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Je ne suis pas pronucléaire, je suis réaliste
mercredi, 2 décembre 2015 / Matthieu Auzanneau /

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

Si tout le monde devient décroissant, fermons nos centrales. En attendant… Pour Matthieu Auzanneau, expert en énergies fossiles, prétendre réduire nos émissions et notre voilure atomique, c’est risquer de booster le gaz naturel.

Matthieu Auzanneau est chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone.

Je ne suis pas pronucléaire, je suis « objecteur de croissance ». Et tant que les idées auxquelles je crois resteront ultraminoritaires, ma priorité en tant que militant écologiste, c’est le réalisme. J’ai récemment choisi de rejoindre The Shift Project, le think tank de Jean-Marc Jancovici, figure de l’écologie en France et néanmoins « nucléocrate impénitent », selon ses nombreux détracteurs. J’ai fait ce choix parce que Jancovici est avant tout un cartésien, et que quinze ans de journalisme m’ont appris que les écolos ne sont pas moins prompts que quiconque à se bercer d’illusions.

De quoi sommes-nous sûrs aujourd’hui ? Qu’on ne peut pas continuer comme ça, que nous devons de toute urgence nous libérer de notre addiction aux énergies fossiles, et que ce sera très dur. Tout le monde se réjouit aujourd’hui de voir s’effondrer le coût d’installation de l’éolien et du solaire. Beaucoup en concluent trop vite qu’économiquement la partie est déjà presque gagnée. Loin s’en faut. Le rapport « 100% renouvelables » récemment publié par l’Ademe est l’objet de critiques sévères. Sans rentrer dans des considérations trop techniques, il faut notamment lire les remarques de bon sens émises sur le site de Libération par Sylvestre Huet, journaliste respecté que l’on ne peut accuser d’être pronucléaire.

Les émissions par habitant en Allemagne sont toujours parmi les plus élevées d’Europe

La réalité, c’est que personne ne sait s’il est possible de faire tourner un grand pays comme la France en ayant seulement recours aux énergies renouvelables. L’Allemagne, avec sa fameuse Energiewende, n’est-elle pas en train de démontrer que c’est possible ? Non, trois fois non. Regardez les chiffres (pdf, p. 28) : depuis dix ans, les émissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne ne baissent pas ! Ah si, pardon, elles ont un peu diminué en 2014. Mais seulement parce que l’hiver a été exceptionnellement doux…

L’Energiewende de l’Allemagne, c’est la sortie du nucléaire, d’accord. Mais ce n’est par la sortie du pétrole, encore moins celle du charbon et du gaz. L’Allemagne a jusqu’ici investi dans le développement des renouvelables à peu près autant que la France dans son programme nucléaire : 350 milliards d’euros, grosso modo. Moyennant quoi, les émissions de CO2 par habitant en Allemagne sont passées de 11,5 tonnes en 1995 à… 10 tonnes en 2014. Ce sont toujours parmi les plus élevées d’Europe. En France, grâce au nucléaire (que ça nous plaise ou nous), nous en sommes à 4,2 tonnes par habitant.

Les importateurs de gaz naturel se frottent les mains

Ce sont les importateurs de gaz naturel qui se frottent les mains. L’énergie de demain, hélas, a toujours été la moins chère. En l’absence de prix du carbone contraignant, le gaz naturel est en passe de s’imposer comme la voie royale de la transition, car c’est l’énergie la plus commode pour prendre le relais lorsque le vent ne souffle pas et le soleil se cache. Au point que l’Agence internationale de l’énergie prévient que le gaz naturel est bien parti pour s’imposer comme la principale source d’émissions supplémentaires de CO2 dans les années à venir. Au point que l’Allemagne vient de valider l’accroissement de la capacité de NorthStream, le gazoduc par lequel son gaz russe transite à travers la Baltique.

Si vous voulez pallier l’intermittence de l’éolien et du solaire sans recourir à du gaz et sans déployer de lourds systèmes polluants de batteries, il vous faut faire des barrages de stockage, des « STEP ». Et il en faut beaucoup, partout en France. Des structures d’une taille comparable à celle du barrage de Sivens…

L’échec de l’écotaxe devrait nous servir de leçon. Nous sommes dans un univers économique contraint et politiquement périlleux. Les implications économiques (et écologiques !) d’un développement massif des renouvelables doivent être rationnellement analysées, débattues et acceptées. Tant que de la sobriété ne sera pas au centre du débat et fera l’objet de toutes les tartufferies, prétendre que nous sommes capables de mener de front sortie du nucléaire et sortie des énergies fossiles restera, je crois, une grave erreur. L’urgence, c’est le climat.

(Au fait, connaissez-vous le bilan sanitaire officiel de Fukushima établi par l’UNSCEAR, l’ancêtre et le modèle du Giec ?)


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