chassagne. Du pain béni pour les industriels au moment même où leurs coûts de production augmentent. Pour créer un réseau de chemin de fer, l’Empire britannique implante en Inde - son fleuron colonial - des usines sidérurgiques. Il permet aux colons "d’acheminer la jute et le coton vers l’Europe. Par la suite, des nababs indiens s’empareront de ces industries naissantes pour créer leurs propres usines", explique Serge Chassagne. De fait, en 1911, un certain Jamshetji Tata, ayant réussi dans l’industrie cotonnière et la sidérurgie, se fonde un empire, allant du thé (Tata Tea) à l’informatique (Tata Unisys). Ultime pied de nez à l’ex-colonisateur, le groupe Tata rachète, début 2000, le distributeur britannique de thé Tetley pour 400 millions de dollars - la plus grosse acquisition indienne à l’étranger.

Demain, peut-être, la relocalisation...

De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, les entreprises vont traverser des crises, mais aussi des périodes plus fastes de reprise économique. De plus en plus, elles vont rechercher la rentabilité, bouleverser leurs stratégies. Les multinationales s’implantent dans les pays en voie de développement dans les années 1960 notamment. La délocalisation se renforce dans les dernières décennies du XXe siècle. La crise du dollar après la guerre du Vietnam, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 et le fort et durable vieillissement de la population occidentale achèvent de la rendre incontournable.

Si la délocalisation apparaît souvent nécessaire, "il n’est pas exclu qu’on assiste un jour à une sorte de retour en arrière", estime Denis Woronoff. En effet, de nouvelles formes industrielles se créent en ce moment même, "des activités tertiaires s’industrialisent". Un avis que partage d’autres experts, comme Tristan Gaston-Breton : "La très haute valeur ajoutée, c’est notre chance en France. Notre avenir se jouera sur la matière grise". Peut-être bientôt, la relocalisation.

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Délocalisation et désindustrialisation : le distinguo

Petit rappel de vocabulaire sur deux termes souvent utilisés indifféremment dans le discours politique, pour évoquer la réorganisation des économies de l’ancienne industrie dans un contexte bouleversé. Leur connotation sémantique négative est évidente, révélatrice de l’inquiétude suscitée par ces phénomènes.

- Délocalisation : fermeture d’une unité de production dans un pays, suivie de sa réouverture à l’étranger. Objectif : réimporter sur le territoire national les biens produits à moindre coût, et/ou continuer à fournir les marchés d’exportation à partir de cette nouvelle implantation.

- Désindustrialisation : recul de la part de l’industrie dans l’emploi total.

[1] Il s’agit d’un sténopé, c’est-à-dire un appareil photo minimaliste, dont l’objectif est une minuscule ouverture dans une plaque métallique.

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