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COP21 : pourquoi le Sud ne hausse pas le ton
vendredi, 11 décembre 2015 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

, / David Solon /

Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco

On les attendait au tournant. Ils sont bien silencieux. Pourquoi les Etats les plus vulnérables au changement climatique et les pays en développement – dont les cercles se recoupent souvent – ne tapent-ils pas du poing sur la table ?

Ils s’embrassent, se congratulent, remercient la présidence française. Le comité de Paris, instance au cœur de laquelle les ministres des 195 pays se réunissent chaque soir, est troublant, tant l’éloge est présent et la bienveillance palpable. Mais pourquoi tant d’amour ? Pour un négociateur cité dans le « Bulletin des Négociations de la Terre » – qui tient un registre des négociations heure après heure – , l’humeur positive est le résultat du fait que la présidence a « impliqué les ministres tôt et souvent dans le processus, ce qui a renforcé les relations et facilité des conversations constructives sur les points de friction ». « Le fait qu’on ait, comme président de la COP, un ministre des Affaires étrangères du P5 (les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, ndlr), que la dernière grosse négociation de Fabius soit l’accord avec l’Iran (1), ça aide. Il est plus puissant que n’importe qui d’autre ici. Il respire l’autorité », soutient Michael Jacobs, expert pour la New Climate Economy et ex-conseiller spécial de Gordon Brown à la COP de Copenhague, en 2009.

« La présidence française a trouvé le bon équilibre entre une négociation efficace qui se fait en petits groupes et en bilatérales et les négociations inclusives où tout le monde peut parler. C’est rusé et c’est comme ça qu’il faut faire. C’est ainsi qu’hier soir (mercredi, ndlr), en plénière, 54 pays ont pris la parole chacun leur tour pendant une heure et demie. Personne n’a rien dit de nouveau. Mais il était important que tout le monde ait le droit de parler », explique Michael Jacobs. Même son de cloche chez Monica Araya, ancienne négociatrice pour le Costa Rica et désormais directrice du cabinet d’expertise climat Nivela : « Il y a encore trois mois, tout était tendu, mais le gros travail diplomatique de la France a payé. Les petits pays du Sud, comme les autres, se sont sentis à la fois écoutés et investis. »

Une solution à court terme pour des dirigeants contraints par le calendrier électoral

« La présidence française a anticipé tous les sursauts, tous les éclats possibles, a abondé Célia Gautier, chargée de mission au Réseau Action Climat (RAC) lors d’une conférence de presse. Ils ont travaillé pour que les Etats africains s’y retrouvent. Or, avec les annonces faites en marge de la COP, ils s’y retrouvent. » De multiples promesses de financement ont en effet été faites pour remplir le fonds verts, dont – parmi les plus spectaculaires – l’annonce, ce mercredi, par le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, du doublement des financements publics américains pour l’adaptation d’ici à 2020. Avec ça dans leur besace, négociateurs et ministres pourront rentrer chez eux la tête haute et offrir à leurs chefs d’Etat une solution à court terme, essentielle pour des dirigeants contraints par un calendrier électoral précis.

Mais ce n’est pas tout. Ce jeudi, les pays les plus vulnérables semblaient sur le point de remporter une bataille : le chiffre clé de 1,5°C comme seuil à ne pas dépasser pourrait bel et bien apparaître dans l’accord. « 1,5°C s’est attiré beaucoup plus de soutiens que ce que j’aurais imaginé. Avoir les Etats-Unis hier au milieu d’un panel de pays qui appellent au respect de ce seuil, c’est assez remarquable », souligne Michael Jacobs, en référence à une coalition inattendue tissée autour des Etats-Unis, mais aussi de Tuvalu, du Mexique ou encore des Iles Marshall et de l’Union européenne ! « Le “silence” du Sud est bien davantage qu’une question technique ou climatique, précise Monica Araya. Ce 1,5°C, c’est une question de morale. Nous sommes vulnérables, d’accord, mais pas incapables. Et les discours de Hollande ou de Obama en ouverture de la COP, ont répondu à cette exigence morale. Le monde, le Nord, enfin, nous écoute ! »

Au cœur de l’accord aussi, il y aura – c’est désormais certain – la reconnaissance des pertes et dommages – tout ce que l’atténuation et l’adaptation n’ont pas réussi à éviter. Une belle avancée là encore : « Il y a deux ans, les Etats-Unis cherchaient désespérément à éviter toute mention de “pertes et dommages”. Ils sont arrivés à la conférence en disant : “Nous ne voulons par les pertes et dommages dans l’accord, mais ça pourrait être dans les décisions”. Maintenant, c’est dans le texte. Simplement parce que les Etats-Unis ont compris qu’il n’y aurait pas d’accord sans ça », souligne Michael Jacobs. « On ne peut pas nier la puissance des impacts des catastrophes naturelles à travers le monde. Nous sommes ici, à Paris, bien loin de l’arrogance de Copenhague », abonde la Costaricienne, qui partage son temps entre la Norvège et San José.

« Aucun de ces chiffres ne garantit qu’on tienne l’objectif »

Les pays du Sud sont globalement contents. Mais le diable, très classiquement, se cache dans les détails : « L’ambigüité est ce que tout le monde recherche dans des négociations », analyse Michael Jacobs. « Le paradoxe de cet accord, c’est qu’il va fixer un objectif et qu’il laissera aux pays la liberté de faire ce qu’ils veulent pour l’atteindre. Il y aura toujours un fossé entre l’objectif décidé en haut (au niveau onusien, ndlr) et les stratégies déployées par le bas (par les pays, ndlr). Mais l’objectif met de la pression sur le procédé « bottom-up ». C’est comme ça que ça marche. Aucun de ces chiffres ne garantit qu’on tienne l’objectif puisque les contributions des pays sont volontaires. Il y a simplement de la pression. Reste à la société civile et au monde des affaires de l’exercer. »

Sauf que le flou, faute d’être vertueux, peut conduire à l’inaction, soulignent les ONG, qui réclament donc plus de clarté. Du financement pré-2020 ? C’est bien, mais quid des engagements après l’entrée en vigueur de l’accord ? 1,5°C ? « On s’en fiche qu’ils actent le seuil de 1,5°C. S’il n’y a rien derrière, aucun moyen pour y arriver, c’est une incantation. C’est pire qu’un échec. Une arnaque pure », s’agace Alix Mazounie, du RAC, au sortir d’une conférence de presse. De toute cette bienveillance, les ONG concluent surtout à la mollesse : « C’est pour ça qu’on est en colère contre tous les Etats. Soit parce qu’ils n’ont pas avancé, soit parce qu’ils n’ont pas râlé assez », glisse l’experte.