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Fabrice Nicolino, franc-tireur jusqu’au bout
mardi, 29 décembre 2015 / Sonya Faure

Journaliste indépendant, cet écologiste militant a été blessé il y a un an lors de l’attentat contre Charlie Hebdo. Mais sa lutte première reste la crise climatique.

Ecouter, dans ce café de la place de la République (Paris), un homme touchant et parfois presque hésitant. Sursauter à chaque « vieux cons » et « ça me fait dégueuler » dégainés sans prévenir. Fabrice Nicolino a un sourire franc et doux, qui vient comme excuser les saillies brusques et colériques qu’il a aussi. Fabrice Nicolino a 60 ans. Sa vie est traversée par la violence, et la béquille qui l’accompagne en est le stigmate. Aberration statistique, le journaliste et militant écologiste a réchappé à deux attentats. Le dernier, c’était le 7 janvier 2015, quand les frères Kouachi ont défouraillé à Charlie Hebdo, où il tient ses chroniques depuis 2009. Il prend plusieurs balles dans les jambes, subit moult opérations. Mais il est vivant. Quand les balles des kalachnikovs ont fusé, « je me suis immédiatement jeté à terre alors que mes camarades ont eu le réflexe de se redresser. L’expérience de 1985 m’a peut-être sauvé ».

1985, c’est le premier attentat dont il est victime, dans une salle du cinéma Rivoli Beaubourg, à Paris, lors du Festival international du film juif. « A l’époque, j’étais obsédé par le fascisme, les systèmes concentrationnaires. Ça ne m’a pas apparu anormal d’être victime de cet attentat. J’ai développé en moi une telle haine de tout ce qui était raciste, qu’un truc antisémite, c’est bizarre de dire ça, mais c’était pour moi. » Et voilà les tueries le 13 novembre. « Solidarité absolue et définitive avec les victimes et leurs proches. Il s’agit d’un incendie criminel qu’il faut circonscrire. A regarder les télévisions, on a l’impression qu’une dizaine de connards mettent à genoux un pays de 60 millions d’habitants : ce n’est pas digne. Il faut garder son sang-froid. Ne pas se laisser envahir par le magma d’images épouvantables qui passent en boucle sur les chaînes d’info, comme s’il y avait une joie souterraine à montrer ces victimes et ces bourreaux. On dirait que Hollande (président de la République, ndlr) et Valls (Premier ministre, ndlr) retrouvent le plaisir de diriger un pays avec une armée et un état d’urgence. Et pourquoi avoir interdit les manifestations pour la COP21 (1) quand, le 11 janvier, on était parvenu à sécuriser une manifestation immense avec les plus grands chefs d’Etat ? »

« Je m’en fous, du blasphème ! »

L’attaque de Charlie ne l’a pas fait dévier de son « obsession ». « La crise climatique est la mère de toutes les batailles, de quoi pourrais-je parler d’autre ? Du blasphème ? Mais je m’en fous, du blasphème ! » Il continue à dénoncer le trop-plein de viande ou la mainmise d’Alstom, EDF ou Areva sur le marché de l’éolien dans ses chroniques de Charlie Hebdo et de La Croix ou sur son blog, Planète sans visa. Journaliste indépendant, il n’a jamais pu être bien longtemps rattaché à une rédaction : « Rester en place huit heures, dépendre de quelqu’un, ce n’est pas possible. » Il a sorti cet automne un livre, Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture (Les Echappés), où il tire au napalm sur les abattoirs industriels, l’insecticide DDT, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Il s’est attiré l’inimitié de certains écolos après son livre Qui a tué l’écologie ? (Les Liens qui libèrent, 2011) où il dérouillait les Verts, le WWF, Greenpeace et le Grenelle de l’environnement. « Voilà des gens qui répètent que la crise écologique est une urgence et qui agissent comme s’ils avaient deux mille ans devant eux. » On le traite d’imprécateur. « Je suis minoritaire chez les minoritaires. » Catastrophiste ? « Je ne pense pas que l’homme va disparaître. Je crois à quelque chose de pire. Les sociétés humaines risquent de se disloquer. C’est la tendance la plus forte ces dernières années : le retour de la guerre. Je suis démocrate, mais je vois que les institutions auxquelles nous croyions tous, qui étaient faites pour une période de paix et de croissance, ne sont pas adaptées pour répondre à la crise alimentaire et aux grandes migrations. Elles mourront sous les coups de boutoir de la crise climatique si un grand souffle, comme celui de 1789, ne vient pas. »

