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La décroissance et la prospérité sans croissance
samedi, 5 décembre 2015 / Anne Musson /

Docteur en économie et écologie humaine

Maître de Conférences en économie

Dès que l’on évoque la nécessité d’imaginer une autre croissance, les clichés et les malentendus pullulent. Anne Musson, maître de conférences en économie, fait le tri entre vraies et fausses idées.

Anne Musson est docteure en économie et écologie humaine et maître de conférences en économie

Samedi 31 octobre 2015, sur le plateau d’« On n’est pas couché », sur France 2, la journaliste Léa Salamé exprimait son pessimisme face à la COP21 et aux propositions formulées dans le plaidoyer Osons par Nicolas Hulot, invité sur le plateau. Parmi quelques échanges virevoltants, on pouvait relever celui-ci :

Léa Salamé : « Sur ce postulat antilibéral, (…) vous dites qu’il est impératif de viser une prospérité sans croissance, mais la question est la suivante : qu’allez-vous répondre aux pays émergents qui vont dire : “Vous avez profité de la croissance pendant cinquante ans” ? Parce que prôner la décroissance, c’est très bien en France… »

Nicolas Hulot : « Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Entre la croissance et la décroissance, il y a une alternative : la croissance et la décroissance sélectives. Il y a des flux à développer : les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la ville durable, les transports d’eau, les bâtiments à énergie positive, l’agroécologie. Pour ce qui est des énergies fossiles, il va falloir décroître. »

La seule course à la croissance du PIB peut mener à la destruction de richesses

L’erreur est courante : lorsqu’il est question de ralentir la croissance, ou tout simplement d’une « autre croissance », on associe à ces termes – on les confond même souvent – celui de « décroissance ».

Simplement, la décroissance, c’est une baisse du produit intérieur brut (PIB), ce qui signifie une diminution de la production de biens et services. La croissance zéro, c’est un taux de croissance du PIB égal à zéro. Derrière les théories d’une croissance sobre (et elles sont nombreuses) s’exprime l’idée que la richesse ne se confond pas avec la croissance du PIB. La production de biens et services ne doit pas forcément diminuer pour construire un développement durable, mais la seule course à la croissance du PIB peut mener à la destruction de richesses.

Un certain niveau de production est sans conteste nécessaire au bien-être d’une nation, mais de simples corrélations illustrent le fait que la croissance du PIB peut avoir un impact négatif sur la richesse, la performance environnementale, les inégalités… Les graphiques ci-dessous – qui utilisent les données de la Banque mondiale – présentent la relation entre la richesse des nations d’une part, et, d’autre part, le PIB (graphique 1) et la croissance du PIB (graphique 2). La « véritable » richesse des nations est un stock de capitaux, inventorié par la Banque mondiale, qui propose d’additionner le capital produit [1], le capital naturel, le capital intangible – qui se compose lui-même du capital humain et du capital social – et des capitaux venant (ou sortant) de l’étranger.

Ces graphiques sont simplistes, certes, mais on remarque que le niveau de PIB a tendance à avoir un impact positif sur la richesse, alors que la croissance du PIB semble influer négativement. De même, on observe souvent deux nuages de points qui se détachent sur les graphiques : ils correspondent, grossièrement, aux pays développés et ceux en développement issus de notre échantillon composé de 61 pays.

La croissance du PIB n’est pas une condition suffisante à l’enrichissement des pays

Donc oui, Léa Salamé a raison, les problématiques sont différentes selon le niveau de développement d’un pays ; mais non, la croissance du PIB n’est pas une condition suffisante à l’enrichissement des pays. Surtout, la prospérité sans croissance ne prône pas la décroissance mais bien l’augmentation des richesses, et comme l’a justement répondu Nicolas Hulot, en orientant cette croissance vers des productions soutenables qui permettent l’amélioration du bien-être des populations.

Pour en savoir plus :
- Social-écologie, de Eloi Laurent, (Flammarion, 2011). Ouvrage pour public averti.
- Vivement 2050 !, de Gar Alperovitz, Herman E. Daly, Joshua Farley, Carol Franco, Tim Jackson, Ida Kubiszewski, Juliet Schor et Peter Victor, sous la direction de Robert Costanza (Les Petits Matins/Institut Veblen, 2013).
- « Questioning Economic Growth », article de Peter Victor, paru dans le n°468 de Nature, novembre 2010.

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