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1,5°C : « Quelle est la fonction d’un chiffre intenable ? »
mercredi, 9 décembre 2015 / Cécile Cazenave

Dominique Bourg est philosophe et vice-président de la Fondation Nicolas Hulot. Présent à la COP21, il ne s’enthousiasme pas devant le nouveau chiffre de référence de réchauffement global de la planète. Explications.

Terra eco : Vous êtes sceptique sur l’ambition de 1,5°C qui semble dominer désormais les négociations. Pourquoi ?

Dominique Bourg : Pour le moment, seul ce chiffre est ambitieux. Et il l’est jusqu’à l’absurde… parce qu’il n’est pas tenable. Quelle est la fonction d’un chiffre intenable ? Ce qui m’inquiète, c’est que le politique est certes généralement dans le symbolique, mais là, c’est tellement gros que je ne peux pas ne pas m’interroger. Les politiques sont fascinés par l’idée qu’ils se font de leur propre rôle et auront tendance à majorer les choses. Pour eux, ce chiffre a un sens et va déboucher sur quelque chose. Je ne dis pas que ça ne va déboucher sur rien, mais compte tenu du temps de résilience des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ça voudrait dire en gros que, dans quinze ans, non seulement on arrête toutes les émissions de CO2 directes, mais aussi de méthane, de protoxyde d’azote, qu’on n’a plus de gigantesques incendies de forêts… Ça me paraît délirant. Je m’interroge donc beaucoup sur la fonction de ce 1,5°C. Ça m’interroge d’autant plus qu’en face il manque pour l’instant beaucoup de mots dans l’accord, encore en cours de négociation. Ce qui est très inquiétant, c’est l’écart entre une ambition affichée et les moyens d’y arriver. Beaucoup de chiffres sont pour l’instant manquants.

Depuis plusieurs jours, les discours politiques donnent le sentiment que le monde entier est en train de s’échiner à sauver la planète. Pourtant, à l’extérieur du Bourget, l’écho de la COP21 semble faible. Que pensez-vous de ce décalage ?

Pour que ces ambitions politiques aient un sens, il faudrait qu’elles soient adoptées, ressenties, voulues par les populations. Or, les manifestations des 28 et 29 novembre, avant la COP, ont été ridicules à l’échelle mondiale : comment voulez-vous, quand moins d’un Terrien sur 10 000 se mobilise, que l’objectif de 1,5°C ait le moindre sérieux ? Le problème des politiques, c’est qu’ils ne sont pas là simplement pour faire du symbolique. Ils seraient normalement là aussi pour donner un sens, pour entraîner les populations. Or, le gouvernement français, par exemple, a une politique illisible sur ce sujet. D’un côté, on a des propos très sympathiques du président de la République, de Laurent Fabius. Et en même temps, on a Notre-Dame-des-Landes et la signature du Tafta. Comment voulez-vous que les gens prennent au sérieux nos politiques ? Ça se traduit d’ailleurs en ce moment dans les urnes ! Les gens vont élire des abrutis par dégoût, c’est effrayant. Pour revenir à la COP, il ne faut pas oublier que ce genre de négociations ne vont pas à elles seules faire le monde, il faut arrêter avec ces naïvetés. La passivité des populations est quelque chose d’extrêmement inquiétant. Quant on parle de consommation énergétique, il s’agit avant tout des engagements de chacun ! Comment les gouvernements peuvent-ils prendre des engagements sans qu’on ait des citoyens totalement impliqués ? Je n’y crois pas du tout.

Malgré tout, un accord va probablement être trouvé. Ne pensez-vous pas qu’il y aura un impact positif ?

C’est un élément, mais ce n’est qu’un élément. On veut nous faire croire qu’ici on a la planète qui décide. Non, ce n’est pas vrai ! On a des dirigeants, qui ne seront plus là dans quelques années, qui décident d’une façon ambivalente, ambiguë. Ça va avoir un impact, certes, je n’ai pas de doute là-dessus. On est quand même partis sur une dynamique d’engagements révisables. On va sortir avec des éléments qui, s’ils sont imbriqués avec d’autres, nous mettent quand même sur une bonne trajectoire. Rien n’est gagné, mais au moins, on a ça. Mais il n’y a qu’une partie des choses ici. On a des instruments qui, si on arrive à mobiliser un peu plus la société civile, sont des instruments intéressants. Il ne faut pas que l’on prenne au pied de la lettre ce qui est dit ici. Ici on a une table avec un seul pied, et elle ne peut pas tenir seule.

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