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COP21 : les 30 heures de sprint final, côté citoyens
lundi, 14 décembre 2015 / Amélie Mougey

Pendant les dernières négociations, ce samedi, des milliers de personnes tentaient de reprendre la parole : pas de manifestation en bonne et due forme, mais un marathon d’actions. « Terra eco » a suivi cette course effrénée.

Pour les citoyens, il s’agissait « d’avoir le dernier mot » de la COP21. Jusqu’au 13 novembre, on rêvait de battre New York et ses 300 000 personnes marchant pour le climat en septembre 2014. Après les attentats, on ne savait plus. Comment faire quand les rassemblements ne sont plus autorisés ? Improviser et inventer un panel d’actions qui fassent de ce samedi 12 décembre – le « D12 » – l’apogée de la mobilisation. « On vous a concocté un menu. Pour ceux qui voudraient tout faire, on vous promet un marathon », lançait Juliette Rousseau, présidente de la Coalition climat 21 lors d’une assemblée générale quelques jours plus tôt. Défi relevé.

Vendredi 11 décembre, 13 heures, au Centquatre

Les grands événements font perdre la notion du temps. Le fameux « D12 » a donc commencé le vendredi 11. A 13 heures, 15 heures puis 18 heures, des centaines de militants écoutent les instructions pour le lendemain.



Les francophones sont réunis à la Bourse de travail, les internationaux au Centquatre. Là, les points de rendez-vous, restés top secret jusqu’alors, sont révélés. On attrape un stylo, on déploie des cartes de Paris, on passe un coup de stabilo sur l’avenue de la Grande-Armée.



Un sentiment de clandestinité flotte dans l’assemblée : à ce stade, les mobilisations n’ont pas été autorisées. Sur la scène, un orateur fait la démonstration qu’il faut coûte que coûte se rassembler. « Que les femmes qui ont déjà porté un pantalon se lèvent, que ceux qui font parti d’un syndicat se lèvent, que ceux qui ont déjà utilisé un moyen de contraception se lèvent… » A la fin, tout le monde est debout. « Et vous savez quel est votre point commun ? Vos vies sont le fruit de luttes sociales. » Vu comme ça… Allons braver la loi. Sur l’estrade, Isabelle Frémeaux, du laboratoire d’imagination insurrectionnelle, rappelle le consensus de la coalition : « Pas de violence, pas de dégradations de biens, dispersion dès la première sommation ». Les internationaux apprennent à prononcer « Je n’ai rien à déclarer », chacun photographie le mur sur lequel sont affichés les numéros des avocats.



Samedi 12 décembre, 8 heures 45, Châtelet

L’heure de retrouver les « Coordinateurs de lettres ». Leur mission consiste à aider des milliers de personnes, réparties en petites groupes, à se placer dans Paris pour écrire « Climate Justice for Peace ». Quelques jours plus tôt, Les Amis de la Terre, ONG à l’initiative de l’action, recrutaient tous ceux qui étaient prêts à se lever tôt. Ce matin, tous sont au rendez-vous : des dizaines de personnes – il en faut au moins deux par lettre –, membres d’Oxfam, de Greenpeace, des Engraineurs et d’autres organisations participantes. Dans les locaux de CCFD-Terre Solidaire, devenu quartier général de l’action, ils récupèrent banderoles, pochoirs et mégaphones pour rejoindre l’un des 22 points de rassemblement.

9 heures 30, place des Vosges

Direction le point plus proche. Ç’aurait pu être Pigalle ou place d’Italie : le message doit s’étendre d’un bout à l’autre de Paris. Petit à petit, un groupe s’étoffe autour Gabriel, Victoire et Coline, les trois coordinateurs.



On parle anglais, français, allemand et espagnol. « On est maintenant plus d’une centaine, on va former les groupes », lance Victoire. Perchée sur un banc, elle demande à l’assemblée de se diviser : ceux qui ont un smartphone d’un côté, ceux qui n’en ont pas de l’autre. Le score est de 76 contre 40. « Les old school sont en minorité », s’amuse Gabriel. L’un d’eux, Quentin, quinquagénaire londonien, approuve néanmoins la méthode : « Quand vous ne pouvez pas marcher, une mobilisation digitale est la deuxième meilleure option. » Viennent les consignes : prendre place sur un canevas prédéfini, s’y photographier puis partager sur les réseaux sociaux. Victoire et Coline enfourchent leurs vélos pour voler au secours des égarés. « On va galérer mais on va s’amuser », promet Gabriel au mégaphone avant de rentrer au QG.

10 heures 45, boulevard Richard-Lenoir

Le smartphone de Carole (au centre) a mené l’un des groupes jusqu’à son premier point de géolocalisation.



Interrogé sur le procédé, Tom (à gauche) , membre de l’association espagnole Ecologistas en Accion, est partagé : « L’utilisation de smartphones soulève plusieurs questions : l’extraction des terres rares et l’usage des data centers très énergivores… A titre individuel, mon smartphone est ma plus grosse incohérence. Mais à l’échelle collective, la force de frappe du numérique est incroyable. Ce serait une erreur que de s’en priver . » Carole vient donc d’ouvrir l’application Climate Justice Peace et s’apprête à se géolocaliser. En bas de l’écran, des points verts signalent que d’autres l’ont devancée.

