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La démocratie en entreprise, ça marche ?
dimanche, 27 décembre 2009 / Anne Dhoquois

Consultations publiques, prises de décisions collectives, négociations… Des mots synonymes de réunions interminables et de perte de temps pour nombre d’entrepreneurs. Pourtant, certains y trouvent leur compte. Et même des bénéfices.

Chez McDonald’s, « venez comme vous êtes », assène la publicité. Mais si vous faites preuve d’incivilité, le clown verra rouge. Le fast-food ne supporte plus de voir les alentours de ses magasins criblés d’emballages, cartons d’Happy Meal et de Royal-O-Fish ou verres plastifiés de Sundae. L’entreprise qui butait depuis des années sur ce problème a fini par opter pour la « concertation des parties prenantes ». Cette dernière a rassemblé des cadres de l’entreprise, des clients, des fabricants d’emballages, des associations, des agents municipaux… Et la recette a fonctionné ! Des emballages plus compacts, de nouveaux emplacements de poubelles, une campagne de communication spécifique auprès des clients : l’opération, d’abord testée dans deux villes, est désormais en phase de déploiement.

« Nous avons réglé le problème une bonne fois pour toutes. Et amélioré nos rapports avec les communes ainsi que notre image », commente Delphine Smagghe, directrice environnement et développement durable du géant de la restauration rapide. Didier Livio, patron de Synergence, la société de conseil en développement durable organisatrice de la concertation, souligne le caractère exceptionnel de cette démarche en France : « Globalement, on n’a pas franchi dans l’Hexagone le cap de la négociation apaisée. Elle n’est pas admise comme nécessaire, comme une condition de la réussite. Or, la complexité des problèmes fait qu’au sein d’une entreprise, aucun acteur ne peut avoir à lui seul le bon point de vue, y compris le directeur général. La seule manière de traiter la complexité, c’est la coopération même si ce n’est pas encore admis par la majorité des dirigeants. »

La Société coopérative de production (Scop) Ardelaine – 43 salariés, 1,66 million d’euros de chiffre d’affaires – tond, carde, file et tricote la laine d’Ardèche pour en faire des vêtements, des matelas, des couettes et des oreillers. Si la coopération est inscrite dans les statuts des Scop, cela ne fait pas tout. Béatrice Barras, directrice générale, explique : « La coopération, c’est surtout un état d’esprit, une démarche globale voulue par les fondateurs de la Scop. On favorise la polyvalence entre les postes, la transparence, la formation interne, l’égalité salariale. Résultat : notre entreprise est solide et saine, elle embauche et investit. C’est une réussite et les clients le perçoivent. »

Le consultant et le pédégé

La démocratie participative crée-t-elle nécessairement des bénéfices pour l’entreprise ? Pour Jean-Pierre Tiffon, pas de doute. Consultant indépendant en concertation et débat public, il a beaucoup travaillé pour des entreprises et affirme que « d’un point de vue économique, la participation est rentable ». Pour appuyer ses propos, il relate la mission que GDF lui a confiée en 1997. A l’époque, il devait mettre en place un dialogue interne entre salariés et dirigeants. Objectifs : apporter des réponses aux questions sur l’ouverture du marché du gaz et mener une réflexion collective sur l’évolution de l’entreprise. Selon lui, même si les résultats obtenus sont difficiles à chiffrer, « la démarche a eu des effets sur le long terme, créant un climat de confiance fort et permettant de bien négocier les mutations importantes qu’a connues GDF depuis lors. Or, gérer les crises, ça coûte cher ».

Difficile à chiffrer donc… quoique ! Sylvain Breuzard, pédégé de Norsys, entreprise de services informatiques de 200 salariés, et ancien président du Centre des jeunes dirigeants, a mis du dialogue et de la démarche participative dans les gènes de sa société. Il a ainsi créé un conseil d’entreprise, réunion des membres du comité d’entreprise, des délégués du personnel, de la direction, et parfois de salariés. « L’idée consiste à traiter ensemble tous les sujets concernant l’entreprise afin de créer de l’intelligence collective et travailler dans la transparence. En 2005, par exemple, nous avons bâti de façon collective notre stratégie de diversification des recrutements, en mettant en place, par exemple, le CV anonyme. » Et pour Sylvain Breuzard, la démarche a une incidence sur la vie de l’entreprise : « Aujourd’hui, les salariés dans leur ensemble ne trouvent plus de sens à leur vie professionnelle. Il faut répondre à cette inquiétude et c’est ce que nous essayons de faire notamment via des démarches participatives. Ainsi, dans le secteur de l’informatique où le turnover est très fort – 20 % en 2008 –, il est chez nous de l’ordre de seulement 8 %. C’est autant de recrutements en moins. Et ce sont donc des économies car recruter en période de tension coûte cher. Et puis ce faible turnover a un autre avantage : la fidélisation des clients. »

Une histoire d’Inuits

Chez Norsys, la participation a été organisée, mais selon Didier Livio, elle se joue aussi – et surtout – dans la posture managériale. « C’est l’attitude des cadres qui rend la coopération naturelle et efficace », précise-t-il. Au Japon, cela porte un nom : le « ringi ». En clair, « le cycle de prises de décisions consensuelles ». « Le modèle japonais permet à des individualités de s’exprimer dans un processus qui préserve une certaine harmonie. La décision au sein de l’entreprise se prend dans le consensus impliquant toutes les personnes ayant une plus-value à apporter dans la décision à prendre », explique Sébastien Lodi, auteur d’une thèse abordant cette thématique.

Très ancré dans la culture nationale et très lié au rapport spécifique des Japonais à leur entreprise, le « ringi » ne fait pas réellement d’émules en France. Pire, selon Sébastien Lodi, mal appliqué ou de façon trop normée, « il peut générer de l’immobilisme ». De fait, la participation est un art complexe, pas toujours simple à mettre en œuvre et dont le retour sur investissement est difficile à mesurer. « Vu le contexte, la démocratie participative n’est pas simple à appliquer, c’est un pari ! Pour ma part, je pense que ce processus aide les salariés à se sentir mieux. C’est ce que je tente de faire passer comme message à des confrères. Et pour qu’ils m’écoutent, il faut que mon entreprise aille aussi bien, voire mieux que la leur sur le plan financier », relate Sylvain Breuzard. L’argument économique fait donc encore mouche, mais est-ce le seul ? A cette question, Marc Hatzfeld, sociologue, rétorque par une allégorie : « Les Inuits de l’est du Canada traitent leur chien avec le fouet et la punition ; les Inuits de l’ouest traitent leur chien en les cajolant et en leur parlant. Le résultat est identique en termes de rendement, mais ceux de l’ouest dorment dans la fourrure de leurs chiens. » —

Illustration : Gianpaolo Pagni

- Groupe de réflexion « Démocratie & Entreprises »

- Les actions de démocratie participative en Poitou-Charentes

- De la pyramide aux réseaux : Récits d’une expérience de démocratie participative, Michel Hervé, Alain d’Iribarne, Elisabeth Bourguinat (éd. Autrement, 2007).