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« Contre la pollution de l’air, on ne peut pas compter sur les constructeurs »
mardi, 9 février 2016 / Amélie Mougey

Jusqu’en 2020, les voitures diesel sortant d’usine pourront émettre plus d’oxydes d’azote qu’un bus ! C’est la conséquence d’une récente décision du Parlement européen. Les associations sont furieuses.

Qu’importent les fraudes de Volkswagen, les défaillances de Renault et les rapports alarmants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les ravages de la pollution de l’air. Les charges contre les constructeurs automobiles ont beau s’accumuler, ceux-ci savent encore s’attirer la clémence des décideurs. Du moins européens. Le 3 février, le Parlement de Strasbourg a certes adopté, par 323 voix contre 217, des méthodes de tests antipollution plus exigeantes. Mais dans le même temps, il a autorisé les constructeurs à doubler les seuils maximaux de pollution pour les véhicules diesel légers sortant d’usine. Lorelei Limousin, responsable des politiques climat et transport au sein du Réseau action climat (RAC), décrypte la mesure et explique pourquoi ce vote suscite la consternation des associations.

Terra eco : Le texte voté la semaine dernière impose des tests en condition de circulation réelle. De quoi s’agit-il ?

Lorelei Limousin : Avec les tests actuels menés en laboratoire, tous les véhicules respectent la norme européenne Euro 6. Du moins sur le papier. Car ces tests ne correspondent pas à la réalité. L’écart entre les émissions officielles d’oxydes d’azote mesurées en laboratoire et les émissions réelles des véhicules en circulation est croissant. Ces dernières sont en moyenne cinq fois plus importantes que les plafonds fixés par les normes. Pour certains véhicules, comme le Renault Espace testé par une université suisse pour l’ONG Deutsche Umwelthilfe, elles sont même 25 fois supérieures. Derrière ces écarts, il y a des tricheries. La mise en place de nouveaux tests vraiment contraignants était une nécessité.

Mais dans le même temps, le niveau de contrainte a été revu à la baisse…

Oui. Le Parlement s’est laissé intimider par les constructeurs qui, en contrepartie de ces tests plus exigeants, ont réclamé une « marge de tolérance ». Les services techniques et scientifiques de la Commission européenne préconisaient de leur accorder 20% par rapport aux seuils initialement fixés. Or, la marge décidée est de 110% ! Le seuil maximal est passé de 80 mg/km à 168 mg/km. La décision finale est disproportionnée et arbitraire.

Pourquoi leur faire une telle faveur ?

Pour leur laisser le temps de s’adapter. Tel est l’argument avancé. Mais il ne tient pas ! Le seuil de 80 mg/km prévu à l’origine a été voté par le Parlement en 2007 pour entrer en vigueur en 2017 : les constructeurs avaient dix ans pour se préparer. On ne peut pas dire qu’ils aient été pris de court. D’autant que, sur le plan technique, l’exercice n’a rien d’impossible. Beaucoup de voitures neuves respectent déjà cette norme et même les véhicules lourds font plus de progrès. Avec le vote du 3 février, en 2020, une voiture diesel neuve transportant une à quatre personnes émettra plus d’oxydes d’azote qu’un bus diesel récent pouvant transporter 50 personnes !

En matière de lutte contre la pollution de l’air, la décision des députés européens constitue-t-elle un revers important ?

Oui, ce vote est très décevant. Rappelons que les véhicules diesel légers sont responsables d’au moins 40% des émissions d’oxydes d’azote en Europe, de 60% en France. Or, les oxydes d’azote sont une cause avérée de maladies respiratoires et pulmonaires. Le fait que les normes prévues initialement pour ces véhicules ne soient pas respectées à la lettre aura donc un impact important sur la santé des citoyens.

Quelles seront les conséquences de cette décision à l’échelle des Etats ?

Une telle décision rend quasiment impossible aux Etats européens de respecter les plafonds réglementaires en matière de pollution de l’air fixés pour 2020. Compte tenu des niveaux d’émissions tolérés pour les véhicules qui vont sortir d’usine d’ici là, atteindre ces objectifs suppose de redoubler d’efforts pour développer des alternatives à la voiture et diminuer son utilisation en ville. Ces solutions sont aussi souhaitables pour le climat. En clair, cette décision confirme qu’on ne peut pas compter sur les constructeurs automobiles pour lutter contre la pollution de l’air.

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