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Jeux vidéo : quand l’écologie se la joue en ligne
dimanche, 31 janvier 2010 / Camille Neveux

Fini le temps où il fallait tuer des méchants ou conduire plus vite que les autres. La nouvelle génération de jeux en ligne apprend à vivre sans pétrole, sans OGM ou à réduire sa facture d’électricité. Plongée dans le « serious gaming ».

Ils vivent dans des gratte-ciel équipés de chauffe-eau solaires. Déposent leurs ordures dans des décharges alimentées au biogaz. Prennent l’avion dans des aéroports où tous les employés sont incollables en écogestes. Hurlent dans des stades de foot éclairés à l’énergie solaire. Mais où donc vivent ces heureux habitants ? A Clim City, ville de 100 000 habitants… et théâtre du jeu en ligne du même nom lancé en 2008 par Cap Sciences, le centre de culture scientifique d’Aquitaine.

Votre mission, si vous l’acceptez : améliorer la qualité de vie de cette cité virtuelle en réduisant les gaz à effet de serre de 75 %, la consommation d’énergie de 40 % et augmenter la part des énergies renouvelables de 60 %… Tout cela en cinquante ans maximum ! Ce serious game ou jeu vidéo « sérieux » – qui associe au jeu une dimension utilitaire, politique ou écologique – cartonne sur la Toile depuis sa création, comme beaucoup d’autres spécimens du genre. Depuis 2002, date du lancement d’America’s Army, premier jeu fondé aux Etats-Unis pour promouvoir l’armée américaine, le secteur explose. Vous voulez sauver le monde de crises climatiques graves ? Foncez sur le jeu Superstruct Game, conçu par la papesse du genre, Jane McGonigal, ou sur WeAtheR, développé par Greenpeace.

Déforestation et écogestes

Vous préférez vous glisser dans la peau d’un agriculteur qui développe ses cultures sans OGM ? Optez pour Profit Seed. Ou tout simplement apprendre les gestes de base pour faire des économies d’énergie dans la maison ? Cliquez sur le serious game de l’agence gouvernementale québécoise, Energuy… Le hic : pour jouer, il faut maîtriser quelques rudiments d’anglais, la plupart de ces jeux étant développés aux Etats-Unis. « La France a encore du mal avec la notion de jeu, on considère que jouer n’est pas sérieux, analyse Julian Alvarez, chercheur et consultant, spécialiste des serious games. Outre-Atlantique, le gouvernement et l’armée promeuvent ces jeux à coups de budgets de plusieurs millions d’euros, contre 500 000 euros au maximum en France. » En mai 2009, Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’Economie numérique, a initié un appel à projets doté d’une enveloppe de 20 millions d’euros. Changera-t-il la donne ? « Le gouvernement a envoyé un vrai signal en accordant du crédit à ce secteur », s’enthousiasme Julian Alvarez. Et notamment dans le secteur de l’écologie, « valeur montante des serious games ». « Les développeurs ont compris que l’environnement était une thématique importante et à la mode », analyse le président du Syndicat national du jeu vidéo, Julien Villedieu.

Créés par des amateurs éclairés pour presque rien, ou par des associations et institutions – comme l’Ademe et son jeu Ecoville – avec un budget compris entre 2 000 et 30 000 euros, les serious games séduisent également les entreprises. Leur objectif ? Faire passer un message écologique autour de leur nom. C’est notamment le cas d’Orange, avec son jeu Hutnet Island, où le joueur doit sauver un village menacé par la déforestation, Starbucks avec Planet Green Game, ou encore IBM avec PowerUp. Bien moins rasoir qu’une conférence et bien plus efficace que des affichettes laissées à l’abandon, le serious game sert aussi à promouvoir les écogestes auprès des salariés. C’est notamment le cas chez Total, Schneider Electric ou Brico Dépôt. Pierre-Guy Gruber, responsable développement durable de cette enseigne de bricolage, a installé, à la mi-novembre 2009, un jeu sur l’intranet de l’entreprise : les salariés se mettent en scène dans un ersatz de magasin pour apprendre à trier virtuellement les déchets, à économiser l’eau, à baisser le chauffage… « Nous devons réaliser 10 % de réduction d’énergie et d’eau et minimum 75 % de nos déchets triés fin 2012, explique Pierre-Guy Gruber. L’e-learning permet d’informer nos 6 000 salariés sur ces objectifs. » Une manière ludique de « prévenir » dès aujourd’hui l’arrivée de la taxe carbone…

« Appâter le chaland »

Mais tous les jeux se valent-ils ? « Les serious games servent parfois à appâter le chaland avec une approche écologique, mais derrière, c’est la stratégie marketing d’une marque qui est en marche », prévient Julian Alvarez. Certains demandent à l’utilisateur son e-mail pour pouvoir jouer, adresse qui atterrit dans un fichier publicitaire. D’autres, comme l’entreprise Chevron, arrivent même à faire passer, sous couvert d’écologie, un message tout autre. « La conclusion du jeu développé par ce pétrolier est qu’on ne peut s’en sortir économiquement sans or noir, dénonce Julian Alvarez. Cela s’apparente à du greenwashing. » Pour jouer sérieusement à un serious game, un conseil : se renseigner sur son financeur avant de cliquer ! —

VERT, SERIEUX ET LUDIQUE

Clim city

Une ville à faire évoluer vers moins de gaz à effet de serre : la version écolo de Sim City.

Superstruct

En 2019, la Terre est menacée de toutes parts… Ambitieux et multi-joueurs. En anglais.

WeAtheR

Luttez contre le changement climatique : un jeu en anglais ou en portugais, signé Greenpeace.

Profit Seed

Eloignez de votre champ les graines d’OGM ou un avocat de l’agrobusiness vous poursuivra. En anglais.

Energuy

Un homme, un garage et des objets qui font économiser de l’énergie à trouver.

Ecoville

24 heures dans la peau d’un enfant qui doit accomplir des écogestes. Un jeu de l’Ademe.

Hutnet Island

Sauvez, avec Orange, une île de la déforestation. En anglais.

PowerUp

La consommation d’énergie explose et le climat s’affole sur la planète Helios. Mais tout n’est pas perdu… Un jeu développé par IBM. En anglais.

Photo : DR