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« Mohicans », récit vérité
mardi, 29 décembre 2015 / Simon Barthélémy

De Denis Robert. Julliard, 306 pages, 19,50 euros.

« Les hommages c’est vraiment de la merde », titre le dernier numéro de la revue Schnock (1) consacrée à Choron et Cavanna, les fondateurs de Charlie Hebdo. Mais le premier anniversaire de l’attentat contre l’hebdomadaire arrive, alors autant s’y préparer. En 1960, Georges Bernier (le futur professeur Choron) et François Cavanna, respectivement colporteur et secrétaire de rédaction du mensuel Zéro, créent leur « grand génial marrant journal », Hara-Kiri. « Ce dynamiteur de bien-pensance », selon Schnock, « révolutionnera la presse en France. Les mœurs aussi ». Le journal accompagne la libération sexuelle et fait fermenter mai 1968. Hara-Kiri brocarde la religion, l’armée et l’Etat, ridiculise les hommes politiques, détourne les pubs. Il est interdit une première fois en 1961, comme le raconte le très documenté Mohicans. « Notre liberté, la liberté des journaux de ce pays, s’est gagnée dans ces batailles menées par Cavanna et Choron » contre la censure, écrit Denis Robert, journaliste et auteur de ce livre. En 1970, après le « Bal tragique à Colombey : 1 mort », Hara-Kiri Hebdo est (une troisième fois) interdit. Et ressuscite aussitôt sous le nom de Charlie Hebdo. Les années 1970 sont l’âge d’or du journal, mais l’érosion de son lectorat cause l’arrêt du titre en 1982. Dix ans après, Cabu et Philippe Val le relancent et se l’approprient. Tous les anciens encore vivants approuvent et s’embarquent dans l’aventure, sauf Choron, qui leur colle – et perd – un procès. Le capital du journal sera l’objet de plusieurs litiges, y compris au sein de la rédaction : alors que Choron et Cavanna meurent (respectivement en 2005 et 2014) quasiment sans le sou, le succès du numéro des caricatures de Mahomet a rapporté en 2008 environ 600 000 euros à Cabu et Val, actionnaires majoritaires d’un journal où ni Cavanna ni les salariés n’étaient associés.

A rebours de l’esprit anar

Denis Robert dénonce aussi la dérive éditoriale de l’hebdo dirigé par Val qui, à rebours de l’esprit anar initial, défend les interventions armées, Israël ou le projet de Constitution européenne, et vire les fortes têtes. La lutte contre l’islamisme est son ultime tête de gondole, et le reste après le départ de Val à France Inter. Pour lui, « Charlie Hebdo n’était qu’un marchepied vers une carrière de lèche-cul politique », écrit Cavanna dans une lettre, citée par Denis Robert. A-t-il délibérément poussé Charb, Cabu et les autres dans un combat qui les dépassait ? Denis Robert, lui même attaqué avec virulence par Val lors de l’affaire Clearstream, ne va pas aussi loin. Il pleure les copains et un état d’esprit mis sous l’éteignoir. —

(1) La Tengo Editions, n° 17, 176 pages, 14,50 euros.


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