Le militant qui attendait la révolution sociale

Fabrice Nicolino ne vote plus, n’est pas de gauche et ne sera jamais à droite. « L’écologie, c’est un choc anthropologique. C’est la découverte terrible des limites de l’aventure humaine. Les Verts ne l’entendent pas, Mélenchon me donne envie de dégueuler, les partis politiques sont dérisoires et pathétiques. » Pourtant, le journaliste n’était pas franchement destiné à être un militant écologiste. Il est né dans une famille de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Son père, graveur-estampeur, milite au Parti communiste. « Stalinien, hélas. Il est mort quand j’étais petit et nous sommes tombés dans la grande pauvreté. Mais il m’a transmis son incandescence. » Fabrice Nicolino est d’abord un militant d’extrême gauche, qui attend la révolution sociale et se souvient des bastons contre l’extrême droite. Dans son enfance, il y a aussi tante Thérèse. « Cette vieille bique était fabuleuse. Elle parlait aux animaux. » Son HLM parisien est une ménagerie. Un jour, elle ramène un agneau qu’elle a racheté au boucher pour ne pas qu’il l’égorge. Dans ses toilettes minuscules vit un faisan. « Je me revois, gamin, tenter de le contourner pour pisser, j’étais mort de trouille. » 150 oiseaux, 3 fennecs, 5 ou 6 chats… « Elle donnait des coups de pébroc aux agents de la mairie de Paris qui attrapaient les pigeons dans leur filet. »

Fabrice Nicolino découvre l’écologie à l’automne 1971, dans le magazine Actuel. Il rejoint le Larzac en 1972. « Au départ, c’était l’angle antimilitariste qui m’attirait. La première fois que je suis allé sur ces plateaux je me souviens m’être dit qu’il n’y avait rien. » Il y est retourné maintes fois et les trouve aujourd’hui « somptueux ». Entre-temps il y a eu Creys-Malville en 1977, Plogoff en 1981 (2) et, surtout, la mobilisation des habitants du Puy-en-Velay (Haute-Loire) contre les projets de barrage sur les gorges de la Loire. « J’y ai découvert une manière de lutter éloignée de tout ce que j’avais connu : des gens de droite, de gauche, des écolos mais aussi des riens du tout. Le refus profond d’une population attachée à cet endroit sauvage. » Il y aura aussi Notre-Dame-des-Landes et la lutte contre le gaz de schiste. Il déteste les Landes. « Ces amas d’arbres serrés les uns contre les autres, où la lumière n’atteint pas le sol. C’est la mort », écrit-il dans sa Lettre à un paysan. Il aime les montagnes corses, les marais de Brouage (Charente-Maritime), la forêt d’Iraty, dans le Pays basque. Lui qui marchait, seul, si souvent, en est pour un temps privé.

« La vitesse, je la considère comme un ennemi. » Il a un téléphone portable depuis deux mois et c’est assez drôle de le voir le toucher avec dégoût. « Le portable, c’est pour les trous du cul. » Il habite une maison dans l’ouest de la France face à la mer. Il la loue. Il ne possède rien à part ses livres (des milliers). Pas même son poste de musique – celui de la maison est à sa compagne. Pourtant il aime chanter, le jazz, la musique latino. Il dévore Dumas, Stendhal, Cervantes, Conrad et Auster. Il écrit aussi des livres pour enfants – il en a écrit plusieurs. L’un d’eux raconte Thérèse, son agneau et son faisan (3). —

(1) Les marches pour le climat des 29 novembre et 12 décembre ont été interdites par le gouvernement quelques jours après les attentats.

(2) Rassemblements contre des centrales nucléaires, en Isère et dans le Finistère.

(3) Ma Tata Thérèse, illustré par Catherine Meurisse (Sarbacane, 2011).


1950 Naissance à Paris

1988 Contribue au journal Politis

2009 Publie Bidoche (Les Liens qui libèrent)

Janvier 2015 Blessé lors de l’attaque contre Charlie Hebdo

Octobre 2015 Publication de Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture (Les Echappés)