11 heures 15, locaux de CCFD - Terre Solidaire, Châtelet

Retour au QG pour voir s’afficher le résultat en grand. Les geeks de chaque association coordonnent l’opération.



Silence de plomb derrière les ordinateurs. « On a trop de monde, c’est super, mais le site sature », explique Gabriel, revenu de place des Vosges. Fin du suspense trente minutes plus tard :





Midi cinq, métro Argentine, avenue de la Grande-Armée

Mode opératoire : venir en binômes attendre le coup de corne de brume. Converger alors vers des porteurs de parapluies et dégainer ses accessoires rouges. L’opération « Lignes rouges » a, elle aussi, été concoctée pour jouer avec « les zones d’ombres de la législation ». Mais le rassemblement a finalement été autorisé au dernier moment. La consigne des binômes ne tient plus. Une autre est respectée : au deuxième coup de corne, la foule lève une fleur rouge et entame deux minutes de silence, en hommage aux victimes du climat.



Symboliquement toujours, 2 km de rubans apportés par les militants belges s’étendent de l’Arc de triomphe à Porte Maillot. « A une extrémité, la tombe du soldat inconnu est un hommage aux morts, en l’occurrence les victimes du climat ; de l’autre côté, la Défense représente le système responsable du problème », expliquaient la veille les organisateurs. « Ce rendez-vous était très militant, il ne se voulait pas consensuel », expliquera ensuite Guillaume Durin, porte-parole d’Alternatiba. Après avoir croisé des antinucléaires très remontés, de jeunes Anglais bardés de pins « Divest » et un homme venu du Loiret en combinaison de plongée avec une pancarte « réchauffement climatique : apprenons à nager », il est temps de reprendre le métro. Non sans contrariétés. « A la demande de la police, la station Charles-de-Gaulle-Etoile est fermée », répète la voix de la RATP. C’est pourtant à cette station qu’il faut changer pour rejoindre le champ de Mars. Pour trouver le parcours alternatif, laissons-nous guider par les bonnets, poussettes, bandanas, vestes et parapluies rouges, en pariant sur une destination commune.

13 heures 15, Trocadéro

Pari gagné. Là, devant la tour Eiffel, les organisateurs de l’action suivante font face aux caméras. Dans l’ordre, on trouve des porte-paroles des Amis de la Terre, de Via Campesina, d’Alternatiba et de la Ligue des droits de l’homme. « Nous sommes là car nous voyons mal comment défendre les droits de l’homme si l’humanité a disparu », explique Jean-Pierre Dubois, son président d’honneur qui s’apprête à descendre sur le champ de Mars pour prendre ses semblables par le bras.

14 h eures, champ de Mars

Guidée par les 700 bénévoles recrutés en moins d’une semaine, la foule atterrit sur un point de sécurité. Là, entre des barrières formant des entonnoirs, des CRS ronchonnent à chaque tentative de photo et procèdent à une fouille minutieuse. Des Allemands venus vêtus en ours polaires sont contraints d’ouvrir leurs combinaisons.



14 heures 30

On se prend par la main pour former plus de 18 chaînes humaines en scandant « We are nature defending itself » (Nous sommes la nature qui se défend). « Ce rendez-vous-là se veut le plus inclusif », reprend Guillaume Durin, d’Alternatiba. De fait, des gens de tous les âges et de toutes les nationalités se donnent la main. « Si on regarde les choses différemment, ici, on est surtout entre blancs de classe moyenne bien informés », souligne Farid, employé d’un laboratoire d’océanographie.



15 heures 30

La foule, toujours bardée de rouge, est galvanisée par le refrain « On lâche rien » du groupe HK et les Saltimbanks. Le moment est idéal pour Jon Palais, porte parole d’Alternatiba, et Naomi Klein d’appeler à des actions massive de désobéissance civile. « C’est à nous de faire ce que les dirigeants ne font pas : nous soulever contre les pollueurs en bloquant leurs projets », lance l’essayiste canadienne.

16 heures 30



Les ONG demandent à la foule de se disperser. Elles-mêmes n’y croient pas. Malgré l’état d’urgence, 20 000 personnes se sont rassemblées au pied de la tour Eiffel le samedi 12 décembre, jour de clôture de la COP21. « Il ne pouvait y avoir une COP21 sans expression de la société civile », tranchait Malika Peyraut, des Amis de la Terre, le matin même. « Ce rassemblement, l’Etat français nous avait dit : “Vous ne pourrez pas le faire”. Nous l’avons fait », fanfaronne Dipti Bhatnagar, sa collègue venue du Mozambique.

17 heures 30, Le Bourget

Retour à la COP21. Les allées sont désertes, les fontaines à eau sont à sec. Seul le Media center est bondé. Le suspense est palpable, la prise de parole attendue de Laurent Fabius prend du retard. On parle de « réel problème sur le texte », d’un « shall » qui contrarie les Américains. Deux heures avant que l’accord de Paris soit adopté, alors que les citoyens repliaient leurs banderoles, quelques négociateurs n’avaient pas dit leur dernier mot.

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