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A la COP, montre-moi ton pavillon, je te dirai qui tu es
jeudi, 3 décembre 2015 / Cécile Cazenave

La conférence sur le climat n’est pas qu’un lieu obscur de négociations secrètes. C’est aussi un grand raout où les pays affichent leur puissance pour séduire ou convaincre. Visite guidée parmi les délégations.

Impossible de le rater. A l’entrée du hall 2 du parc des expositions du Bourget, le globe suspendu portant le logo « US Center 2015 » plonge le visiteur dans une ambiance Nasa. Le pavillon de la délégation américaine à la COP21 se donne des airs de conquête de l’espace. Une conférence sur la valorisation carbone est en train de s’y dérouler. L’audience est bien garnie. On écoute religieusement les speakers invités parler de l’utilisation des finances de l’oncle Sam pour préserver les forêts du Costa Rica. Les Etats-Unis, acteur majeur dans le futur accord de Paris, se sont offert un pavillon à leur image dans la COP. « Plus c’est grand, plus c’est imposant, plus il y a du public et plus ce sont des poids lourds dans les négociations », résume Célia Gautier, spécialiste des négociations au Réseau Action Climat, qui a accepté de faire une petite visite guidée à Terra eco.

Bien avant que les délégués des 195 pays n’atteignent l’entrée bien gardée des salles feutrées où ont lieu les négociations proprement dites, ils doivent parcourir un labyrinthe de plusieurs milliers de mètres carrés où sont installés les pavillons nationaux. Avant tout QG et lieu de réunion, le pavillon est un couteau suisse. On y offre des réceptions, on y invite des scientifiques pour une petite présentation ou un débat. On y affiche surtout sa richesse et sa puissance, sa position sur l’échiquier international, son rang dans la hiérarchie de la COP. « Il y a différents publics à convaincre, comme les experts ou certains observateurs, mais le pavillon est aussi la projection d’une présence auprès des autres délégués. Ici, on se construit une image », analyse Célia Gautier. Le Mexique soutient que l’on peut à la fois se développer et lutter contre le changement climatique ? Son pavillon ressemble, comme dans un salon dédié au tourisme, à une « destination biodiversité ». Les délégués qui passent par là sont invités à se prendre en photo devant des paysages somptueux à l’aide d’un gadget électronique qui permet de changer de fond en agitant les bras ou les jambes. Succès garanti auprès de deux membres de la délégation chinoise.

Il faut dire que le leur de pavillon, situé juste en face, n’a rien d’amusant. La sobriété est de mise. Une petite entrée mène à une salle modeste et confinée, dédiée aux conférences. Le plus gros pollueur de la planète, autre poids lourd des négociations, n’en fait pas des tonnes. A l’écart d’un robot dépollueur qui intéresse quelques passants, un petit panneau signale la présence d’un réseau d’ONG chinoises… au sein même de la délégation officielle. A quelques mètres de là, dans une tactique inverse, le Conseil de coopération du Golfe a installé un palais du Moyen-Orient avec moucharabiehs et faux marbre. A l’intérieur, des écrans tactiles géants font la promotion de la séquestration et du captage de CO2. « Des technologies très controversées, ultracoûteuses et surtout qui donnent l’impression qu’on peut continuer ad vitam aeternam avec les énergies fossiles. Le principe ici, c’est de nous montrer que les Etats du Golfe se diversifient économiquement », note Célia Gautier. Un bulldozer à chignon, tout de velours noir vêtu et les ongles rouges vernis, nous accoste dans la minute. Aline Stanworth est la directrice de communication de la Saudi Basic Industries Corporation, l’un des plus gros chimiquiers du monde, dont le fond de commerce est le plastique, les polymères et les fertilisants. Sur sa robe moirée se balance un badge de couleur rose, celle des délégations. Aline fait officiellement partie du groupe « Arabie Saoudite » et nous vend, un peu à la manière d’une poissonnière, une unité expérimentale de récupération et de réutilisation du carbone émis par la production de plastique, le nec plus ultra de l’économie circulaire en pétrochimie, en somme. « C’est bien évidemment l’arbre qui cache la forêt », glisse Célia Gautier. On en oublierait presque en effet que l’Arabie saoudite a été le dernier pays du G20 a rendre sa copie sur les engagements de baisse d’émissions ou qu’il fut l’un des pires freins au moment des valider les conclusion du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)…

En face, le pavillon français, nettement moins glamour, ressemble à un préau de MJC un jour de fête du climat. Des dizaines de panneaux didactiques que personne ne prend le temps de lire vantent une sorte d’agenda des solutions. « La présidence se doit généralement d’être un peu sobre », commente Célia Gautier, tout en pointant le logo de l’énergéticien Engie qui traîne de-ci de-là sur un robot purificateur de CO2 ou sur une maquette d’éolienne… La future présidence de la COP, elle, en revanche, n’a pas fait dans la dentelle. Le pavillon marocain, composé de murs de verre rouge translucide, se situe quelque part entre l’œuvre d’art contemporain et la boîte de nuit. Il y a des fleurs sur les tables et des grappes de gens venus d’on ne sait où qui se pressent à l’intérieur. Deux jours après l’annonce du roi Mohammed VI de faire passer son pays à 52% d’énergie renouvelable et d’accueillir la COP22 à Marrakech, le royaume, par l’intermédiaire de son pavillon, roule des mécaniques. « Ils préparent le terrain pour l’année prochaine. Ils se présentent désormais comme un pays leader. Tout est question de communication », note Célia Gautier.

Sur le vaste et haut pavillon allemand, un énorme « 2°C » s’affiche sur les murs. Ici, on est à la cool. Un bar circulaire offre des cafés gratuits et des canapés en cuir blanc garnis de petits coussins jaunes, une occasion de s’asseoir confortablement. Notre guide repère d’un coup d’œil quelques collègues d’ONG en train de babiller avec des délégués. Le pavillon sert également à ça. « On se retrouve pour des réunions informelles », indique Célia Gautier. Pousser les petites portes fermées est une autre affaire. Impossible, par exemple, de pénétrer dans le pavillon de l’Union européenne, 196e partie de la COP, qui fait office de bunker dans le bunker. S’y retrouvent les membres des délégations des 28, probablement plus d’une centaine de personnes tous les matins. Pas un message, pas un slogan, pas un podium, pas un endroit convivial. Un peu à l’image de la déception qu’inspire pour l’instant l’Union aux observateurs des négociations. « On attendait beaucoup de l’UE, qu’elle joue un rôle de passerelle entre les Etats sur des points délicats. En réalité, elle a beaucoup de mal à exister sur le plan diplomatique », explique Célia Gautier.

Quant au pavillon de l’Alliance des petits Etats insulaires (AOSIS), il est si discret qu’on a bien du mal à le trouver. Question d’argent bien sûr, quand un pavillon un tant soit peu grandiloquent coûte jusqu’à plusieurs millions d’euros. Question de puissance également, à l’image de leur place dans la diplomatie de la COP. « Les pays vulnérables ont du mal à exister dans ce genre de sommet », déplore Célia Gautier. Il y a trois jours, ce sont pourtant 43 pays parmi les plus vulnérables de la planète qui ont fait l’une des annonces les plus remarquées de ce début de COP21 en adoptant une déclaration en faveur de 100% de renouvelables en 2050, une décarbonation de l’économie globale et une hausse de la température moyenne limitée à +1,5°C. Parfois, le pavillon ne fait pas le moine.

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